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Un service social en langue des signes à l'hôpital

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A l'unité Information et soins des sourds de l'hôpital la Pitié-Salpêtrière, à Paris, Françoise Galiffet, assistante sociale, pratique la langue des signes. Un interlocuteur privilégié pour une population dont la prise en charge bute sur le problème linguistique.

Les mains s'agitent à toute vitesse, les sourcils sont extrêmement mobiles, la bouche esquisse de grands mouvements quasi silencieux. Avec une parfaite aisance, le téléphone calé au creux du cou, elle convient d'un rendez-vous, traduisant simultanément à sa collègue sourde, expliquant au passage à son interlocuteur entendant la raison de ses silences répétés. A l'unité Information et soins des sourds de l'hôpital la Pitié-Salpêtrière, à Paris (1), Françoise Galiffet est assistante sociale. Au sein de l'équipe pluridisciplinaire de cet accueil spécialisé des adultes sourds, elle assure depuis 1996 le suivi social des consultants et des patients hospitalisés.

Mais sa rencontre avec les sourds remonte au tout début des années 90. « Après dix ans d'exercice comme assistante sociale dans des structures hospitalières en région lyonnaise, je voulais quitter l'hôpital, explique-t-elle. J'ai postulé dans un centre d'aide par le travail [CAT] , porteur d'un projet innovant, qui accueillait uniquement des sourds. » Mais bien plus que le monde des sourds, c'est le contexte d'une structure associative à taille humaine qui l'intéresse. « Pour le reste, je n'avais pas du tout compris de quoi il était question. Quand on disait “sourds”, je n'avais aucune idée de ce dont on me parlait. » L'apprentissage a pourtant été relativement rapide. Les travailleurs sociaux engagés dans la structure se devaient d'apprendre la langue des signes française (LSF). « Alors j'ai appris. A raison d'un cours par semaine, et en situation d'immersion, il m'a fallu environ deux ans pour oser démarrer les entretiens individuels. Et encore, c'étaient des personnes dont je connaissais bien les problématiques, et mes collègues étaient là en cas de difficulté. » Exerçant à mi-

temps au CAT, elle travaille dans des instituts qui accueillent des jeunes, reçoit leurs parents, souvent des adultes sourds vivant en milieu ordinaire. « Je me suis rendu compte que les sourds étaient avant tout des personnes avec des parcours très différents. » Elle découvre les associations, les professionnels qui exercent dans le monde de la surdité. Puis elle rencontre Jean Dagron, médecin et porteur d'un projet de consultation hospitalière spécifique pour les sourds en collaboration avec le milieu associatif (particulièrement le groupe sourds de Aides). « J'avais pris conscience que, dans le droit commun, les besoins des adultes sourds n'étaient pas connus. Et que rien n'était prévu pour assurer le droit à la santé. » Cette réflexion démarrait avec la prise en charge du sida, « qui alertait, faisait réagir. Je me suis dit : il y a tellement peu de professionnels qui utilisent la langue des signes que, si nous ne sortons jamais de nos établissements, les choses n'avanceront pas. »

Un médecin, une assistante sociale, un service d'interprète : c'est le trio de départ. A la Pitié-Salpêtrière, le projet prend corps avec une consultation de quelques heures par semaine. Les deux professionnels assurent l'accueil des adultes sourds. « Rapidement, des questions sociales se sont posées, nous avons eu des demandes de renseignements sur les papiers, les courriers administratifs. En matière d'accès aux soins, les besoins ont été tels que le projet a été soutenu par le ministère de la Santé. Et lorsqu'il a été question de constituer une équipe, au vu des problématiques rencontrées, il nous a semblé qu'un mi-temps d'assistante sociale avait un sens dans cette expérience, sachant que celles de l'hôpital n'avaient pas les moyens de faire face à cette demande. »

DIX CONSULTATIONS HOSPITALIÈRES POUR LES SOURDS

L'unité Information et soins des sourds de la Pitié-Salpêtrière propose depuis 1996 des consultations de médecine générale ou spécialisée aux adultes sourds qui rencontrent des difficultés d'accès aux soins. Ils viennent de l'ensemble de l'Ile-de-France, mais aussi des régions. L'accueil, les consultations et l'accompagnement social sont assurés par des professionnels entendants et sourds, avec l'appui de trois interprètes en langue des signes. Il s'agit de médecins, de professionnels paramédicaux et administratifs, de travailleurs sociaux. Avec 3 065 patients, l'unité de la Pitié-Salpêtrière représente 63 %de la file active actuelle des dix pôles régionaux de soins en langue des signes qui fonctionnent en France. Outre les deux pôles parisiens, celui de la Pitié-Salpêtrière et le pôle « Surdité et santé mentale » de l'hôpital Sainte-Anne, il en existe en effet d'autres,  à Grenoble, Lille, Strasbourg, Montpellier, Marseille, Bordeaux, Rennes et Toulouse. Tous assurent des consultations en langue des signes et disposent d'équipes pluridisciplinaires généralement mixtes- composées de professionnels entendants pratiquant la langue des signes et de professionnels sourds. Un bilan d'activité de ces dix pôles, réalisé fin 2003, met en évidence, parmi les problèmes rencontrés, les difficultés sociales associées. Or aucun des pôles récemment créés n'avait prévu de poste de travailleur social comme priorité dans sa phase initiale.

Depuis la création officielle de l'unité, Françoise Galiffet assure donc - à plein temps désormais - le service social en langue des signes. Parfois adressés par les autres membres de l'équipe, les adultes sourds qui la sollicitent le font, dans leur grande majorité, de leur propre chef. Ils sont en général assez jeunes, entre 18 et 45 ans. Si certains sont en réelle difficulté sociale, d'autres sont en demande de réassurance ou d'explication.

Sortir les sourds de l' « à-peu-près »

C'est un aspect un peu spécifique du travail de l'assistante sociale. Régulièrement, en effet, des personnes qui ne sont pas particulièrement en difficulté demandent une entrevue pour décrypter le sens d'une lettre, effectuer une démarche. « Beaucoup ne comprennent pas vraiment toutes ces démarches. Ce rôle d'éclaircissement des dispositifs est important pour les sourds qui sont souvent dans l'“à-peu-près”. On comprend “à peu près”, on lit “un peu”, on n'est jamais très sûr et l'on vit dans une espèce de flou qui peut être épuisant. Réexpliquer les choses posément avec eux représente une part non négligeable de mon travail. » Si ces reprises sont nécessaires, c'est, affirme Françoise Galiffet, souvent lié aux dynamiques familiales dans lesquelles les personnes se sont construites.

« En général, un sourd est isolé dans sa famille entendante : très souvent, les parents n'utilisent pas la langue des signes. Les jeunes se retrouvent alors dans des situations de communication très pauvre, et nombre de choses importantes sur la vie sociale, l'histoire familiale, le processus d'émancipation ne passent pas. C'est ainsi que l'on peut rencontrer des adultes qui ignorent des aspects de la vie quotidienne qui nous paraissent évidents, par exemple qu'il faut payer un loyer pour vivre dans un logement. » Pour aider les personnes en recherche d'autonomie - beaucoup de sourds sont hébergés chez des parents, des amis - à franchir le pas, Ariane Cousin, éducatrice spécialisée, et elle-même sourde, intervient dans cet accompagnement. Devant l'émergence de besoins éducatifs spécifiques, elle a été recrutée il y a un an. « Son embauche n'était pas prévue au départ, mais je l'ai soutenue car il m'a paru important de renforcer l'équipe sur le volet de la prise en charge sociale », explique Françoise Galiffet.

Ici, l'intérêt du travail avec les professionnels sourds est jugé majeur. En effet, malgré des années de pratique de la langue des signes française, des problèmes d'ordre linguistique se posent toujours. En outre, certains sourds ne s'expriment pas en LSF (ils ne l'ont jamais apprise ou sont étrangers). Ariane Cousin accompagne donc un petit nombre de personnes éprouvant des difficultés à se déplacer dans les transports ou à gérer un budget. « Ce travail, estime Françoise Galiffet, était impossible à faire avec des conseillères en économie sociale et familiale ne parlant pas la LSF. » Outre ce rôle d'apprentissage et d'accompagnement social, Ariane Cousin rend visite aux patients, souvent isolés, hospitalisés dans les différents services. De plus, elle anime des groupes de parole avec le psychiatre de l'unité. « Au travers des témoignages de personnes venues en consultation, on a découvert des situations de grande souffrance au travail, explique Françoise Galiffet. Elles concernent des gens en milieu ordinaire, souvent dans des administrations. On ne leur donne rien à faire, personne ne communique avec eux et ils se sentent totalement impuissants. »

Au-delà de ces situations, les problématiques sont très variées : recherche de logement, problèmes financiers, juridiques, d'insertion professionnelle. Si les situations difficiles ne sont pas plus nombreuses que chez d'autres populations, les parcours sont souvent compliqués : isolement, illettrisme, sourds étrangers, sans-papiers, etc. Et les demandes sont extrêmement larges.

Ainsi, dès la première année, l'unité a reçu des femmes enceintes voulant une aide dans le suivi de leur grossesse. « En fait, les sourds sont venus nous montrer eux-mêmes les domaines où ils avaient envie que des choses se mettent en place. Nous avons essayé de suivre les demandes qu'ils nous présentaient. » C'est ainsi qu'à la maternité, un accueil spécifique pour les femmes sourdes a été créé avec l'appui de l'unité.

Autre exemple : « Au cours des premières années, se souvient Françoise Galiffet, une personne est venue me voir pour un problème de divorce. Je ne pouvais pas dire : “Non, moi je suis assistante sociale hospitalière, je ne m'occupe pas de ça”, puisqu'il n'y avait personne qui puisse prendre en charge cette situation. Mon positionnement est le suivant :j'ouvre ma porte, on discute. Avant de passer le relais, il faut déjà construire une relation d'aide. Ensuite, je vois si je peux intervenir moi-même ou si je dois mobiliser d'autres intervenants. Dans ce cas, je peux les aider, en me déplaçant à l'extérieur, en faisant le lien avec d'autres collègues. J'ai appris à ne pas simplement donner des adresses. Surtout, s'il n'y a personne au bout. »

Depuis, une permanence juridique a été créée à Paris, et d'autres professionnels interviennent auprès des sourds. Mais ils demeurent peu nombreux et l'assistante sociale en langue des signes française de la Salpêtrière fait figure d'interlocuteur privilégié. « Je me considère comme un interlocuteur pour les sourds sur les questions sociales, avec lequel ils peuvent enfin s'exprimer. Je ne suis pas avec eux dans une proximité géographique mais linguistique, ce qui est le plus important. La problématique du langage est centrale quand on travaille sur la relation d'aide. En cas de difficultés sociales importantes, pour une action éducative en milieu ouvert par exemple, le travail ne peut pas se faire avec un interprète : trop de choses vous échappent et vous passez à côté. »

Comment, dès lors, pallier le manque d'interlocuteurs pour les sourds, même si de plus en plus de services proposent des entretiens avec interprètes ? « C'est assez compliqué, du fait du petit nombre de personnes concernées. Il faut penser en termes de dispositifs à une échelle régionale pour que le public soit suffisamment nombreux. Former des gens à la langue des signes française, c'est bien ; mais s'ils ne voient des sourds qu'une fois tous les deux mois, ça ne sert à rien. Sans contact régulier avec des sourds, les intervenants n'auront plus la compétence linguistique nécessaire pour un travail de suivi sérieux. »

Sandrine Pageau

Notes

(1)  Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière - Unité Informations et soins des sourds : service de médecine interne du Pr Herson - 47/83, boulevard de l'Hôpital - 75651 Paris cedex 13 - Tél. 01 42 16 14 70 - Fax : 01 42 16 14 71.

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