Vous leur confieriez vos proches âgés ou handicapés sans hésiter. Reine Chapus, 36 ans, et Sylvie Eyraud, 37 ans, pratiquent l'aide à domicile dans la région du Champsaur-Valgaudemar, dans les Hautes-Alpes, et en sont fières. « M'occuper des personnes âgées, c'est une vocation », affirme Reine. « J'ai peut-être trouvé ma voie un peu tard, précise Sylvie, mais je l'ai trouvée ! » Toutes deux se sentent « tellement utiles » par leur travail...
Ces professionnelles épanouies sont aussi deux des huit salariées de l'ADMR des Hautes-Alpes qui se sont présentées à la validation des acquis de l'expérience (VAE) en 2003. Reine Chapus a obtenu la validation de 11 modules de certification sur 11, donc le diplôme d'Etat d'auxiliaire de vie sociale (DEAVS) (1). Outre la grande satisfaction de se voir reconnue et la promotion immédiate qui a suivi, cela lui a surtout permis de « prendre beaucoup plus de responsabilités » dans son travail auprès d'anciens plus fragiles. Elle peut désormais s'occuper autant de leur personne que de leur ménage, et c'est bien ce qu'elle voulait.
Sylvie Eyraud, elle, a obtenu la validation de huit modules... et se réjouit de ne pas avoir décroché la totalité du diplôme du premier coup. Car cela lui a déjà permis, depuis, de suivre deux formations sur ses points faibles, l'une en ergonomie, l'autre en hygiène et santé, qu'elle juge très adaptées à ses besoins. « Je vais me sentir plus à l'aise quand on va me parler de personnes atteintes d'un Parkinson ou de la maladie d'Alzheimer. J'espère que je saurai mieux m'adapter. J'ai eu affaire à une femme hémiplégique qui n'arrêtait pas de pleurer. Je ne savais que faire... » Elle attend encore avec impatience une troisième session de perfectionnement à l'animation et à la relation d'aide, après quoi elle devrait pouvoir faire valider les modules manquants et obtenir le diplôme. D'ici à la fin de l'année, si tout va bien. La situation devrait être la même pour les cinq autres aides à domicile de l'ADMR Hautes- Alpes qui sont passées devant un jury en 2003, et qui ont décroché chacune de sept à neuf modules. La huitième volontaire n'est, elle, convoquée que début mai 2004.
« En tout cas, elles n'auront pas obtenu un diplôme au rabais ! », juge Linda Chaouche, psychologue du travail et responsable des formations au DEAVS au GRETA de Gap. C'est elle aussi qui a, avec une collègue, accompagné les huit postulantes dans la préparation de leur dossier, au cours de trois journées échelonnées sur cinq mois. Le bilan de l'expérimentation menée par la branche de l'aide à domicile pour la mise au point de la VAE (2) insistait sur l'importance de cet accompagnement pour des salariées souvent peu coutumières de l'écrit. « Il faut aider les postulantes à s'approprier le dossier, expliquer certains termes, témoigne Linda Chaouche. Il faut aussi leur “tirer les vers du nez” pour qu'elles fournissent un exemple de leur expérience pour chaque module. Ces activités font tellement partie du quotidien qu'elles n'imaginent pas devoir les raconter. Il faut surtout les rassurer sur leurs capacités, les valoriser, leur donner confiance en elles. »
Sylvie Eyraud confirme : « Ce qui est difficile, c'est de mettre des mots sur des tâches que nous réalisons tous les jours. Ah bon, il fallait préciser qu'on nettoie le frigo et qu'on lave les légumes, comme si cela n'allait pas de soi ? ou décrire par le menu comment on aide une personne handicapée à se lever de son fauteuil ? Moi, je pensais au début : ils n'ont qu'à venir voir ! »
Soucieuse d'une conduite « pas trop inductive » qui laisse chacune pleinement responsable du contenu de son dossier, Linda Chaouche ajoute, dans un sourire, qu'elle donne cependant « quelques conseils sur les choses à ne pas écrire ou dire au jury. Par exemple, qu'elles font la toilette d'une personne qui s'est souillée parce que l'infirmière ne revient pas avant le lendemain. Ou qu'il leur est arrivé de sortir du paracétamol de l'armoire à pharmacie. Ce sont des pratiques courantes, mais qui dépassent leurs attributions. Elles peuvent être recalées là-dessus. »
Pour les responsables de l'ADMR des Hautes-Alpes, en tout cas, l'expérience est très concluante. « Contrairement à d'autres qui ont poussé le maximum de salariées à tenter l'expérience, nous avions décidé, pour la première fois, d'y aller modestement plutôt que de risquer d'envoyer des gens au casse-pipe, commente le directeur, Gérard Jeanny. Nous avons eu huit volontaires et nous nous en sommes tenus là pour leur assurer un accompagnement sérieux et, si besoin, un accès rapide aux compléments de formation nécessaires pour atteindre la totalité du diplôme. Nous comptons par ailleurs dix salariées qui préparent le DEAVS par la voie classique, en formation continue, et nos capacités financières ne sont pas extensibles. »
Dans un département montagnard qui ne compte que 120 000 habitants, la Fédération ADMR est une puissance avec ses 18 associations locales et ses 450 salariés (la plupart à temps partiel) qui assurent 400 000 heures d'aide à domicile par an. Elle ne compte pourtant qu'une cinquantaine d'auxiliaires de vie sociale diplômées. « Avant, il n'y en avait aucune », précise le directeur qui rappelle que « pendant longtemps, le diplôme ne rapportait aux salariées ni reconnaissance ni rémunération. Avec ou sans, elles étaient payées au SMIC ou, avec beaucoup d'ancienneté, au SMIC + 5 %... »
Depuis 1997, la fédération avait néanmoins décidé un « gros effort » de formation et réussi à mener chaque année une dizaine de salariées à la qualification, grâce à une aide exceptionnelle de l'antenne marseillaise d'Uniformation et à la consommation des (maigres) réserves de la fédération, aujourd'hui épuisées.
Depuis, la situation a changé. D'abord avec l'accord de branche sur les emplois et les rémunérations entré en application en juillet 2003 (3). L'obtention du diplôme se traduit désormais par un passage automatique de la catégorie A (agent à domicile) à la catégorie C (auxiliaire de vie sociale), qui se concrétise par une augmentation de salaire de 25 % (ou de 21 % pour le passage de la catégorie B [employé à domicile] à C). Autre évolution majeure : la possibilité d'obtenir tout ou partie du diplôme par la VAE, généralisée depuis janvier 2003. Une opportunité saisie par la fédération pour donner leur chance de promotion à des salariées motivées... à moindres frais. « Une formation complète au DEAVS coûte 13 000 € , dont 10 % restent à notre charge (4), calcule Jérôme Gigmes, responsable des ressources humaines de la fédération. La préparation à la VAE a coûté 940 € par personne, dont 20 % à notre charge (5) . Si l'on y ajoute les 4 800 € prévus en moyenne pour la formation des candidates à qui il manque des modules, on est encore à un coût infé rieur de plus de moitié à celui du parcours traditionnel. » Autrement dit, à budget égal, la fédération devrait pouvoir conduire au diplôme deux à trois fois plus de candidates.
Ce n'est pourtant pas son ambition. Pour plusieurs raisons. « D'abord parce que les financeurs ne suivraient pas l'augmentation des salaires, constate la présidente, Fernande Caty. Ensuite, parce que nos interventions ne concernent pas que des personnes fragiles. A beaucoup de gens âgés mais autonomes, nous apportons surtout une aide ménagère. Nous réservons les AVS diplômées aux personnes malades, handicapées ou dépendantes. » Cela faisait d'ailleurs partie du « contrat moral » proposé par la fédération aux candidates à la validation : le diplôme supposait un travail auprès des personnes les plus fragiles, avec un horaire au moins à trois quarts de temps, incluant des permanences un week-end sur trois pour les interventions de première nécessité auprès des personnes isolées.
Autre motif à l'objectif désormais fixé d'une dizaine de candidatures à la VAE chaque année : la volonté de ne pas y engloutir tous les crédits de formation. Le directeur a inscrit d'autres priorités dans un plan qu'il juge « ambitieux » par rapport à ses moyens. Par exemple, le passage systématique des nouveaux embauchés par un module d'accueil de huit heures ; ou la proposition du module « sécurité, ergonomie » de 18 heures au maximum d'intervenantes au cours de leur première année d'activité ; puis celle du module traitant d'hygiène et de santé, de 54 heures, au cours de la deuxième année. Il voudrait aussi que toutes les AVS aient droit à une journée annuelle de perfectionnement. Autant de prestations qui mobilisent surtout des formateurs de proximité (une infirmière, un kiné, la psychologue-qualiticienne partagée par trois fédérations ADMR...) mais qui ont néanmoins leur coût.
Pour autant, la fédération va continuer à s'investir dans la VAE. Les bénévoles qui encadrent les associations locales sont invités à la promouvoir et à apporter leur aide aux postulants, notamment pour la préparation des dossiers. Malgré la distance, les appels à faire partie des jurys régionaux à Marseille seront aussi honorés. L'an dernier, Gérard Jeanny, Jérôme Gigmes et Linda Chaouche y ont participé. Avec un jugement partagé sur le sérieux de l'opération et la qualité globale des certifications délivrées. « A raison de quatre ou cinq candidats par matinée, le temps imparti à la discussion avec chacun, une demi-heure, oblige à concentrer les questions sur les modules qui semblent faire problème », conviennent-ils avec le sentiment « qu'on sent vite quand ça cloche ». Tous trois regrettent cependant l'insuffisant cadrage des jurys : « Les critères d'appréciation ne sont pas clairs. La direction régionale des affaires sanitaires et sociales devrait au moins fixer des orientations, juge Linda Chaouche. Certains jurés ont vraiment eu peur d'accorder la totalité du diplôme. » Dernier regret de sa part : l'absence de mise en situation, qu'elle estime pourtant indispensable pour le module d'ergonomie. « Plus d'une fois, j'ai eu envie de dire :Allez, faites les gestes ! A ne juger que sur un dossier et sur une épreuve verbale, on recale peut-être des candidats très efficaces. » Une mésaventure que Reine Chapus espère bien éviter. La nouvelle diplômée aussi est invitée à participer à un prochain jury.
Selon la direction générale de l'action sociale (DGAS), en un an, de mars 2003 à février 2004, 5 785 candidats à la validation des acquis de l'expérience (VAE) sont passés devant un jury. Et 1 874 ont obtenu la totalité du diplôme d'Etat d'auxiliaire de vie sociale. « C'est beaucoup », soulignent avec satisfaction les fédérations d'employeurs. La DGAS se montre peu surprise par l'afflux des candidats car, dit-elle, avant même la parution du décret, « les associations étaient dans les starting-blocks ». Le taux des lauréats qui ont obtenu la totalité du diplôme (32 %), supérieur à celui observé lors de l'expérimentation (25 %), étonne plus. D'autant que les variations entre les régions sont très fortes : l'amplitude va de 13 % en Auvergne à 60 % en Lorraine (6) . Il reste que beaucoup de candidats inscrits dès 2003- jusqu'à un tiers dans certaines régions -ont dû patienter pour n'être convoqués qu'entre mars et juin 2004. Les directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS) ont été débordées par la demande, « qu'il a fallu traiter sans moyens supplémentaires », souligne la DGAS. Un bilan approfondi est en préparation, pour la VAE comme pour le diplôme rénové.
Marie-Jo Maerel
(1) Sur le détail des référentiels d'activités, de formation et de certification, voir ASH n° 2306 du 11-04-03.
(2) Voir ASH n° 2284 du 8-11-02.
(3) Voir ASH n° 2296 du 31-01-03.
(4) En 2003-2004, le reste est financé par le Fonds social européen (FSE) (45 %), le Fonds de modernisation de l'aide à domicile (25 %) et Uniformation (20 %).
(5) Le solde est financé par un engagement de développement de la formation de l'Etat (24 %), le FSE (45 %) et Uniformation (11 %). Pour les formations complémentaires, le montage est encore en cours.
(6) Sans compter les exceptions qui vont de 0 % en Guyane à 96 % en Corse_