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Le long chemin de l'intégration scolaire

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Si l'obligation scolaire pour tous est inscrite dans la loi,  elle est encore loin d'être respectée pour un grand nombre d'enfants handicapés, en particulier ceux souffrant d'une déficience intellectuelle. Beaucoup d'efforts restent à accomplir afin d'éviter les longs séjours ségrégatifs en établissement spécialisé.

« Qui, dans la salle, porte des lunettes ? Eh bien, imaginez qu'à la fin de mon exposé, un car vous attende à la sortie pour vous emmener dans un établissement spécialisé au sein duquel vous allez vivre pendant les 20 prochaines années. » En apostrophant les centaines de professionnels réunis au colloque organisé par La vie active (1), le philosophe et écrivain Alexandre Jollien entendait dénoncer la ségrégation dans laquelle vivent encore nombre d'enfants handicapés. Après avoir passé 17 ans dans une institution spécialisée, ce jeune Suisse de 29 ans estime que « le handicap qui peut peser le plus lourd au sortir d'un établissement spécialisé est le handicap social lié à l'acculturation ».

Comparée à la plupart de ses voisins européens et près de 30 ans après la loi de 1975 (2), la France accuse toujours un retard non négligeable en matière d'intégration scolaire, notamment pour les jeunes souffrant d'un handicap intellectuel. Manque de places dans le milieu scolaire ordinaire, grandes disparités locales des dispositifs existants rendant souvent aléatoires les parcours scolaires... Pour Marie-Claude Courteix, chef de la mission de l'adaptation et de l'intégration scolaire à la direction de l'enseignement scolaire, ce retard est le fait d'une spécificité très hexagonale : « Nous avons une tradition du traitement à part, de l'éducation séparée [...]. Et le processus d'intégration scolaire entamé depuis le début des années 80 a procédé de démarches concertées issues d'initiatives individuelles qui n'ont jamais remis en question notre culture de protection de ces personnes, voire d'un idéal de réparation. »

Il est temps, reconnaissent à la fois les acteurs de l'éducation spécialisée et ceux du milieu scolaire ordinaire, de sortir des mécanismes de filières conduisant de nombreux jeunes dans des établissements spécialisés pour de longues années. L'effort doit plus que jamais porter sur la mise en place de parcours scolaires souples et personnalisés, via des insertions individuelles ou des dispositifs collectifs tels que les classes d'intégration scolaire  (CLIS) pour l'enseignement primaire et les unités pédagogiques d'intégration  (UPI) pour le secondaire. « Il faut passer d'une logique de la place à une logique de la trajectoire, à une flexibilité des itinéraires », estime Charles Gardou, vice-président du Conseil national « Handicap : sensibiliser, informer, former », lancé en avril 2003 par Julia Kristeva.

Si cette flexibilité des parcours a été facilitée par certaines mesures adoptées ces dernières années, à l'exemple des 6 000 postes d'auxiliaires de vie scolaire créés à la rentrée 2003 ou encore de l'ouverture programmée d'un millier d'unités pédagogiques d'intégration d'ici à 2007 (3), beaucoup de progrès restent à accomplir.

Il est indispensable, note Charles Gardou, d'arrêter d'enfermer les enfants handicapés dans des catégories peu pertinentes : « Est-ce sérieux, par exemple, de parler d'enfants atteints de trisomie 21, comme s'ils avaient la même histoire familiale, le même désir d'apprendre et le même degré de déficience alors que seuls 31 % d'entre eux sont atteints d'une déficience intellectuelle sévère ? » Pour d'autres professionnels, il est temps d'apprendre à voir la personne plutôt que son handicap afin de lui offrir des réponses appropriées. Les dispositifs collectifs d'intégration en milieu scolaire ne peuvent apporter une réponse efficace au regard de ces étiquettes, prévient Marie-Claude Courteix : « Une classe d'intégration scolaire, par exemple, devra accueillir des enfants qui auront en commun un retard mental moyen. Mais celui-ci peut très bien concerner des élèves présentant des pathologies très différentes. La CLIS n'est donc pas conçue pour des enfants trisomiques dont les besoins sont extraordinairement différents. »

La construction de parcours scolaires adaptés implique une prise en charge collective et une évolution des pratiques à laquelle les professionnels ne semblent pas toujours préparés. Du côté de l'école d'abord, avec des enseignants du primaire qui doivent apprendre à intégrer les interventions extérieures des médecins, orthophonistes et psychologues dans leur champ professionnel. Et accepter de ne plus être les seuls « maîtres à bord », selon l'expression de Charles Gardou. Un  « syndrome d'appropriation » auquel n'échappent pas les acteurs de l'éducation spécialisée, affirme Louis Vaney, psychopédagogue et président du Centre de formation continue pour adultes de Genève : « Beaucoup de professionnels n'acceptent pas l'idée que d'autres, considérés comme moins bien formés à la prise en charge des enfants handicapés, puissent prendre le relais. » Les équipes médicales et éducatives des services d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad), amenées à intervenir au sein de l'école, connaissent bien cette difficulté. « On est confronté à des contraintes partenariales très importantes du fait que nous investissons le territoire de l'autre. Notre intervention remet à chaque fois en cause sa pratique personnelle. Il réalise qu'il n'est pas tout puissant », explique Serge Fichet, directeur d'un Sessad en Saône-et-Loire.

LA VIE ACTIVE : DE L'ENFANT À LA PERSONNE ÂGÉE

L'association La vie active s'occupe de la prise en charge des enfants, adultes et personnes âgées handicapés. Créée en 1963 sous le nom d'Association laïque pour l'éducation et la formation professionnelle de la jeunesse, elle devra faire appel, en 1968, à une souscription auprès des personnels de l'Education nationale pour obtenir des fonds lui permettant de poursuivre son action. Aujourd'hui, elle compte plus de 70 établissements et services (instituts médico-éducatifs, instituts d'éducation motrice, Sessad, centres d'aide par le travail, établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, centres d'hébergement et de réinsertion sociale, etc.) dans le Pas-de-Calais. « Il est important d'essayer de changer le regard des enfants par la présence des élèves handicapés à l'école, explique son président, Jean-Marie Alexandre. Mais on s'aperçoit que la population que nous accueillons a changé. Alors qu'autrefois, on voyait uniquement des handicaps intellectuels, nous recevons aujourd'hui des enfants avec des handicaps associés qui posent plus de difficultés. Il faut donc aborder cette question avec beaucoup d'humilité et, surtout, avec la volonté de mettre en place un panel de solutions adaptées à des situations que l'on rencontre à un moment donné. » La vie active : 6 ter, rue des Bleuets - 62000 Arras -Tél. 03 21 21 50 70 -E-mail : vie.active.formation@wanadoo.fr.

Abattre des cloisons

Ces cloisonnements paraissent d'autant plus durs à abattre que l'information sur l'accueil des jeunes handicapés ne circule pas toujours parmi les enseignants. Il n'est pas normal, explique cet autre responsable de Sessad, que la plupart des écoles découvrent le plan Handiscol' au moment où son service doit intervenir dans l'établissement et qu'aucun travail préparatoire n'ait pu être accompli en amont. Pourquoi, s'interroge-t-il également, est-il si difficile de faire venir les enseignants aux réunions de synthèse annuelles du Sessad ? En regroupant autour d'une table l'ensemble des personnels (psychiatre, psychologue, médecin de rééducation fonctionnelle, etc.) impliqués, c'est pourtant une occasion unique d'échanges et de partage d'informations. Plus généralement, les professionnels mettent l'accent sur le manque de formation à l'intégration scolaire pour les professeurs du premier (4) et du second degré. Charles Gardou trouve regrettable qu'il « n'y ait dans les Instituts universitaires de formation des maîtres que quelques bouts d'heures, souvent facultatives, afin d'aider les enseignants généralistes à accueillir ces enfants ». Mais, au-delà, il faut aussi, insiste Marie- Claude Courteix, développer d'autres compétences, en particulier « dans des champs de formation pluri-professionnels afin de favoriser le rapprochement des deux cultures, celle des établissements spécialisés et celle des établissements scolaires ».

Si cette immersion en milieu ordinaire permet à l'enfant atteint d'une déficience intellectuelle d'acquérir les apprentissages scolaires de base et des savoir-être facilitant son intégration sociale, elle s'avère aussi bénéfique pour les autres élèves et les enseignants. Pour les enfants ne souffrant d'aucun handicap d'abord, dans la mesure où les efforts de leurs camarades peuvent avoir valeur d'exemple. De plus, précise Bertrand Coppin, psychologue et directeur de formation de l'école d'éducateurs spécialisés de Saint-Omer, côtoyer des élèves handicapés permet de faire très tôt l'expérience de la tolérance : « Le contact et l'observation d'un camarade aux besoins différents valent souvent mieux que tous les exposés sur le sujet. »

Si nombre d'enseignants redoutent, quant à eux, d'accueillir les enfants présentant des handicaps mentaux, ces appréhensions disparaissent assez rapidement. « Un peu plus de six mois après la création de l'UPI, les professeurs sont unanimes à dire qu'ils ont un regard différent sur la conduite de leur classe. Le fait d'être confrontés à une très grande difficulté intellectuelle[...] leur permet de réfléchir beaucoup plus précisément à leurs pratiques et à leurs modes d'évaluation, de façon à ce que leur classe ne soit plus la classe de la sélection, mais celle de la réussite pour tous », observe Alain Bavay, directeur de section d'enseignement général professionnel adapté et initiateur d'un projet d'unité pédagogique d'intégration dans le Pas-de-Calais.

Attention, avertissent néanmoins les professionnels, à ne pas recréer un système de filière en opposant dispositif collectif d'intégration (pour les élèves ayant besoin d'une organisation et d'un fonctionnement adaptés) et intégration individuelle. « Ce n'est pas parce qu'un enfant aura été dans une classe d'intégration scolaire qu'il devra nécessairement continuer son parcours dans une unité pédagogique d'intégration », précise Marie- Claude Courteix. Il est tout aussi important de ne pas tomber dans une rigidité dogmatique qui rejetterait en bloc l'apport des établissements spécialisés. Si l'intégration doit bien entendu rester la règle, il faut veiller à ne pas céder aux pressions d'une opinion en faveur d'orientations systématiques dans le circuit scolaire ordinaire. « On voit un mouvement, sans doute porté par les médias, qui correspond à une idée généreuse de décloisonnement. Mais il peut y avoir là un déni des besoins réels de l'enfant. Déni qui est parfois aussi le fait des familles elles-mêmes, dont les souffrances et la culpabilité peuvent conduire à cultiver l'illusion que l'enfant pourra quand même faire exactement comme les autres sans qu'on s'occupe de sa spécificité », relève le pédopsychiatre Thierry Sabountchi.

Les professionnels, à l'exemple d'Alcide Carton, inspecteur de l'Education nationale, estiment impératif de maintenir l'ensemble des solutions disponibles pour permettre des allers-retours : « Mettre d'un côté les “bons intégrateurs” et de l'autre “les méchants ségrégateurs” est une opposition stérile. Ça ne me choque pas qu'un enfant aille dans un institut médico-éducatif pour un moment afin de se ressourcer et de mieux apprendre. »

L'intégration scolaire doit donc s'appuyer sur une évaluation rigoureuse des possibilités de l'enfant, destinée à vérifier que les exigences minimales en termes de socialisation, de comportement et d'acquisition des apprentissages sont bien remplies, explique Thierry Sabountchi. Sinon, on risque « de créer chez l'enfant des blocages, des refus [...] et surtout de le priver, à des âges de la vie où l'on fait le plus facilement des acquisitions, de la possibilité de faire des progrès ailleurs ». Il faut donc, conclut Alexandre Jollien, accepter l'idée qu'il existe autant d'intégrations que d'individus.

Henri Cormier

Notes

(1)  Les 11 et 12 février, sur le thème « Déficience intellectuelle : intégration scolaire et établissements spécialisés. Quels enjeux ? Quels accompagnements ? »

(2)  Actuellement en cours de réforme.

(3)  Voir ASH n° 2344 du 30-01-04.

(4)  Selon le rapport de janvier 2003 du député Yvan Lachaud, 40 % des CLIS sont assurées par des enseignants non formés - Voir ASH n° 2329 du 17-10-03.

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