La branche française de Défense des enfants International (DEI) (1) interpelle le ministre de l'Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale sur une question qui taraude depuis plusieurs mois les travailleurs sociaux : celle du sort des mineurs étrangers isolés confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE) (2). Depuis la loi du 26 novembre 2003 sur l'entrée et le séjour des étrangers, les mineurs étrangers accueillis dans les services sociaux ne peuvent prétendre par déclaration à la nationalité française que s'ils ont été pris en charge depuis au moins trois ans. Un critère extrêmement restrictif, ces jeunes entrant le plus souvent sur le territoire à l'âge de 15 ou 16 ans. « A défaut d'obtenir un titre de séjour régulier, refusant d'autant plus de quitter le territoire français que les services sociaux leur auront permis d'apprendre le français et qu'ils auront engagé une scolarité ou une formation professionnelle, ces jeunes vont se retrouver dans une situation d'illégalité pour eux et la société française », écrit Jean-Pierre Rosenczveig, président de DEI-France, dans une lettre adressée le 12 avril à Jean-Louis Borloo. Or justement, ajoute-t-il, obtenir des papiers en règle se révèle pour eux quasiment impossible. Le président du tribunal pour enfants de Bobigny relève que les départements « répugnent dès lors à s'engager à l'égard des enfants étrangers non accompagnés s'ils ne peuvent les assurer qu'ils auront une possibilité - sinon une certitude - d'obtenir à leur majorité ou très tôt après un titre de séjour régulier ». Le magistrat dénonce un « piège » pour ces jeunes et estime « urgentissime » de compléter la réécriture de l'article 21-12 du code civil sur la déclaration de la nationalité française. Il propose d'accorder aux mineurs étrangers devenus majeurs un titre de séjour provisoire dès lors qu'ils ont été pris en charge par l'ASE ou la protection judiciaire de la jeunesse. Ce qui leur permettrait de poursuivre une formation ou de travailler.
Pour Jean-Pierre Rosenczveig, c'est cette difficulté à accéder à un titre de séjour qui avait déjà « conduit à des dérapages dans l'usage de l'article 21-12 ancienne formule, quand des jeunes se voyaient proposer de devenir français alors même qu'ils ne faisaient que demander un titre de séjour pour étudier et travailler honnêtement ». Avec des papiers en poche, ils pourraient mieux mûrir leur projet de rester en France, puis demander « un titre plus solide » et, au bout de cinq ans de séjour, solliciter leur naturalisation, explique Jean-Pierre Rosenczveig, qui ajoute que son point de vue est partagé par de nombreux professionnels et élus départementaux (3).
Le président de DEI-France estime qu' « au risque de dénier le travail social engagé sur plusieurs années et de démobiliser des services sociaux déjà dubitatifs sur le sens de leur intervention, les pouvoirs publics ne peuvent pas, comme c'est le cas aujourd'hui, abandonner ces jeunes et les professionnels dans l'impasse où, de plus en plus nombreux, ils ont été conduits ». Il rappelle que les propositions « consensuelles » formulées par le préfet d'Ile-de-France Bernard Landrieu dans son rapport remis à Dominique Versini (4), parmi lesquelles la mise en place d'un titre de séjour spécifique pour tous les mineurs entrant sur le territoire, n'ont pas encore été « suivies de décisions politiques de la part du gouvernement ».
Divergences cependant avec le préfet : alors que ce dernier préconise de privilégier le retour dans le pays d'origine, Jean-Pierre Rosenczveig suggère au contraire de favoriser les entrées légales en France, en négociant des accords de coopération avec les Etats « dont les familles cherchent à assurer l'avenir de leur enfant en les orientant vers notre pays ». Il souligne par ailleurs les limites de l'approche purement policière du problème, à laquelle participent la loi du 26 novembre 2003 et le refoulement massif des mineurs aux frontières : « Dorénavant, beaucoup arrivent par d'autres voies et augmentent le nombre des enfants des rues voués à tous les dangers ».
(1) DEI-France : 21, rue Hoche - 93500 Pantin - Tél. 06 85 84 94 54.
(2) Voir ASH n° 2341 du 9-01-04.
(3) Les travailleurs sociaux réunis au sein du Collectif RIME (voir ASH n° 2352 du 26-03-04), eux, revendiquent la mise en place d'un titre de séjour de dix ans. Proposition que Jean-Pierre Rosenczveig juge irréaliste.
(4) Voir ASH n° 2317 du 27-06-03.