« Si l'employeur a l'obligation générale d'assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs placés sous son autorité, il incombe aux autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels de se tenir informées des dangers que peuvent courir les travailleurs dans le cadre de leur activité professionnelle. » C'est sur la base de cette déclaration de principe que le Conseil d'Etat vient de reconnaître, dans une série d'arrêts rendus le 3 mars, la responsabilité de l'Etat du fait de sa carence fautive à prendre des mesures de prévention des risques liés à l'exposition de travailleurs aux poussières d'amiante.
Le ministère des Affaires sociales avait saisi le Conseil d'Etat après avoir été jugé responsable, en première instance puis en appel, de la contamination de quatre salariés exposés à l'amiante et décédés depuis. Selon la Haute Juridiction, la cour d'appel a valablement jugé les faits dont elle était saisie. D'une part, les juges ont considéré qu'alors que le caractère cancérigène de l'amiante avait été mis en évidence dès le milieu des années 50, les autorités publiques n'ont entrepris, avant 1977 (1), aucune recherche afin d'évaluer les risques pesant sur les travailleurs y étant exposés, ni pris de mesures aptes à en éliminer ou à en limiter les dangers. Et, d'autre part, qu'il n'était pas établi que les mesures instaurées à partir de 1977 pour limiter ces risques aient constitué une protection efficace pour les salariés ainsi exposés. Sur la base de ce constat, le Conseil d'Etat estime que la carence de l'Etat a constitué une faute de nature à engager sa responsabilité.
Très attendu par les milliers de victimes de l'amiante (3 000 décès par an environ), cette décision pourrait, sur le plan de l'indemnisation des personnes concernées, avoir un impact au-delà du champ strict de l'amiante et toucher d'autres maladies professionnelles. Dans un communiqué de presse commun du 3 mars, l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva), le Comité anti-amiante Jussieu et l'Association des accidentés de la vie (FNATH) soulignent cet enjeu majeur. Ils insistent également sur la nécessité pour le gouvernement d'engager enfin une réforme d'ampleur de l'organisation de la prévention des risques professionnels. Pour sa part, le ministère des Affaires sociales « a pris acte » de l'arrêt du Conseil d'Etat « et va l'analyser pour en tirer les conséquences ». Restera à trancher une question importante dont le Conseil d'Etat n'était pas saisi : celle d'une éventuel partage des responsabilités entre les employeurs et l'Etat.
(1) Décret du 17 août 1977 apportant une protection aux travailleurs contre les risques d'exposition aux poussières d'amiante.