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La branche au pied du mur

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Face aux besoins pressants du secteur en personnels qualifiés, les partenaires sociaux de la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale affûtent leurs outils pour passer le cap des dix prochaines années. Roger Rohart (CFDT) et Didier Tronche (Snasea), représentant respectivement le collège salariés et le collège employeurs de la commission paritaire nationale de l'emploi, expliquent la philosophie et la méthode.

Actualités sociales hebdomadaires : La commission paritaire nationale de l'emploi [CPNE] a envoyé, début mars, ses observations à la commission paritaire de branche sur le contrat d'études prospectives [CEP] , soit plus de un an après son achèvement. Comment expliquer un si long délai ?

Didier Tronche : D'abord le rapport du CEP [voir ce numéro] fait quand même, annexes comprises, 700 pages. Ensuite, il n'est que la vision du Crédoc. Il a donc fallu analyser et croiser toute cette masse d'informations avec d'autres données que nous avions en notre possession et retravailler les propositions en les élargissant à d'autres préoccupations de la branche. Roger Rohart : En outre, les partenaires sociaux ont dû tenir compte des nombreux chantiers législatifs, comme le projet de loi sur les responsabilités locales en cours d'examen, qui confie aux régions un rôle de chef de file en matière de formation professionnelle, ou la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social qui a été votée le 7 avril (1). La CPNE, qui devait le faire trois fois par an, se réunit tous les mois. Vous voyez sa charge de travail ! Y a-t-il des divergences entre les syndicats de salariés et d'employeurs ?

R. R. : Non. Dans la mesure où les organisations de salariés et d'employeurs ont participé au comité de pilotage du CEP et devant la nécessité de faire face aux besoins criants du secteur, nous sommes sur la même longueur d'ondes. Nous resterons néanmoins très vigilants quant aux suites à mettre en œuvre. D. T. : Sur ces problèmes d'emploi, de formation et de qualification, nous avons un vrai partage de vues. Nous avons travaillé dans un esprit de dialogue social et de construction. Quelle va être maintenant la marche à suivre ?

R. R. : La commission paritaire de branche [CPB], qui s'est réunie le 28 avril (2), va retenir les grands axes prioritaires pour la formation professionnelle dans le secteur social et médico-social. Ces orientations seront ensuite déclinées en fonction des besoins locaux dans les régions dans le cadre d'engagements de développement de la formation [EDDF] signés entre la branche, l'organisme paritaire collecteur agréé [OPCA], les conseils régionaux, les directions régionales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, qui prévoiront des cofinancements, éventuellement l'intervention du Fonds social européen. Que retenez-vous du CEP ?

R. R. : Il fournit un diagnostic des besoins d'emploi et de formation du secteur et nous met au pied du mur. Je retiendrai l'extrême vitalité de la branche puisque entre 1985 et 1998 les emplois ont crû de 29 %, les établissements de 37 % et les personnes prises en charge de 36 %. D. T.  : Il confirme la nécessité d'avoir un OPCA unique pour la branche. Et rend légitime la création d'Unifaf qui, sous réserve de l'agrément ministériel, devrait voir le jour au 1er janvier 2005. Celui-ci analysera l'évolution des emplois et des besoins de formation et aidera les établissements et les services à mettre en place leurs politiques de formation professionnelle. Il s'appuiera sur un véritable observatoire des métiers et des qualifications qui fournira des données territoriales et sectorielles. Ce qui mettra fin aux difficultés engendrées par l'existence des deux observatoires de Promofaf et d'Uniformation dotés chacun de leur propre cahier des charges. La création d'Unifaf est pourtant contestée par l'Usgeres qui milite pour la création d'un OPCA pour l'économie sociale...

R. R. : C'est vrai qu'il y a actuellement tout un lobbying exercé par l'Usgeres (3). Néanmoins, celle-ci n'est pas un partenaire de la branche dans la mesure où elle n'a pas la possibilité de signer des accords. Aussi ai-je confiance dans les partenaires sociaux responsables de la branche pour que le bon sens l'emporte. Des rapprochements avec la branche de l'aide à domicile sont-ils envisageables, comme le préconise le CEP ?

D. T. : Je ne suis pas Madame Soleil. Dans la demande d'agrément de l'accord de branche sur Unifaf, y compris pour l'extension, nous avons bien fait attention à border le champ des établissements et services concernés afin de ne pas mordre sur l'aide à domicile. Cela n'exclut pas qu'il puisse y avoir des discussions entre les CPNE des deux branches sur telle ou telle qualification. Quelles sont les orientations retenues par la CPNE en matière d'emploi et de qualification ?

R. R. : Nous avons mis l'accent sur deux axes prioritaires pour aider les établissements à passer le cap des dix prochaines années. Il s'agit premièrement d'attirer les jeunes dans les formations en travail social et de faire fonctionner l'ascenseur social. C'est dans cette perspective que nous avons développé l'apprentissage pour les moniteurs-éducateurs et les éducateurs spécialisés et que nous allons l'ouvrir à d'autres métiers dès que l'accord sera agréé (4). Deuxièmement, nous voulons promouvoir les salariés en place en relevant leurs niveaux de qualification ou en prenant en compte leurs parcours, par exemple par le développement de la validation des acquis de l'expérience (VAE). D. T. : A partir de là, la commission paritaire de branche va retenir ses orientations nationales en matière de formation professionnelle continue et mutualiser les financements sur des métiers ciblés. Il va falloir prendre en compte l'ensemble des besoins : s'ils sont manifestes chez les travailleurs sociaux, il y a aussi un effort de formation à faire pour les personnels des services administratifs confrontés aux évolutions de leur métier. Les partenaires sociaux devront aussi être attentifs à la sous-qualification des secteurs de la petite enfance et des personnes âgées, à l'augmentation inquiétante des niveaux V dans le secteur du handicap, au départ à la retraite de 50 % des cadres.

En même temps, ils auront à réfléchir aux changements introduits par la loi sur la formation professionnelle et le dialogue social. Quel type de qualification sera accessible par les nouveaux contrats de professionnalisation qui vont remplacer au 1er octobre les contrats de qualification en alternance ? Comment mettre en place, dans un secteur où les temps partiels sont nombreux, le droit individuel à la formation  (DIF)  ?

Vous avez maintes fois dénoncé le fait que la formation professionnelle venait combler les carences de la formation initiale. Allez-vous demander une clarification ?

R. R. : De fait, la formation professionnelle continue d'absorber les retards accumulés par l'Etat en matière de formation initiale, faute d'analyse prospective. 50 % des fonds des plans de formation et 60 % des fonds des congés individuels de formation sont consacrés à la formation initiale. D. T : Avec la réforme de la décentralisation, les conseils régionaux vont se retrouver compétents en matière de formation professionnelle, mais aussi initiale du travail social. C'est désormais avec eux qu'il faudra que nous discutions de la part qu'ils entendent consacrer à chaque pan de la formation. Car autant la formation professionnelle continue doit permettre l'adaptation et la formation d'un salarié, autant elle n'a pas à se substituer à la formation initiale. R. R. : Reste que les conseils régionaux ne connaissent absolument pas le dispositif de formation en travail social et ne mesurent pas l'étendue des besoins. Comment la branche va-t-elle accompagner les établissements dans la gestion de leurs ressources humaines ?

D. T. : Les actions d'accompagnement et les dispositifs d'appui qu'elle aura élaborés vont les aider à mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois. Car les cadres dirigeants vont devoir faire face à des renouvellements importants de personnels- surtout chez les moniteurs-éducateurs, les éducateurs spécialisés, les éducateurs techniques spécialisés, les assistants sociaux -alors qu'il n'existe pas de vivier de personnes qualifiées suffisant. Il va leur falloir trouver les équilibres financiers permettant à la fois de maintenir la qualité des prestations aux usagers, de faire fonctionner leur établissement et d'envoyer une partie de leurs salariés se former.

Cette gestion prévisionnelle ne peut être à courte vue et doit se faire dans le cadre de financements pluriannuels. Elle dépendra donc, aussi, de l'intelligence des financeurs qui autoriseront ou non les établissements à anticiper en recrutant et formant les personnels, hors organigramme, avant que leurs collègues ne soient partis à la retraite. Et si l'on regarde ce qui s'est passé avec l'apprentissage, on s'aperçoit que les conseils généraux sont plus à l'écoute de cette problématique que les services déconcentrés de l'Etat.

Les établissements sont-ils prêts à cette révolution culturelle ?

R. R. : Je suis assez optimiste. Les associations, qui étaient au départ essentiellement gestionnaires, s'impliquent de plus en plus dans les politiques locales. Le CEP a d'ailleurs bien montré qu'une majorité d'entre elles ont aujourd'hui une démarche de projet et une volonté stratégique ou a minima d'adaptation. Demain, la physionomie du travail social ne risque-t-elle pas d'être complètement différente ?

D. T. : Sa physionomie a déjà changé avec l'évolution des modes d'intervention. Mais les processus de formation vont devenir multiples avec la VAE- une sacrée « révolution »  ! -, l'apprentissage, des parcours de professionnalisation qui vont durer plusieurs années... Ce qu'on peut espérer, c'est qu'ils aboutissent toujours à des certifications homogènes et nationales. N'y a-t-il pas un risque par rapport à la culture du travail social ?

D. T. : C'est à nous de veiller à l'accompagnement des formations en situation d'emploi. R. R. : La branche, en développant les formations de tuteurs, devrait permettre de perpétuer la culture du secteur. Certains secteurs comme la prévention spécialisée ou l'internat ont du mal à recruter. Comment allez- vous attirer les jeunes ?

R. R. : L'apprentissage est, sur ce point, riche d'enseignements. Nous nous sommes rendu compte, par exemple, qu'en Picardie, qui traditionnellement voyait la fuite de ses salariés, la quasi-totalité des éducateurs spécialisés formés par l'apprentissage étaient restés. 50 % d'entre eux étaient même demeurés chez leur employeur. Par ailleurs, l'évaluation de l'apprentissage nous a montré que certains apprentis avaient passé sans succès entre deux et dix fois les épreuves de sélection ! Et aujourd'hui ils ont leur diplôme. Le fait de s'appuyer sur la motivation, ce n'est pas rien... D. T. : Certains lieux d'exercice restent néanmoins très peu attractifs : ceux qui fonctionnent sur des arythmies de travail et cassent le rythme personnel du salarié et ceux qui accueillent des mineurs en grande difficulté sociale ou des personnes lourdement handicapées. Sans doute la branche devra-t-elle faire un effort pour mieux faire connaître ces métiers et leurs lieux d'exercice. Mais les pouvoirs publics doivent aussi admettre de prendre en compte leur pénibilité :quelques dizaines d'euros seulement font la différence entre les fiches de paie d'un éducateur qui travaille de 9 heures à 17 heures, du lundi au vendredi, et son collègue mobilisé la nuit et les jours fériés.

LEXIQUE

Collège salariés. Le collège salariés de la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale rassemble la CFDT Santé-sociaux, la fédération nationale santé de la CFTC, la fédération française santé et action sociale CFE-CGC, la fédération santé action sociale CGT, les fédérations santé privée et action sociale de FO. Collège employeurs. L'Unifed (Union des fédérations et syndicats nationaux d'employeurs sans but lucratif du secteur sanitaire, médico-social et social) est née en 1993 de l'union de la FEHAP (Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif), de la FNCLCC (Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer), du Snapei (Syndicat national des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales gestionnaires d'établissements et de services spécialisés), du Snasea (Syndicat national au service des associations du secteur social et médico-social) et du SOP (Syndicat général des organismes privés sanitaires et sociaux à but non lucratif), rejoints en 1997 par la Croix-Rouge française. CPB  (commission paritaire de branche). Créée en 1996 au sein de la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale, cette commission qui rassemble les collèges employeurs et salariés négocie les accords de branche. Elle se réunit tous les deux mois. CPNE (commission paritaire nationale de l'emploi). La branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale a installé, en 1993, cette commission qui réunit les collèges employeurs et salariés afin d'étudier la situation de l'emploi et ses évolutions (elle doit produire un rapport annuel sur le sujet) et de suivre les accords conclus dans la branche en matière de formation professionnelle. Elle donne des orientations qui sont négociées ensuite au sein de la commission paritaire de branche. Elle se réunit tous les mois. Unifaf. Un accord paritaire, qui doit encore être agréé, prévoit la création au 1er janvier 2005 d'Unifaf, un nouvel organisme paritaire collecteur agréé pour la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif. Y cotiseraient les adhérents de Promofaf et une partie de ceux d'Uniformation. Usgeres (Union de syndicats et groupements d'employeurs représentatifs dans l'économie sociale). Au départ, elle était le collège employeurs de l'organisme paritaire collecteur agréé d'Uniformation. Elle s'est constituée en 2001 en groupement d'employeurs de l'économie sociale. Sa particularité est de rassembler à la fois des mouvements et des syndicats d'employeurs.

Face aux besoins de recrutement qui vont devenir criants à partir de 2006, les outils de la branche seront-ils suffisamment opérationnels ?

D. T. : Etant donné le retard qui a été pris, il y aura sans doute une période très difficile à passer. Vu le nombre de personnes à former et les moyens financiers en baisse, nous sommes contraints au niveau de la branche d'établir des priorités. Dans les années 70-80, même si ce n'était pas facile, une équipe arrivait à se serrer les coudes pour qu'un collègue puisse partir en formation en cours d'emploi. Si, demain, la moitié des salariés partent en formation, il n'est pas sûr que cela se passe de la même façon. D'autant que l'environnement a changé : il y a les 35 heures, les publics et les modes d'intervention ont évolué et les professionnels ne se sentent plus forcément aussi reconnus qu'auparavant.

Propos recueillis par Isabelle Sarazin

Notes

(1)  Voir ASH n° 2355 du 16-04-04 et ce numéro.

(2)  Le CEP n'a pas été abordé en tant que tel. Mais les partenaires sociaux ont commencé à réfléchir aux conséquences de la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

(3)  Voir ASH n° 2332 du 7-11-03.

(4)  La DGAS avait subordonné l'agrément de cet accord à la publication de la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, qui doit en permettre le financement - Voir ASH n° 2347 du 20-02-04.

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