Il témoigne de la part du ministère de l'Intérieur d'une vision très négative des usagers, à l'opposé de celle des professionnels. Celui-ci les voit comme dangereux, alors que nous les percevons avant tout comme des personnes en difficulté qui ont besoin d'aide. En outre, ce texte amène à une remise en cause des règles de secret professionnel et de confidentialité des informations qui, contrairement à ce pensent certains, ne sont pas là pour protéger les intervenants, mais les usagers et leur vie privée ; il porte atteinte aux libertés publiques. Enfin, il dénature complètement le travail social qui se fonde d'abord sur la relation de confiance tissée avec l'usager et sur la croyance dans ses capacités à se prendre en charge. Par ailleurs, si l'on raisonne en termes d'efficacité, ce texte est contre-productif : plus personne n'acceptera de se confier aux professionnels.
C'est vrai qu'il est urgent de retrouver le sens du travail social. Les professionnels - particulièrement les assistants sociaux et les éducateurs de milieu ouvert -sont malmenés et instrumentalisés par la gestion technocratique du social : on les critique parce qu'ils veulent travailler dans la durée ! Ce mouvement, qui ne date pas d'hier - il avait commencé avec la première étape de la décentralisation - , s'inscrit dans l'évolution néo- libérale de notre société. Mais depuis deux ans, il s'est accéléré avec la réduction des crédits d'insertion, du logement social, la suspicion à l'égard des usagers : délinquants, « faux chômeurs »... Le travail social doit réaffirmer ses valeurs face à la vision dominante de la société, étriquée et sécuritaire.
J'en suis intimement convaincue. C'est d'ailleurs l'un des projets de l'association « 7-8-9 vers les états généraux du social » dont je suis membre. L'association va réfléchir en concertation avec les usagers, les travailleurs sociaux et les employeurs, à la rédaction d'une charte technique et déontologique. Elle devrait donner aux professionnels les moyens de faire reconnaître leur conception et le sens de leur intervention. Nous avons déjà retenu quatre axes sur lesquels nous devons travailler : le respect dû aux usagers et la nécessité de les associer aux décisions les concernant ; l'urgence de lutter contre les discriminations et de réinventer la protection des groupes et des populations qui aujourd'hui font peur ; le refus de l'instrumentalisation des acteurs du social ; la triple exigence d'une solidarité nationale, d'une égalité territoriale et de politiques sociales sur le moyen et le long terme qui implique un devoir d'alerte des professionnels lorsque les dispositifs ne protègent plus les usagers.
Non bien sûr. Mais elle sera le résultat d'un consensus entre les usagers, les professionnels et les employeurs. Et nous espérons bien que la réflexion qui va s'engager à son sujet - pour aboutir en octobre prochain - permettra une meilleure reconnaissance du travail social par ces trois partenaires et lui donnera davantage de possibilités d'agir.
Je ne le crois pas et beaucoup d'ailleurs y sont hostiles. En revanche, le CSTS, outre son rôle d'expertise, doit réaffirmer son rôle de veille sur les pratiques professionnelles, ce que nous venons de faire avec la lettre que nous avons adressée au ministre de l'Intérieur. Il ne doit pas hésiter à donner son avis sur les dérives possibles de certains dispositifs et promouvoir les pratiques intéressantes. Les professionnels doivent se sentir soutenus et être convaincus de l'utilité de cette instance pour rappeler les principes fondamentaux du travail social. En tout cas, c'est bien en ce sens que le bureau actuel a décidé de travailler. Propos recueillis par Isabelle Sarazin
(1) Voir ce numéro.
(2) Et titulaire de la chaire en travail social du CNAM.