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Pour une véritable solidarité avec les personnes dépendantes

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P lus les solidarités s'effritent et plus la question de la dépendance devient, pour chacun, préoccupante. D'autant que certains discours véhiculent des représentations stigmatisantes des personnes dépendantes, « coupables » de n'avoir pas su prévenir leur perte d'autonomie, s'alarme Catherine Gendron, formatrice sur l'approche du handicap et la relation d'aide auprès de professionnels du secteur médico-social, et membre de l'association Témoins et solidaires.

« [...] Notre société cultive un étrange paradoxe. Elle valorise à la fois l'autonomie des personnes et, dans le même temps, laisse s'alourdir certains dispositifs d'assistance qui vont jusqu'à priver des usagers de toute autonomie, voire de tout désir d'autonomie. Quel conseiller d'insertion n'a pas rencontré des usagers en bout de course des dispositifs RMI, stage d'insertion, contrats précaires, chômage, retour au RMI, démunis de tout désir d'initiative tant ils ont été mis sous tutelle par des dispositifs d'assistance ?

Dans le discours médiatique, la dépendance est régulièrement associée à la notion de risque. Je ne peux que mettre en parallèle ce lien avec l'effacement de la solidarité. La peur du risque existe d'autant plus que les solidarités disparaissent au profit du contrôle social comme seul mode de gestion des problèmes, dans une société dont l'idéal est de gérer la déviance, d'effacer la différence, d'évacuer la maladie, la mort. Société aseptisée, société du risque zéro, débarrassée des “incapables” et “inutiles”, des étrangers et de leur étrangeté. Société de la maîtrise, de la stigmatisation de tout ce qui s'éloigne de normes sociales de plus en plus drastiques et hygiénistes.

Certaines publicités radiophoniques assénées plusieurs fois par jour pour des mutuelles ou des assurances privées véhiculent déjà l'idée d'un avenir idéal où la dépendance des aînés ne pèserait plus sur les générations suivantes, leur laissant ainsi toute la liberté de se consacrer à des occupations tellement plus valorisantes que de prendre en charge les vicissitudes de la vieillesse de ceux qui les ont mises au monde. Plusieurs fois par jour avant de me rendre à mon travail, qui consiste en partie à réfléchir avec des professionnels sur leur implication dans la dépendance des usagers, j'entends ce message qui me semble terriblement éloigné des principes éthiques que je défends. A travers cette préoccupation de ne pas avoir à peser sur son entourage, la notion de solidarité entre générations est évacuée des discours et la dépendance ramenée au rang des catastrophes naturelles qu'il faudrait prévenir comme on prévient le possible effondrement d'une digue du fait des inondations.

Pourtant, considérer la dépendance de ses aînés comme une étape possible sur le chemin de la vieillesse et non comme une catastrophe évitable et voir en elle un cheminement dans le lien parent-enfant pouvant aider à une structuration ou une réconciliation conduirait chacun à un travail d'acceptation de la vieillesse comme perte d'une certaine autonomie et non pas comme la perte certaine de l'autonomie.

Préserver le lien familial

La perte d'autonomie peut être l'occasion de mettre en œuvre des ressources familiales. Durant l'épisode de la canicule, j'ai été touchée par de nombreux témoignages d'enfants et petits-enfants évoquant ce qu'ils avaient pu ressentir à cette occasion en se retrouvant acteur des solidarités familiales. Dans la perte et le manque se construisent et s'éprouvent aussi la solidité des solidarités et des liens familiaux. Si, dans ces occasions, sont niés la place et le rôle des principaux acteurs de ces solidarités, ces liens se distendront, se détruiront, cesseront d'exister et seront remplacés par des dispositifs fondés sur des rapports de soumission, de profit, niant la singularité des personnes au nom de l'uniformisation du traitement de situations, jusqu'à ce jour où on ne se souviendra plus des richesses de ce lien ni de la manière de le recréer.

Je tire de ces réflexions la conclusion que plus s'efface la préoccupation de la solidarité, plus celle de la dépendance envahit les esprits. Si je ne peux plus compter sur mes propres ressources et qu'il est aujourd'hui considéré comme marginal de compter sur celles de mes proches (je vais peser sur eux, entraver leur vie professionnelle, familiale... ?), comment vivrai-je ma dépendance ?Ainsi, l'aide d'un réseau extérieur se substituant à son réseau de proches signifie indiscutablement pour la personne aidée l'absence ou la désaffection du réseau familial. Le réseau secondaire sollicité face à cette désaffection et ce sentiment de perte aggravera ou soulagera les effets de la dépendance pour la personne en fonction de l'écoute qu'il lui apportera.

Le risque implique aussi toujours un responsable et, à travers ce discours de prévention des risques à tout prix, c'est la personne dépendante qui est rendue responsable de sa dépendance. Puisque des moyens sont mis à sa disposition pour la prévenir (mutuelles et assurances privées), elle serait responsable de ne pas l'avoir fait. Mais ces discours ne s'adressent jamais qu'à une certaine couche de la population et leur postulat est aussi absurde que de prétendre qu'une personne qui gère correctement son budget évitera l'expulsion même si le montant de ses ressources est inférieur à celui de son loyer. Ce discours ne vise qu'à la culpabilisation en individualisant le phénomène. Celui qui gère mal sa dépendance est rendu coupable de l'aggravation de sa situation et de ce qu'elle coûte à la société. En revanche, envisagée sous l'angle de la solidarité, la dépendance devient le problème prévisible et probable de chacun de nous et non plus la faute évitable de quelques-uns. Si la responsabilité devient collective et non plus individuelle, le risque est assumé et concerne potentiellement chacun des acteurs de la société, ce qui limite la stigmatisation et l'exclusion.

Si le risque de dépendance est perçu comme inhérent à l'histoire de la personne, celle-ci sera aussi considérée comme responsable de ce risque, c'est-à-dire comme libre d'en décider la gestion. Cette responsabilité-là place la personne en situation d'acteur et non de coupable. On ne peut pas concilier ces deux approches - responsabilité/culpabilisation et responsabilité/ liberté du choix - parce que si l'on considère l'usager sous l'angle de sa “culpabilité” et de sa “faute”, il est en situation de dette sociale et ne se sentira pas libre de revendiquer, défendre ou imposer ses choix. Il est “irresponsabilisé” par la responsabilité de la faute qu'on lui attribue.

C'est seulement si nos pratiques cessent d'individualiser systématiquement des phénomènes comme les dépendances et si nous acceptons de les considérer comme constituant positivement une société du fait des solidarités qu'ils appellent et provoquent que l'on pourra alléger la personne dépendante au moins du poids de sa culpabilité. Ses potentialités reconnues pourront ainsi s'épanouir puisqu'elle sera, de par le principe de solidarité mis en œuvre, considérée comme capable et non comme coupable. »

Catherine Gendron Formatrice : 16, allée du Coteau - 78470 Saint-Rémy-lès-Chevreuse E-mail : gendroncath@aol.com

TRIBUNE LIBRE

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