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Aider à construire le lien parental

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Le suivi psychologique des parents adoptifs s'arrête, selon les départements, soit après le jugement d'adoption plénière, soit après l'agrément. « L'arbre vert »   (1), projet innovant, reçoit les parents avec leurs enfants dans un espace de jeu ou pour des entretiens individuels ou familiaux. Et aide à nouer une filiation qui ne va pas forcément de soi.

« C'était l'année dernière, j'étais avec mon fils dans le métro et un monsieur qui regardait nos peaux de couleurs différentes s'est mis à dire que rien ne remplacerait les parents biologiques, que les parents adoptifs n'étaient pas de vrais parents... Le lendemain au travail, je me suis effondrée et j'ai demandé à la directrice du jardin d'enfants l'adresse d'un professionnel pour consulter », raconte la maman du petit Antoine (2). Aujourd'hui, elle fréquente régulièrement « L'arbre vert », lieu de soutien à l'adoption, ouvert depuis octobre 2001 dans les locaux de la caisse d'allocations familiales  (CAF) de Paris du quartier populaire des Amandiers (XXe arrondissement). Pendant qu'elle donne le biberon à son deuxième enfant, né à Paris d'origine malienne, Antoine taquine d'autres enfants adoptés dans une grande salle conviviale aménagée en  « coin jeu » en fonction de l'âge des enfants et en « coin parents » avec des fauteuils. Des adultes échangent leurs angoisses et leurs joies : la peur d'une fugue, la longue attente entre la première rencontre avec l'enfant et le jugement d'adoption, les interrogations sur leur état sanitaire, le pays d'origine et ces mots de la langue maternelle qui resurgissent par moments...

« L'arbre vert », créé par l'association Enter (qui signifie « greffer » ), s'inspire des Maisons vertes de Françoise Dolto, ces espaces de socialisation et de prévention des troubles de la relation parents-enfant. Deux psychologues spécialistes de la petite enfance accueillent les parents et les enfants pour des séances d'écoute et d'échange autour du jeu. Les fondatrices de l'association, deux pédo- psychiatres et une assistante sociale, ont aussi prévu des entretiens individuels ou familiaux avec des psychiatres psychanalystes. Enfin, l'association Enter peut, à la demande de partenaires extérieurs, organiser des groupes de parole sur des thèmes précis (le tissage des liens, la période de latence,  l'adolescence, etc.)

Un projet à risques

L'idée d'Elisabeth Fortineau, vice-présidente de l'association, est venue de son expérience de pédopsychiatre au sein d'un intersecteur de psychiatrie infanto- juvénile à Paris et des entretiens de candidats à l'adoption qu'elle réalise pour le conseil général de la Seine-Saint-Denis : « J'avais remarqué que les familles adoptives arrivaient tard, lorsque les problèmes étaient déjà bien enkystés. Je me disais que c'était vraiment dommage qu'elles n'aient pas osé consulter avant. » Et puis il y a ce constat, partagé par de nombreux professionnels de l'adoption, d'une lacune dans le soutien psychologique après l'adoption. Or justement, depuis quelque temps, l'idée que la filiation adoptive ne va pas de soi, et pose des problèmes spécifiques dans la construction du lien parental, est admise. Après une longue période de tabou (les parents adoptifs avaient eu un tel désir d'enfant qu'ils ne pouvaient qu'être de bons parents, en plus ils « sauvaient » un enfant...), l'adoption est désormais largement considérée comme un projet comportant des risques. « Elle est une institution de filiation et non pas d'aide à l'enfance malheureuse », précise le docteur Pierre Levy-Soussan, directeur de la Cofi (voir encadré ci-contre).

Dans ce contexte, on peut comprendre que la volonté affichée par le gouvernement en janvier de doubler le nombre d'adoptions laisse les professionnels perplexes. S'il s'agit de bâcler les procédures d'agrément alors que la consultation d'un psychiatre est déjà facultative dans certains départements, ou de moins contrôler les adoptions internationales, cette mesure pourrait se révéler dangereuse. « Tous les enfants ne sont pas adoptables et tous les parents ne sont pas prêts à adopter », rappellent les professionnels.

UNE CONSULTATION SUR L'ADOPTION

La Consultation filiations (Cofi-CMP)   (3) , seule consultation en Ile-de-France axée sur les questions d'adoption, fait partie de l'association Phymentin, créée par le professeur Michel Soulé (4) il y a 30 ans, pour la protection et l'hygiène mentale de l'enfant, et financée par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales. Au départ, les psychiatres y pratiquaient l'expertise dans les cas de séparations, de placements d'enfants, puis les agréments en vue de l'adoption. Ces professionnels, consultés aussi lorsqu'il y a une insémination artificielle avec donneur, ont été amenés à s'interroger sur la filiation en général. L'actuel directeur, le docteur Pierre Levy-Soussan, a orienté plus spécifiquement cette consultation vers le champ de l'adoption, qui « éclaire mieux les enjeux généraux de la filiation, car le fait de se passer de la filiation biologique fait intervenir encore plus le psychique ». Les couples peuvent venir à n'importe quel moment du processus de l'adoption, lorsqu'ils sont encore en train d'hésiter entre la procréation médicalement assistée et l'adoption, ou juste après avoir eu l'enfant, au moment crucial de fabrication de la parentalité dans les premières interactions. En complémentarité avec « L'arbre vert », cette consultation est plus en lien avec le soin, puisqu'on y fait aussi des bilans psychomoteurs, psychologiques, orthophoniques.

Un besoin bien compris des institutions

« L'arbre vert », lieu de prévention et non de soin, s'inscrit dans cette évolution des mentalités et correspond à un besoin bien compris par les organismes qui subventionnent l'association (voir encadré ci-dessous). La procédure d'agrément, validation administrative de l'aptitude à adopter, dure précisément neuf mois, le temps de la gestation naturelle. Elle fait aujourd'hui office de préparation à la parentalité : les futurs adoptants se soumettent à l'enquête d'une assistante sociale et rencontrent un psychologue ou pédopsychiatre, selon le choix du département. Mais, une fois l'agrément délivré, ils n'ont plus de contact qu'avec l'assistante sociale pour sa visite annuelle. Il leur faut attendre en moyenne trois ans avant d'avoir leur enfant, sans soutien psychologique. Puis la nouvelle tombe du jour au lendemain.

Dans un souci de traiter les parents adoptifs comme n'importe quelle autre famille, les pouvoirs publics n'ont prévu aucun suivi psychologique spécifique aux adoptants. Viviane Luccin-Akindou, chef du bureau des adoptions au conseil général de la Seine-Saint-Denis, a pourtant relevé une vraie demande d'accompagnement : « Certains parents reviennent voir l'assistante sociale, même plusieurs années après, lorsqu'ils sentent un flottement dans la relation à l'enfant. Mais en tant qu'administration devant respecter la neutralité, nous ne sommes pas les mieux placés pour les aider, car ils culpabilisent et se sentent jugés. » Pour toutes ces raisons, elle a accueilli avec enthousiasme la proposition d'Elisabeth Fortineau de créer un lieu de soutien psychologique destiné aux familles adoptives. Et le conseil général est devenu l'un des partenaires du projet.

Comme la maman d'Antoine, de plus en plus de parents adoptifs font naturellement la démarche d'aller consulter des spécialistes. L'équipe de « L'arbre vert » a reçu une soixantaine de familles en 2003, essentiellement parisiennes et franciliennes, et songe à étendre ses prestations. Souvent, les parents viennent juste après l'adoption, profitant de leur congé parental. C'est une bonne idée, dans la mesure où « certains dysfonctionnements survenus assez tôt seront irrattrapables », a constaté Pierre Levy-Soussan.

A la sortie de la pouponnière ou de l'orphelinat, beaucoup d'enfants souffrent de troubles de l'attachement, liés à leur première histoire affective douloureuse. « Cela se manifeste très vite et peut générer chez les parents adoptifs des difficultés à tisser des liens avec ces enfants qui, finalement, font tout pour mettre à l'épreuve cette relation affective, mettant parfois leurs parents en échec. Ces difficultés premières vont en générer de secondaires », explique Elisabeth Fortineau.

Le corps social a eu tendance à banaliser cette parentalité et, du coup, les adoptants se trouvent encore plus démunis lorsqu'ils ne se sentent pas confirmés par le regard et l'attachement de l'enfant. Ainsi, le désir qu'a, un jour ou l'autre, tout enfant de s'imaginer des parents différents des siens pourra fragiliser certains d'entre eux qui prendront à la lettre cette phrase : « vous n'êtes pas mes vrais parents »... Et, à partir d'une remarque banale, l'enfant risque de déstabiliser toute la relation parentale.

Parmi les parents qui fréquentent « L'arbre vert », on trouve beaucoup de travailleurs sociaux, sans doute plus prompts à se questionner et à utiliser les structures proposées. Certains ont déjà repéré des difficultés et désirent d'emblée s'entretenir avec un spécialiste, d'autres sont simplement curieux et petit à petit, en observant leur enfant évoluer dans le cadre du lieu d'accueil, ils désirent parler pour mieux comprendre ce qui se passe. Alors, ils s'autoriseront à aller voir l'un des deux psychiatres de l'équipe.  « Les parents ont besoin de faire la part des choses entre ce qui relève de l'histoire pré-adoptive de l'enfant et ce qui concerne le lien avec eux », constate Pascal Richard, pédopsy- chiatre.

Le partage des rôles est clair entre les deux psychologues qui animent l'espace de jeu pour les moins de 6 ans et leurs parents, et les deux pédopsychiatres qui reçoivent sur rendez-vous. Les deux lieux fonctionnent en complémentarité et les quatre spécialistes échangent leurs informations toutes les semaines.

L'espace de jeu sert à « mettre en scène la parentalité » à travers l'observation du comportement : partage des jouets, respect du lieu, agitation, réactions aux transitions, tolérance à la frustration, voracité... Prendre le temps d'observer son enfant évoluer parmi d'autres permet aussi d'éviter des erreurs. Ainsi, par besoin de normalité, certaines mamans vont inscrire leur petit à l'école ou au centre de loisirs à l'âge habituel, alors que le lien affectif n'est pas encore assez solidifié. Le fait de ne pas l'avoir vu grandir depuis le premier jour de sa vie induit des décalages, car les besoins d'un enfant qui a vécu en collectivité dès sa naissance ne sont pas les mêmes que celui qui a bénéficié de soins maternels. Enfin, « L'arbre vert » peut faire office de point de repère : certaines mères célibataires y trouvent le tiers absent, des enfants y découvrent leur premier espace de socialisation.

UN PROJET PARTENARIAL

Créé par l'association Enter (fondée en 2000), « L'arbre vert » fonctionnait avec un budget de 52 000  € en 2003. Ce lieu d'accueil est financé par la caisse d'allocations familiales, la direction des affaires sanitaires et sociales et la Mairie de Paris, le conseil général de la Seine-Saint-Denis et la direction générale de l'action sociale.

Le rôle de l'équipe est de permettre aux parents de détecter leurs capacités à être de « bons » parents. « La parentalité adoptive, explique Elisabeth Fortineau, est un processus qui se construit à partir de la rencontre de deux histoires, celle de l'enfant et celle des parents. Nous sommes là pour que les parents adoptifs arrivent à se sentir parents tout court. Mais ce n'est pas donné, c'est au prix de tout ce travail. »

Sophie Caillat

Notes

(1)  CAF de Paris : 4, rue d'Annam - 75020 Paris - Tél. 01 47 97 89 19 - « L'arbre vert » est ouvert le lundi de 15 h 30 à 18 h 30 et le mercredi de 9 heures à 12 heures pour les moins de 6 ans et leurs parents - Participation aux frais : 6  € ; entretiens individuels et familiaux sur rendez-vous, participation libre de 10 à 25  €.

(2)  Le prénom a été changé.

(3)  Consultation filiations-centre médico-psychologique : 20, rue de Dantzig - 75015 Paris - Tél. 01 53 68 93 46.

(4)  Aujourd'hui retraité, ce pédopsychiatre reconnu avait participé en 1966 à la rédaction de la loi sur l'adoption plénière et était membre du Conseil supérieur de l'adoption.

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