On s'en doutait, la mesure de Jean- Louis Borloo sur la suspension des expulsions des locataires « de bonne foi » dans le parc locatif social (voir ce numéro) est bien accueillie. L'Union sociale pour l'habitat (USH), partenaire de cette décision politiquement spectaculaire, qui précise que cette mesure pourrait concerner plusieurs dizaines de milliers de personnes par an, est évidemment la première à se réjouir de cette « avancée sociale immédiate ». Elle indique travailler « avec les ministères concernés afin d'imaginer un dispositif durable comportant des mesures législatives indispensables ». Lesquelles devraient être intégrées dans le futur plan national de cohésion sociale.
Bon nombre d'associations, comme Droit au logement (DAL), qui qualifie la mesure de « petite avancée sociale », déplorent tout de même son caractère limité : son application ne concerne pas le parc privé et dépendra de l'appréciation par les bailleurs de la « bonne foi » des locataires, critère jugé ambigu et qui, selon les travailleurs sociaux, se vérifie pour la quasi-totalité des personnes en situation d'impayé.
Le maintien des aides personnelles au logement, dont la revalorisation au 1er juillet a été accompagnée de mesures d'économies (1), ne sera pas suffisant, alerte quant à elle l'association Consommation, logement et cadre de vie, pour qui « il est également indispensable d'améliorer la coordination des différents dispositifs de solidarité ». Même son de cloche à la Confédération nationale du logement, qui regrette que Jean-Louis Borloo n'ait pas, dans le même temps, pris de décisions pour limiter la hausse des loyers. Pour Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre, le maintien de l'aide personnalisée au logement ne vaut que s'il débouche sur les moyens de signer un nouveau bail, faute de quoi le locataire se trouverait « dans un “no man's land” juridique ».
Les associations sont unanimes : la prévention des expulsions ne peut se réduire à cette première décision. Il faut que « tout mécanisme de prévention des expulsions [soit] accompagné d'une véritable solvabilisation des locataires et d'une sécurisation de leurs droits », demande la Confédération générale du logement. « Ce moratoire est extrêmement positif, mais on ne peut s'en réjouir que s'il permet de donner du temps pour introduire des modifications législatives dans le plan de cohésion sociale et trouver des modalités pour que la loi de juillet de 1998 contre les exclusions soit appliquée », ajoute Patrick Doutreligne. Bernard Birsinger, maire de Bobigny, qui a récemment, comme une dizaine d'autres élus, pris un arrêté anti-expulsions, par la suite invalidé par le tribunal administratif, reste aussi dans l'expectative. Dans son département, le nombre d'expulsions s'est accru de 100 % de 2002 à 2003, passant de 1 500 à 3 000. « Nous avons besoin de moyens sociaux pour répondre sur le fond aux expulsions, rappelle l'élu communiste. Je reste donc inquiet quant aux moyens accordés face à l'augmentation des demandes de logements sociaux et à l'accroissement des loyers. »
Le 15 mai, plusieurs organisations, dont les coordinations des travailleurs sociaux de Seine-Saint-Denis et de Paris, et les maires signataires des arrêtés anti-expulsions ont créé une « Coordination nationale anti-expulsions et pour le droit au logement pour tous et partout ». Ses objectifs : demander l'extension du moratoire décidé par Jean-Louis Borloo à tous les locataires du parc social et privé, être entendue dans la préparation des assises nationales du logement prévues pour le début du mois de juillet et plaider pour la création d'un service public du logement.
(1) Voir ASH n° 2359 du 14-05-04.