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« Le beau risque du travail social... »

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Saül Karsz, philosophe et sociologue, consultant en travail social (1), répond sur quelques points à la lettre ouverte que lui a adressée dans nos colonnes le psychologue et sociologue Jean-Louis Lauqué (2).

« [...] Soutenir que l'Etat assume un  “rôle parental” relève de la science- fiction et/ou de l'abus de langage : les structures étatiques constitueraient-elles une sorte de famille élargie ? Seraient- elles animées de tendresse et de haine ? “Quand l'Etat n'assume plus son rôle parental, les préceptes éducatifs confinent au dressage et aux techniques comportementales de la gestion des corps”, énonce Jean-Louis Lauqué. Curieux : je serais tenté de penser que cela arrive justement quand l'Etat se met à parentaliser les familles, en prescrivant ce qu'il faut faire des enfants et pour les enfants...

« Ledit rôle n'est pas à prendre, il est vrai, à la lettre, ce n'est pas du père dont il s'agit, mais de sa dimension symbolique. Certes, mais que le père ait une fonction symbolique dans l'histoire de chacun de nous n'en fait nullement le prototype des fonctionnements étatiques. Ceux-ci supposent des appareils de pouvoir, des orientations politiques, des idéologies. En s'inquiétant de l'éducation des enfants, l'Etat s'inquiète des modèles et des comportements censés s'y réaliser, il se soucie des idéologies éducatives. C'est son droit le plus strict, ce qui parfois contribue à réduire la souffrance des familles et des enfants, et d'autres fois à la provoquer, mais dans tous les cas sans lien aucun avec un invraisemblable rôle parental, ni au sens propre, ni au sens (très) figuré.

« C'est la notion de “symbolique” qui nécessite, me semble-t-il, un usage fin. On dit souvent- et Jean-Louis Lauqué le reprend - que nous vivons aujourd'hui un déficit du symbolique (perte des repères, crise de l'autorité, la loi se négocie au lieu de s'imposer, etc.). Si c'était vrai, les interventions sociales en seraient grandement facilitées : il suffirait d'injecter du symbolique là où il fait défaut, de remplir les individus et les groupes de références, normes et modèles convenables les poussant à accéder enfin à l'humanité. Ce n'est évidement pas le cas ! Les interventions sociales sont et restent complexes parce qu'il y a toujours du symbolique, mais pas forcément celui auquel on est habitué. [...] Bref, si déficit il y a, ce n'est pas du symbolique, mais juste de certaines de ses formes historiques, changeantes, périssables - pas toutes regrettables, du reste. Il faut donc réviser, pas du tout le symbolique, mais plutôt les représentations dont il fait l'objet.

« [...] Tel est le risque, le beau risque du travail social. C'est ce qu'il donne à déchiffrer à longueur des pratiques : il n'y a pas de clé ultime des problématiques individuelles et collectives. Le travail social oblige à lier ce qu'ailleurs on peut imaginer isolé, ici le psychisme, là le social, ici le sexuel, là l'idéologique, ici l'Œdipe, là la lutte des classes. Il montre comment, lors de chaque situation et de l'intervention ainsi déclenchée, l'idéologie et l'inconscient font nœud. C'est pourquoi il n'est en rien un terrain d'application de la psychologie ou de la psychanalyse, ni non plus de la sociologie et du marxisme, mais bien leur mise à l'épreuve, leur mise en perspective, la mise à nu d'une certaine vérité. Disciplines indispensables pour comprendre des dimensions essentielles des pratiques sociales, pourtant aucune d'elles ne sauraient en venir à bout. Et dès que l'une ou l'autre est érigée en référence omni-compréhensive, des corpus de connaissances nécessairement rectifiables deviennent des doctrines frôlant la révélation, fût-elle laïque.

« Aventure à risques que celle du travail social. Il traite, non pas de l'humain en général, mais des humains réels et historiques, répartis dans des couches et des classes sociales, au sein d'une société donnée. Il en traite en fonction de consignes idéologiquement et politiquement chargées, dans le cadre des missions étatiques qui sont celles des travailleurs sociaux et, relevons-le, eu égard à la liberté, de la soumission ou de la révolte que chaque praticien s'octroie dans l'exercice de la parcelle de pouvoir qu'il détient. »

Notes

(1)  Association Pratiques sociales : 15 bis, avenue Carnot - 94230 Cachan - Tél. 01 46 63 06 31 - Saül Karsz vient de publier Pourquoi le travail social ? Définition, figures, clinique - Editions Dunod.

(2)  Voir ASH n° 2357 du 30-04-04 - Jean-Louis Lauqué répondait lui-même à une tribune libre de Saül Karsz, publiée dans les ASH n° 2354 du 9-04-04.

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