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Le difficile parcours pour accéder à l'entreprise

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Insérer une personne handicapée mentale en milieu de travail ordinaire demeure aujourd'hui encore un défi, malgré l'existence, ici ou là, d'outils plus diversifiés. Pour y parvenir, les associations misent sur le développement des séquences en entreprise et un accompagnement social individualisé au long cours.

En matière d'emploi des personnes handicapées en milieu ordinaire, le bilan reste mitigé. Loin d'atteindre les 6 % requis par la loi du 10 juillet 1987, le taux de travailleurs handicapés en entreprise plafonne à 4,13 %, avec une majorité d'emplois dans les petites et moyennes entreprises, selon les chiffres de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle.

« La détérioration de la situation économique affecte toujours plus les personnes handicapées, observe Najiba Fradin, directrice des services aux personnes handicapées du Fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées  (Agefiph). Depuis 2000, qui fut une année forte, le flux annuel d'embauches a chuté de 11 %, avec des emplois dont la qualité se dégrade, le nombre de contrats à durée indéterminée baissant régulièrement   (1) . »

Qu'en est-il spécifiquement des personnes en situation de handicap mental ? Aucun chiffre national ne permet actuellement d'évaluer le taux de leur insertion en milieu ordinaire. « Elles sont particulièrement concernées par l'évolution des exigences des entreprises, des processus de production qui, à un moment, les mettent en difficulté, explique Najiba Fradin. Aujourd'hui, les handicapés mentaux représentent, à titre d'exemple, 14 % dans les schémas régionaux de formation professionnelle en faveur des publics handicapés. C'est insuffisant compte tenu des besoins de cette population. »

Aussi, pour avoir une idée de leur insertion, l'Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales (Unapei) a-t-elle mis en place un observatoire permanent des flux de sorties vers le milieu ordinaire des 2 500 établissements et services de travail protégé qu'elle fédère. Le bilan qu'elle a présenté le 11 mars (2) apparaît mitigé : on est passé de 153 contrats en milieu ordinaire en 1993 (1 % d'insertion) à 106 en 1995 (0,75 %) et 102 en 1998 (0,70 %). L'insertion professionnelle en milieu ordinaire reste donc faible, même si elle est relativement stable depuis 1993. Une nouvelle enquête, réalisée en 2001 dans six régions pilotes (3), met en évidence un taux de sorties des centres d'aide par le travail (CAT) de 1 % (175 contrats) et des ateliers protégés de 7 % (84 contrats).

Sylvie Kaczmarek, responsable du service Insertion et accessibilité de l'Unapei, relève pourtant l'existence d'une dynamique sur le terrain. Lorsqu'il y a une volonté associative de développer une culture de l'insertion professionnelle, la construction de partenariats, le développement de différentes formules (détachements, mises à disposition...) permettent, grâce à un accompagnement dans la durée, de réussir l'insertion. Même s'il s'agit toujours d'un travail de longue haleine, des expériences, menées dans diverses régions, prouvent que l'insertion en milieu ordinaire est possible.

Réunis dans une association indépendante fondée en 1991, An Treiz ( « La passerelle » ) (4), six instituts médico- professionnels (IMPro) du Finistère ont décidé de relever le pari. « Nous avions constaté les difficultés des jeunes sortant de nos établissements à intégrer le milieu ordinaire et à s'y maintenir dans le temps, témoigne Jean-Michel Leroux, directeur d'An Treiz. Nous nous sommes donc donné comme objectif de réussir dans la durée l'insertion sociale et professionnelle en milieu ordinaire. » Avec une méthode :la prise en compte de la personne dans sa globalité et un accompagnement social étroitement lié à la préparation et au suivi dans l'emploi.

Une équipe de 14 personnes, composée de chargés d'insertion présentant des profils proches des milieux de l'entreprise ou du travail social, accueille chaque année 300 nouveaux venus, handicapés psychiques ou déficients intellectuels et en insère une centaine en milieu ordinaire. Pour le responsable de l'association, cette réussite résulte de deux facteurs :l'éventail de dispositifs offerts à la personne handicapée pour s'acclimater à l'entreprise et l'accompagnement social très individualisé et durable.

« Tout ce qui peut permettre une séquence en entreprise - stages, modules de formation - est proposé à la personne, explique Jean-Michel Leroux. Le stage est d'ailleurs le mode d'accès à l'emploi le plus fréquent. Pour ce qui est de l'accompagnement, il permet d'acquérir les repères pour mener la vie la plus autonome possible, mais il aide aussi la personne à faire ses démarches - le chargé d'insertion peut d'ailleurs les effectuer avec elle. Et dans les périodes les plus fragiles, c'est souvent par le biais de l'accompagnement social que nous entendons les choses, que nous apprenons les difficultés éventuelles. »

L'Unapei croit dur comme fer à ce suivi social au long cours, resserré autour de l'individu : « La personne handicapée mentale dépend de l'Etat pour son travail, du département pour son logement. Or elle a besoin d'un seul interlocuteur pour résoudre ses difficultés. Contrairement à d'autres handicapés, elle a besoin d'un accompagnement social sa vie durant. » Reste que les postes de chargés d'insertion ne sont pas toujours compatibles avec le budget des associations.

Des mises en situation professionnelle

Le « CAT hors les murs » de l'Association départementale des amis et parents d'enfants inadaptés (Adapei) de Loire-Atlantique, à Nantes, a fait ce choix d'accompagner au plus près la personne dans sa recherche d'emploi. C'est en constatant le faible nombre de sorties des travailleurs handicapés des CAT et les listes d'attente qui s'allongeaient à l'entrée, que l'expérimentation a été lancée.

Le service d'insertion du CAT (5) se charge d'établir le diagnostic des capacités de la personne, de la préparer au monde de l'entreprise avant d'entamer son accompagnement dans la recherche d'emploi. « Si l'objectif demeure bien le contrat de travail, les personnes ont la possibilité d'effectuer des détachements en entreprise, qui sont autant de mises en situation professionnelle, explique son responsable, Bernard Gagnet. Si l'entreprise est d'accord, la personne fait un mois d'essai, puis trois à cinq mois en contrat à durée déterminée, avec à chaque étape une évaluation. Au bout de six à neuf mois, si elle est apte et correspond aux besoins de l'entreprise, elle est embauchée. »

Après son recrutement, le service d'insertion continue à assurer un accompagnement social, hors et dans l'emploi, en partenariat avec l'ANPE pendant deux ans. Au-delà, une veille est assurée par le service. Ce suivi dans la durée permet d'aider la personne à faire face aux changements de plus en plus nombreux dans l'entreprise. Car l'un des problèmes des travailleurs handicapés mentaux, outre leur difficulté à prendre une décision, réside dans le fait que toute perturbation les déstabilise, qu'il s'agisse d'un changement de poste, de mode de production, de personnel. Et lorsque l'on sait que leurs relations avec l'environnement vont conditionner la réussite de leur insertion, on comprend aisément la nécessité de préparer leur accueil et de disposer d'une personne-relais - un tuteur - dans l'entreprise.

La plupart des structures privilégient donc au maximum les moments d'immersion dans l'entreprise. C'est le cas de « Service plus », service spécialisé pour l'emploi créé en 1989 par l'Adapei du pays de Montbéliard, dans le Doubs (6), qui permet notamment à des jeunes de l'IMPro « La Maletière » d'accéder au milieu ordinaire.

Apporter une connaissance de l'entreprise à l'établissement, lui permettre de faire évoluer ses contenus de formation en fonction du marché du travail, rechercher des partenariats : l'apport de « Service plus » a été capital. C'est « le regard qu'il a porté dans l'entreprise », estime Yves Bonnot, directeur adjoint de La Maletière, qui a permis d'offrir aux jeunes toutes sortes de possibilités d'accès à l'entreprise : stages de découverte - une quarantaine d'élèves en bénéficient chaque année -, d'évaluation, en alternance. « Aujourd'hui, les deux tiers de nos jeunes quittent l'établissement pour le milieu ordinaire contre un tiers pour un CAT. En 15 ans, la proportion s'est inversée, explique Yves Bonnot. L'intervention de ce tiers qu'est “Service Plus” a permis d'oser le milieu ordinaire. Car, bien souvent, le premier frein est la résistance observée au sein-même de l'établissement : nos institutions sont protectrices, parfois à leur corps défendant. »

Quelques-unes pourtant ont choisi d'aider les personnes handicapées mentales à « s'introduire dans ce monde ordinaire qui n'a pas été taillé pour elles », observe Gérard Joinneaux, président adjoint de l'Unapei. Parfois, par la petite porte, en équipes très encadrées et en inventant des formules intermédiaires entre le travail protégé et le contrat de travail de droit commun.

Quoi qu'il en soit, toutes ces initiatives témoignent d'une conviction forte : l'insertion professionnelle en milieu ordinaire se prépare et s'accompagne ; le concept de parcours professionnel est indissociable d'une insertion réussie. Un suivi social à longue échéance, en particulier, est indispensable et, surtout, il faut une volonté associative.

UN GUIDE POUR AIDER LES EMPLOYEURS

Pour mieux lutter contre les a priori, l'Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales  (Unapei) vient d'éditer un guide pratique d'une centaine de pages, Le salarié handicapé mental dans l'entreprise. Destiné aux employeurs, il vise à « changer le regard des entreprises », à favoriser une meilleure connaissance de la personne handicapée mentale afin de réussir son insertion. Au-delà d'une définition du handicap mental et de ses caractéristiques, il s'attache à montrer, à travers des exemples de parcours, quelles peuvent être les difficultés et les atouts de ces personnes. Outre quelques rappels des dispositions légales, ce guide souligne les différentes possibilités qui s'offrent à un employeur qui souhaiterait embaucher une personne déficiente intellectuelle et les écueils à éviter. Cet outil de communication a été financé dans le cadre d'une convention avec l'Agefiph.

Reste maintenant à soutenir ces initiatives qui, la plupart du temps - et c'est peut-être l'une des conditions de leur réussite -, sont menées à petite échelle, et à accentuer l'effort de communication auprès des employeurs. Nombre d'entre eux ignorent encore, en effet, à quelles structures faire appel s'ils cherchent à embaucher une personne handicapée. Démarche qu'ils sont malheureusement encore trop peu nombreux à effectuer. Néanmoins, pour Gérard Joinneaux, « les entreprises sont aujourd'hui capables d'accueillir des personnes handicapées mentales et c'est nouveau. Je me souviens, il y a quelques années, avoir entendu des responsables patronaux déclarer qu'elles n'avaient rien à faire dans les entreprises. Certes, la communication entre les demandes des personnes et les capacités d'accueil des entreprises est encore insuffisante. Mais, ajoute-t-il avec optimisme, rien n'est terminé, tout commence. »

Sandrine Pageau

Notes

(1)  Sur le bilan 2003 de l'Agefiph, voir ce numéro.

(2)  Dans le cadre de sa journée  « Insertion professionnelle - Faire évoluer et accompagner l'insertion professionnelle en milieu ordinaire des personnes en situation de handicap mental : défis, réalité, enjeux, le débat en question... » - Unapei : 15, rue Coysevox - 75876 Paris cedex 18 - Tél. 01 44 85 50 50.

(3)  Aquitaine, Bretagne, Franche-Comté, Nord-Pas-de- Calais, Pays-de-la-Loire, Rhône-Alpes.

(4)  An Treiz : Hent Glaz - ZI de l'Hippodrome - 29000 Quimper - Tél. 02 98 90 34 00.

(5)  Service insertion - « CAT hors les murs »  : 13, rue Joseph-Caillé - BP 30824 - 44008 Nantes - Tél. 02 40 12 23 04.

(6)   « Service plus »  : BP 35281 - 25205 Montbéliard cedex - Tél. 03 81 91 35 08.

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