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Des réseaux qui changent le regard

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Pertinents malgré certaines fragilités : c'est le jugement porté sur les réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents par une mission d'évaluation de l'inspection générale des affaires sociales. Le dispositif a contribué, selon elle, à une vraie mobilisation sur le thème de la parentalité et à une évoluton du regard des professionnels sur les parents.

Cinq ans après leur création, comment apprécier la pertinence, le coût ou l'efficacité des réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents (REAAP), par rapport aux objectifs initiaux ? Et quel impact peuvent-ils avoir sur l'évolution des comportements ? Un rapport d'évaluation de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS)   (1), commandé en août 2003 par le ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées ainsi que par le ministère délégué à la famille, s'efforce d'apporter des réponses à ces interrogations.

Nés en mars 1999, les REAAP ont pour vocation de mener des actions de soutien à la parentalité. Avec pour objectif, selon la circulaire du 9 mars 1999 (2), dans un contexte où la question des sanctions aux familles « démissionnaires » était déjà posée, de « développer les initiatives déjà prises » en matière d'aide aux parents rencontrant des difficultés et « d'en promouvoir de nouvelles », dans un souci de mise en réseau des différents intervenants. Les idées de base, rappelle la mission de l'IGAS, étaient simples. D'abord, « tous les parents, quelles que soient leurs conditions de vie, rencontrent des difficultés (relationnelles et éducatives) avec leurs enfants et bien souvent ils se sentent désarmés et seuls par rapport à ces problèmes ». C'est alors que « l'échange avec d'autres parents, le partage d'expériences sont des moyens de dédramatiser les problèmes, d'élaborer des solutions, de retrouver des compétences ». Et, pour faciliter ce partage, une dynamique associative, bénéficiant de l'appui de professionnels, paraissait particulièrement indiquée.

Ces postulats de départ se sont vérifiés, selon les rapporteurs, qui portent une appréciation globalement positive sur le dispositif. Ils en soulignent en premier lieu la pertinence en termes de politique d'appui à la parentalité : « Mobiliser, responsabiliser les parents, mettre en réseau les acteurs, constituent de vraies réponses à la crise de la parentalité et des moyens de prévenir des problèmes sociaux importants et persistants. » En outre, « la double visée de valorisation des compétences familiales et de mise en réseau rencontre de plus en plus d'écho dans les évolutions du travail social et dans la volonté de participation des usagers et des citoyens. Les REAAP ont créé un mouvement et un nouveau regard sur les familles auxquels sont attachés à la fois les grandes institutions nationales et les acteurs de terrain. »

Les auteurs du rapport mettent en évidence, dans un premier temps, deux atouts essentiels du dispositif, créé par l'administration mais confié principalement aux acteurs de la société civile. La mobilisation des parents, tout d'abord, qui se sont saisis du dispositif. Et sont parfois à l'origine des projets. Ainsi, dans le Nord, à l'initiative de l'association « Ecole avec les parents », une quinzaine de parents organisent des activités et des réunions mensuelles pour favoriser la réussite scolaire et la relation enfant- parents-enseignant, et pour revaloriser les parents aux yeux des enfants et de la communauté éducative. Les groupes de parole, qui constituent l'une des principales actions des réseaux, illustrent également cette participation réelle et active des parents. Ce mode d'action, en effet, est privilégié dans les départements les plus dynamiques parce qu'il permet « aux parents de prendre en charge des problèmes de manière spontanée, sans médiation ni “vérité officielle” ».

Autre dimension essentielle et autre atout, la mise en réseaux des acteurs de la parentalité : « Tant les acteurs institutionnels que les acteurs de terrain ne cessent de mettre en avant cet effet positif et structurant des REAAP : création de liens entre institutions, mise en relation d'associations, de professionnels et de parents, circulation de l'information et, en définitive, création de véritables réseaux entre acteurs qui, avant les REAAP, s'ignoraient et ne pouvaient pas travailler ensemble. »

Des résistances à l'évaluation

Les réseaux, cependant, ne sont pas sans points faibles. Leur évaluation, en premier lieu, apparaît particulièrement difficile, compte tenu du caractère trop sommaire des données et des outils existants. La mission de l'IGAS s'est donc appuyée sur les quelques travaux déjà réalisés avant d'enquêter auprès des principaux opérateurs et partenaires nationaux, et des acteurs de cinq départements (3). Cependant, elle a relevé, sur le terrain, l'existence de « résistances » et « un impact relativement faible de la culture d'évaluation ». Or, estime-t-elle, il est « impératif de créer une culture de la remontée d'informations et de se donner les moyens de suivre les évolutions ». Les inspecteurs regrettent également l'absence d'étude d'envergure sur les attentes et les satisfactions des parents en matière de soutien à la parentalité. Et proposent la mise en place d'un outil permanent d'évaluation nationale annuelle.

Autre fragilité, le manque de lisibilité du cadre administratif national du dispositif, caractérisé par un partage des responsabilités entre délégation interministérielle à la famille  (DIF) et direction générale de l'action sociale. Il est indispensable, souligne la mission, d'améliorer cet encadrement, notamment en renforçant la fonction d'animation et d'appui méthodologique de la DIF. L'IGAS regrette à ce titre la suppression, en août 1999, de la cellule nationale d'appui technique, centre de ressources et d'animation des réseaux, et propose de réactiver le site www.familles.org, qui offrait aux réseaux et aux parents des informations indispensables, avant d'être laissé à l'abandon faute de financement. Au plan départemental, s'il note la manière positive dont les acteurs ont pu se saisir du dispositif, construisant des architectures adaptées au contexte local, le rapport indique toutefois que les REAAP, comme d'autres outils, « ne sont pas à l'abri des phénomènes habituels de dérive :effet d'aubaine, [...] saupoudrage, complexité des circuits, caractère tardif de l'arrivée des subventions. »

Même si ces réseaux disposent d'autres soutiens que l'Etat - au premier rang desquels les collectivités locales et les caisses d'allocations familiales -, leur financement doit être sécurisé. D'abord parce que les réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents ne sont qu'un dispositif parmi d'autres dans le champ de la parentalité, et que l'enveloppe qui leur est réservée sur la ligne budgétaire « aide à la fonction parentale »   (4) concerne aussi la médiation familiale et le conseil conjugal. Ensuite parce que, s'il apparaît impossible de cerner les coûts et les financements réels, les réseaux fonctionnant grâce à une part importante de bénévolat et à la mise à disposition gratuite de personnels et de locaux, le constat de l'IGAS est tout à fait clair :les crédits de l'Etat stagnent en valeur absolue et baissent en valeur relative sur cinq ans.

Pourtant, l'impact des REAAP en termes de changements des comportements familiaux, professionnels et même administratifs, s'il n'est pas strictement mesurable, est tout à fait perceptible, insiste le rapport. Ainsi, juge l'un des partenaires du dispositif, l'Union nationale des associations familiales, les réseaux présentent l'avantage de faire remonter des problèmes récurrents ou peu connus, comme les grossesses d'adolescentes ou les pères « injoignables »   (5). Les auteurs soulignent leur rôle préventif, qui ne se mesure pas seulement au nombre de familles touchées, « mais en termes de ruptures épargnées, d'incompréhensions surmontées, de rétablissement de la parole et de la communication ». « Si un groupe de parole réunissant huit personnes réussit au bout de quelques réunions à redonner confiance à quelques parents et à leur permettre de parler avec leur enfant ou encore de savoir dire “non” à leur adolescent (car cette difficulté est l'une de celles les plus fréquemment évoquées), le bénéfice en termes humains et financiers peut être considérable. »

Producteurs de lien social, les réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents contribuent également à modifier l'attitude des parents face aux professionnels, « dans le sens d'une plus grande aisance et de plus de capacité à s'exprimer », mais aussi à faire évoluer le regard des professionnels. « Une évolution des pratiques sociales s'est amorcée, témoignent des acteurs de Haute-Savoie. S'appuyer sur les compétences des parents, travailler sur les potentiels des parents et non plus seulement sur les carences : cette nouvelle approche a trouvé un écho très favorable auprès des travailleurs sociaux... » « Les professionnels se sont “enrichis des parents” », estiment pour leur part des associations et parents du Val-d'Oise.

Au final, le rapport de l'inspection générale des affaires sociales esquisse le tableau d'un dispositif accessible, grâce à un maillage territorial relativement équilibré. Cependant, un effort de communication systématique reste nécessaire pour mieux faire connaître ces actions aux parents. En particulier pour toucher, et cela semble une préoccupation des porteurs de projets, « les familles isolées, marginalisées qui, selon une expression imagée, “ne connaissent pas le chemin de l'école” et n'ont pas l'idée qu'elles pourraient être aidées ». Ici ou là ont été mises en place des stratégies pour les faire venir : fêtes de quartier, sorties, invitations répétées à des réunions...

UNE PHOTOGRAPHIE DES RÉSEAUX

Une enquête menée sur l'année 2002 par la délégation interministérielle à la famille constitue, selon la mission de l'inspection générale des affaires sociales, une « bonne photographie » des réseaux malgré « des imperfections ». Groupes de parole et groupes de parents - largement majoritaires - , conférences-débats, activités parents-enfants, écoute individuelle ou permanences téléphoniques, les actions sont nombreuses et très diverses. Près de 70 % d'entre elles s'adressent aux seuls parents, les autres concernant à la fois parents et enfants. Relativement bien réparties sur le territoire, elles sont en outre inscrites dans des lieux de proximité. Près de 3 000 micro-projets sont montés chaque année, soit environ 1,84 action pour 10 000 jeunes de moins de 20 ans. Le nombre de familles concernées « pourrait être comprises entre 130 000 et 200 000 ». Les familles fragiles et les parents en conflit ou en cours de séparation (38 %), le soutien aux parents d'adolescents et de préadolescents (18 %), l'accueil de la petite enfance (16 %) et l'amélioration des relations entre les familles et l'école (15 %) constituent les principaux domaines d'action .

Sans parvenir encore à toucher largement ces publics, les réseaux semblent toutefois avoir trouvé leur place dans un environnement pourtant déjà fort riche en dispositifs divers de soutien à la famille. Bien sûr, observent les rapporteurs, aucun des phénomènes imputés à la crise de la parentalité - violences des jeunes, absentéisme scolaire... - n'a disparu, et les difficultés des familles demeurent. Mais, insistent-ils, « le grand apport des REAAP est d'avoir mis à l'ordre du jour la parentalité comme thème d'intérêt collectif et légitimé l'appui à la parentalité comme objet de politique publique ». « Cette reconnaissance en elle-même est mobilisatrice, ajoutent-ils. Elle a encouragé la société civile à se mobiliser sur le sujet et à inventer de nouvelles formes d'actions de proximité. » C'est pourquoi, conclut l'évaluation, « ce dispositif, peu coûteux pour l'Etat mais au total pertinent et efficace, doit être maintenu et sécurisé, sans être instrumentalisé. »

Sandrine Pageau

Notes

(1)  Evaluation du dispositif des réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents (REAAP)  - Bernadette Roussille et Jean-Patrice Nosmas - IGAS, mars 2004 - Disp. sur le site www.ladocumentationfrancaise.fr.

(2)  Voir ASH n° 2110 du 12-03-99.

(3)  Loir-et-Cher, Mayenne, Nord, Haute-Savoie et Val-d'Oise.

(4)  Dans la loi de finances initiale pour 2004, les crédits destinés aux REAAP s'élèvent à 9,6 millions d'euros.

(5)  Plusieurs REAAP s'attachent ainsi à renouer le dialogue entre père et enfant.

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