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Des psys au cœur de l'accompagnement social

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Parce que les jeunes en difficulté rejettent souvent le face- à-face avec le psychothérapeute, l'association Métabole propose de favoriser cette rencontre en la liant à la démarche d'insertion sociale. Et bouscule l'intervention socio-éducative classique.

Il est des adolescents en difficulté qui n'entrent dans aucune case : leur parcours traumatique émaillé de violence les conduit à rejeter tout cadre institutionnel- y compris les foyers, dont ils supportent mal le caractère collectif de l'accueil. En outre, alors qu'ils ont de nombreux symptômes psychoaffectifs, ils redoutent le face-à-face avec les thérapeutes.

Face à ce constat, l'association Métabole (1) propose depuis dix ans une approche atypique qui bouscule l'intervention socio-éducative classique. Pour répondre aux besoins de ces jeunes âgés de 16 à 21 ans (dont 70 % de filles), l'association veille à ce que la dimension institutionnelle soit la plus discrète possible en proposant un hébergement individualisé qui favorise leur autonomie.

Ils bénéficient donc d'un logement (en foyer de jeunes travailleurs, hôtel ou studio), d'une allocation mensuelle (382  € au maximum, ce qui équivaut, avec la prise en charge du logement, à un SMIC) et d'un titre de transport qui va leur permettre de circuler librement. « Nous essayons de mettre les jeunes dans une situation qui soit la plus proche possible de la réalité, explique Xavier Florian, cofondateur et directeur de Métabole. Nous choisissons ainsi, dans la mesure du possible, des lieux de vie ouverts à tous afin que le jeune ne se vive pas comme stigmatisé. »

Mais la véritable spécificité de Métabole est ailleurs. Elle tient dans une formule :l'accompagnement psychosocial, qui reconsidère radicalement l'offre psychothérapique en la liant, à travers une intervention dynamique, à l'insertion des adolescents dans la réalité sociale. Il ne s'agit ni plus ni moins que de décloisonner deux secteurs d'habitude bien circonscrits : le champ psychothérapique et le champ social. Une petite révolution qui n'a pourtant rien de théorique puisqu'elle s'incarne dans une fonction :l'accompagnateur psychosocial, dont la mission consiste à réaliser à la fois un travail psychothérapeutique et un accompagnement vers une insertion sociale et professionnelle.

Métabole travaille en partenariat avec une équipe de psys - psychologues cliniciens, psychothérapeutes d'orientation analytique - pas comme les autres. Ceux-ci sont en effet invités à sortir de leur cabinet pour accompagner les jeunes dans ce qui constitue le cœur de leur vie sociale, notamment leurs démarches administratives (entretien d'embauche, rendez-vous médical, etc.). Un temps social très éloigné du temps psychique qui fait normalement l'ordinaire de la pratique des psys. Bien qu'ils ne soient pas (et ne doivent pas être) des professionnels de l'insertion sociale, leur rôle consiste à aider les adolescents à activer les partenaires - missions locales, centre d'information et de documentation jeunesse, etc. - dont ils ont besoin. Sans faire à leur place. « Nous tentons de faire comprendre à ces jeunes qu'être autonomes, ce n'est pas être seuls, mais apprendre à trouver les soutiens nécessaires pour avancer », précise Xavier Florian.

Dès lors, tous les moyens sont bons - même ceux qui, au premier abord, paraissent passablement incongrus - pour amorcer un processus thérapeutique. Ainsi, pour assurer les deux séances hebdomadaires que le jeune s'engage à suivre pendant la durée de sa prise en charge, certains psys ont été amenés à fixer leur rendez-vous dans un café, et même dans un McDonald's - lieux- repères considérés comme moins anxiogènes par certains jeunes.

Il s'agit de s'adapter aux « singuliers », comme aime à dire Andréa Zäh, psychologue clinicienne et psychanalyste, responsable des questions cliniques de l'association. Ce qui n'empêche pas qu' « un certain nombre d'invariants demeurent, précise-t-elle. En effet, ces jeunes ont tous subi des abandons, des violences, des rejets... qui ont eu des effets négatifs sur leur psyché. » Et qui se traduisent notamment par la construction de personnalités abandonniques et par des passages à l'acte violents. Ce qui complique la prise en charge thérapeutique et explique combien il est difficile de travailler avec eux dans la continuité. D'autant qu'en arrivant à Métabole, les jeunes rejouent fréquemment sur la scène institutionnelle leur propre problématique. D'où l'intérêt du regard du psy qui va utiliser ce qui se passe dans la vie quotidienne des adolescents comme un matériau clinique brut à travailler en psychothérapie.

Psychotérapie  hors les murs

Reste que cette intervention inhabituelle n'est pas sans interroger l'identité du psychothérapeute. De fait, ses débuts sont marqués par de multiples interrogations : comment justifier cliniquement le fait de sortir du cabinet ? Comment conserver sa posture hors du cadre classique de la consultation ? Une réticence empreinte de curiosité qui explique qu'il ait fallu plusieurs années à Métabole pour constituer une équipe stable et aguerrie de 26 accompagnateurs psychosociaux (pour une petite centaine de jeunes suivis chaque année).

« C'est loin d'être une fonction facile, approuve l'une d'entre eux, Corinne Castets. A priori , en effet, le psy se doit de ne pas entrer dans la réalité de son patient. Mais pour ces ados-là, la scène de l'analyse est partout, dans le cabinet comme à l'extérieur. Or, dehors, leurs représentations se déplient au rythme de la marche. Le mouvement, si cher aux adolescents, rend possible les liens de pensées et leur permet, petit à petit, de distinguer ce qui relève de leur intériorité de ce qui relève de l'extériorité. » Loin d'ajouter à leur confusion, la démarche s'avère structurante pour la plupart des jeunes qui, au fil du temps, finissent par se contenter de séances classiques.

C'est le cas de Bénédicte (2). A 21 ans, elle vient tout juste de quitter le dispositif après trois années passées à se reconstruire : « Ils ont sauvé mon avenir », affirme-t-elle. Mise à la porte de chez elle par son père à sa majorité, après un parcours traumatique, elle a trouvé dans l'association un recours qui lui a permis de continuer ses études et de renouer avec des projets positifs : aujourd'hui, elle est en première année de droit, loue un studio en colocation grâce à une bourse d'études et prévoit déjà de partir étudier « dans le Sud » l'année prochaine. Rien de précipité dans ce choix mais un projet longuement travaillé avec son accompagnateur psychosocial. « Bénédicte a vraiment su se saisir du dispositif, constate Monéra Duboscq, sa coordinatrice. En arrivant, elle souhaitait être “pompière”. Lorsque, grâce à sa psychothérapie, elle a pris conscience des raisons de cette vocation, elle a changé de voie. » Elle veut désormais être avocate pour enfants - ce qui, bien que « toujours dans la réparation, est devenu un choix conscient et plus élaboré », souligne Monéra Duboscq.

Située dans un arrondissement parisien ni trop populaire, ni trop riche, l'association profite du calme du patio d'une copropriété plutôt bourgeoise. Elle n'a rien d'une institution traditionnelle. Elle a d'ailleurs été pensée pour ne pas en être une. Les jeunes s'y rendent régulièrement à titre individuel - ce qui a son importance puisqu'il s'agit, à chaque fois, de favoriser une vie « normale »  - pour faire le point avec leur coordinateur, autre figure clé de Métabole.

Contrairement aux psys, dont le statut est délibérément celui de travailleur indépendant (les jeunes vont à leur cabinet comme n'importe quel patient), les trois coordinateurs sont les garants de l'institution. A ce titre, ce sont eux qui font le lien avec les services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) qui ont orienté l'adolescent vers l'association. En outre, ils sont responsables du bon déroulement du dispositif. Notamment du respect du contrat semestriel que le jeune signe, après trois mois de prise en charge, avec Métabole. Ses objectifs en matière de scolarité, d'hébergement, de démarches administratives, de budget, de santé, etc., y sont énoncés clairement. Y est également mentionné le coût de sa prise en charge- près de 80  € la journée, un chiffre qui reste relativement modeste par rapport à d'autres dispositifs. « Il ne s'agit pas de les culpabiliser, mais de leur faire prendre conscience que cette aide est aussi un acte de solidarité de la société envers eux », explique Xavier Florian.

Souvent éducateur spécialisé de formation, le coordinateur s'assure notamment que les acteurs pertinents ont bien été sollicités en matière d'accès à l'emploi, de scolarité, de logement, etc. Leur présence, fondamentale au début de la prise en charge, « permet de fixer un cadre et compense l'absence de murs », note le coordinateur Hervé Laud.

Autre intérêt de la fonction : ce sont eux qui assument les décisions relatives aux jeunes, pas l'accompagnateur psychosocial qui conserve ainsi un statut à part, du côté de la libre pensée et de la parole. La circulation de l'information - une réunion bimensuelle regroupe les psys, un des trois coordinateurs et la responsable des questions cliniques - s'avère néanmoins essentielle aux coordinateurs pour jongler entre les jeunes, les psys et les exigences de l'ASE. Différents niveaux d'intervention qui font « l'intérêt du travail mais aussi sa lourdeur », constate Hervé Laud.

Sans compter qu'il faut s'adapter au contexte institutionnel en constante évolution. A ce titre, l'équipe de Métabole constate que l'aide sociale à l'enfance fait de plus en plus souvent appel à l'association, non pour une admission, mais pour une évaluation psychosociale du jeune. En outre, l'administration tendant à privilégier une prise en charge légère (type foyer de jeunes travailleurs) pour les jeunes majeurs, Métabole est contraint d'accueillir davantage de mineurs de 16 ans.

Par ailleurs, un nombre croissant de cas très lourds sont orientés vers l'association qui doit gérer des situations de plus en plus complexes. Autant d'éléments qui ne manquent pas d'interroger Xavier Florian : « Allons-nous être victimes de notre succès ? » Conscient des limites du dispositif proposé par Métabole, incapable notamment d'accueillir des adolescents dont les troubles sont incompatibles avec une mise en situation d'autonomie, le directeur de Métabole appelle de ses vœux « une véritable politique de l'adolescence sur le modèle de celle qui existe en direction de la petite enfance ».

Une sortie imprévisible

La pénurie de logements ajoute encore à l'inquiétude : offrir un hébergement individuel, même modeste, n'est- ce pas illusoire lorsque la plupart des jeunes, sans garants familiaux, auront de grandes difficultés, à la sortie, à trouver un logement ? « Ces jeunes nous confrontent à l'évolution de la société, analyse Xavier Florian. Lorsque les outils proposés par la collectivité viennent à défaillir, nous en ressentons immédiatement les effets. »

Si le déroulement de la sortie de la prise en charge demeure imprévisible, « nous essayons de la préparer, remarque Andréa Zäh. Mais, alors qu'au début de l'accompagnement nous avons une technique, un canevas qui va être proposé à chaque jeune - avec notamment cinq entretiens d'admission et son libre choix du psy -, nous n'avons rien à quoi nous accrocher à la fin. » Celle-ci s'ancre en effet dans la singularité de chaque jeune, en fonction de ce qu'il aura appris de lui-même avec son psychothérapeute.

Un aléa limité par une réalité administrative, elle, incontournable : la limite d'âge de 21 ans, date butoir qui sonne l'arrêt du contrat jeune majeur. Tous peuvent bien entendu quitter le dispositif à tout moment. Il s'avère néanmoins que plus la prise en charge est longue, meilleure est l'insertion sociale de l'adolescent. Quant à son mieux-être psychique, il reste difficile à évaluer.

Caroline Dinet

Notes

(1)  Métabole : 24, rue Léon-Frot - 75011 Paris - Tél. 01 44 93 87 77 - Fax : 01 44 93 87 78 - E-mail : contact@metabole.asso.fr - www.metabole.asso.fr.

(2)  Le prénom a été changé.

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