Recevoir la newsletter

Etablissements pour personnes âgées : le malaise des directeurs

Article réservé aux abonnés

Manque criant de moyens et responsabilités écrasantes... Les directeurs d'établissements d'hébergement pour personnes âgées en ont assez d'être ainsi écartelés. Pierre Louis (1), en Gironde, et Norbert Navarro, dans le Puy-de-Dôme, s'alarment dans nos colonnes (2).

Pierre Louis Directeur d'une maison de retraite en Gironde

« En tant que directeurs d'établissements pour personnes âgées, nous nous attachons chaque jour à améliorer le sort de nos résidents en offrant des conditions de travail satisfaisantes à nos personnels. Pour autant, les aléas de la vie des établissements et les comportements humains ne cessent de nous interroger sur les vicissitudes de notre métier. Deux récentes affaires, la mise en examen, en octobre 2003, d'un directeur de maison de retraite à Reims pour “homicide involontaire”, après le décès, en septembre, d'un pensionnaire victime de la canicule et la condamnation en janvier dernier d'un directeur de maison de retraite à Livry-Gargan à cinq mois de prison avec sursis après un incendie ayant fait 13 morts, nous ramènent à cette douloureuse réalité. Ces mises en accusation peuvent concerner chacun d'entre nous.

Ces deux affaires symbolisent le malaise et les contradictions qui entourent le travail des directeurs d'établissements, notamment de maisons de retraite. En effet, la démarche mise en œuvre par l'Etat depuis plusieurs années dans le secteur des personnes âgées consiste, avec raison, à mieux réglementer le fonctionnement des structures afin d'améliorer les conditions de vie des personnes âgées qui y résident, mais sans, hélas, débloquer les moyens correspondant à ses exigences comme à ses déclarations. Il s'ensuit un décalage entre ce qui est communément exigé des établissements et ce qu'ils peuvent en général offrir. Cet écart atteint son paroxysme lorsque des doutes, des craintes ou des circonstances malheureuses exacerbent la colère des familles au point de les amener à saisir la justice. Ces mises en accusation conduisent bien souvent à des instructions judiciaires et à un traitement médiatique qui jette en pâture à l'opinion les directeurs, qui deviennent des boucs émissaires idéaux.

Et pourtant, le métier de directeur consiste, aujourd'hui plus que jamais, à gérer les contradictions et les imperfections du système : apporter des réponses humaines à des questions éthiques, adapter des textes généraux à des situations particulières, mettre en œuvre une démarche qualité avec des moyens limités, équilibrer un budget sans maîtriser les coûts, être garant de la sécurité sans décider des moyens, répondre aux difficultés de l'instant et devoir élaborer une stratégie... Happé par le quotidien, le directeur n'a même plus le temps de réfléchir au sens de son métier.

Il lui est surtout demandé de faire appliquer des réglementations coûteuses, complexes et nombreuses dont la mise en œuvre est difficilement compatible avec le fonctionnement, les contraintes et les moyens des établissements. On exige de lui une grande souplesse pour adapter les unes aux autres afin de permettre aux établissements de fonctionner tout de même, dans l'enveloppe imposée et en lui faisant accepter une prise de risque qui lui sera amèrement reprochée, le cas échéant, par le juge d'instruction. Les directeurs, gestionnaires pragmatiques, ont une logique de coût ;ils se voient opposer une logique de répartition de budget par les financeurs.

Le risque de la hausse des contentieux

Cet écart entre les attentes des familles et les possibilités des établissements peut faire craindre un accroissement des contentieux et du risque pénal pour les directeurs. Cela s'explique pour plusieurs raisons :accroissement des obligations contractuelles des établissements, plus grande exigence des familles en raison du prix élevé des prestations, multiplication des dispositions législatives et réglementaires prévoyant des incriminations pénales, volonté de faire peser sur un directeur de proximité les insatisfaction nées pour partie des promesses de l'Etat, évolution des mentalités chez les victimes et leurs familles, volonté accrue d'obtenir une indemnisation, gratuité de la voie pénale à la charge du ministère public, tendance sécuritaire de la société qui veut trouver un responsable-coupable expiatoire...

Les effets du consumérisme peuvent ainsi conduire à ce que tout accident ou incident, bénin ou grave, réel ou supposé, ait des conséquences importantes sur le fonctionnement des établissements. Une intoxication alimentaire, un incendie, la présence d'amiante, un accident du travail, une légionellose, un conflit social, un mouvement de grève, une erreur de tarification, une intrusion, un vol, une agression, une panne de chauffage, un problème technique, une erreur dans la distribution de médicaments, une fugue, une chute, une contention, un manque de diligence, un défaut de surveillance, une sécurité insuffisante, un différend avec une famille, une suspicion de harcèlement moral ou de maltraitance, une inondation, la canicule (3)... Les directeurs savent, à leurs dépens, que tout cela peut arriver.

Ces contraintes de plus en plus lourdes qui pèsent sur le directeur vont de pair avec un renforcement de sa responsabilité pénale. La responsabilité, notion relevant du domaine moral, est la capacité de répondre de ses actes face aux valeurs que l'on a adoptées. La responsabilité pénale, notion juridique, se définit comme le fait d'être judiciairement reconnu comme ayant transgressé une interdiction posée par une règle de droit pénal. S'il existe des règles morales dont le non-respect n'est pas sanctionné par le droit pénal, il existe également des omissions ou des actes, parfois bénins (inattention, maladresse, méconnaissance, oubli), qui ne heurtent pas la conscience sociale mais sont réprimés par la loi pénale. Cette distorsion entre la conscience morale et le droit pénal touche durement ceux qui assument des tâches de responsabilité, et notamment les directeurs d'établissements.

L'évolution de la législation la plus récente n'est d'ailleurs pas de nature à rassurer les directeurs d'établissements car elle recherche dans le fait le plus anodin ayant des conséquences dommageables le motif à une incrimination pénale qui peut conduire à une condamnation puis permettre une interdiction d'exercice (4).

Si l'on veut donc tenter de maîtriser la question de la sécurité des établissements, le directeur devrait mettre en œuvre une démarche comprenant une auto-évaluation de la sécurité suivie d'un plan d'amélioration et d'une demande de moyens correspondants. Il faudrait que chaque directeur soit à même de faire un état des lieux de la sécurité selon le même principe que ce qui est proposé dans le domaine de la qualité avec le questionnaire d'auto- évaluation Angelique (5) par exemple. Mais en vérité il n'existe pas à ce jour d'instrument permettant, à partir de la connaissance, l'analyse, voire l'interprétation des textes, de procéder de manière simple à une évaluation de la sécurité car les référentiels existants considèrent la question de la sécurité comme acquise, ce qui n'est pas toujours le cas. Quel directeur peut affirmer aujourd'hui qu'il est certain de respecter toutes les règles qui s'imposent à lui ?

[...] Il nous faut changer de comportement vis-à-vis des financeurs, ne pas auto-limiter nos demandes à hauteur des budgets que l'on sait pouvoir nous reconduire mais argumenter fortement les besoins nécessaires au motif de l'indispensable sécurité des personnes.

Avec un peu plus de 3 500 titulaires du CAFDES pour 24 500 établissements et services relevant du secteur social et médico-social et le report de la parution du décret sur le niveau de qualification des directeurs, la question de la formation est également pertinente. Peut-être est-il possible de réfléchir au contenu de celle-ci pour la mettre à la hauteur des récentes contraintes de sécurité et de prévention exigées des établissements et des risques encourus en cas de non-respect de celles-ci. Pour le personnel, et dans le secteur des personnes âgées notamment qui fonctionne très largement grâce à des “faisant fonction”, il y a aussi un grand besoin de formation. S'agissant de la sécurité, dont le principal obstacle est le facteur humain, si les salariés font mal, ne savent pas faire ou ignorent ce qu'ils doivent faire, c'est généralement parce qu'on ne leur a pas appris ou pas suffisamment répété. D'où la nécessité de faire des formations régulièrement et notamment dans les domaines de risque émergents comme celui de la maltraitance par exemple. Lorsque des journées d'information ou de réflexion sur la maltraitance ont lieu sous l'égide d'associations ou de directions départementales des affaires sanitaires et sociales, on ne peut que conseiller aux établissements d'y participer afin de permettre une nécessaire remise en cause et de se prémunir de la routine.

Le directeur, nouveau Sisyphe

En cas d'instruction judiciaire, le juge et les experts requis par le tribunal auront pour but de rechercher tout manquement à une règle de droit. Compte tenu de la foison de textes et des difficultés quotidiennes à bien les connaître et à les faire appliquer parfaitement, on peut penser que bien rares seraient les directeurs, avec la meilleure volonté du monde, qui ressortiraient indemnes d'une telle enquête. On ne peut donc que conseiller la souscription d'une assurance collective couvrant le directeur et les salariés qui sont susceptibles de voir leur responsabilité recherchée dans l'exercice de leurs fonctions. De telles assurances peuvent couvrir la protection juridique, l'indemnisation des dommages causés à autrui, l'écoute psychologique et le maintien du salaire en cas d'empêchement du fait d'une procédure judiciaire. Cette politique de protection du personnel peut être le complément à une politique d'amélioration de la sécurité.

Tant que le directeur règle les problèmes les plus urgents sans approfondir les questions “qui fâchent” et en espérant qu'avec un peu de chance tout se passera bien, il peut rester serein. Lorsqu'il commence à maîtriser certaines contraintes, qu'il en devient plus exigeant, qu'il se pose des questions, qu'il cherche des réponses, qu'il prend conscience des obligations qui pèsent sur lui, il perçoit alors la nature par essence impossible de sa tâche et le doute ne le quitte plus. Tel Sisyphe condamné à pousser éternellement un rocher au sommet d'une montagne, il travaille sans relâche et désespère de jamais en venir à bout. »  

MAPAAR Home Marie Curie : avenue Edouard-Bourleaux - 33140 Villenave- d'Ornon -Tél. 05 56 75 91 60 E-mail :pierre-yves.louis@wanadoo.fr Norbert Navarro Directeur d'une maison de retraite dans le Puy-de-Dôme et délégué départemental de l' Association des directeurs d'établissements d'hébergement pour personnes âgées (Adehpa)

« Vous me connaissez, vous m'avez déjà rencontré, je suis facilement repérable, je suis Superman...

Je suis un super héros, je sais tout faire, je suis génial. Le code civil, le code des marchés publics, le code du travail, le code de la santé publique, le code de l'action sociale, je les connais tous par cœur.

Et puis, le droit administratif, le code pénal, le code de procédure pénale, la réglementation en matière d'hygiène, les règlements particuliers, les circulaires ministérielles, préfectorales, les arrêtés du maire de la commune, tous je les connais, tous je les apprends par cœur. Un super héros a une mémoire fantastique, c'est bien connu.

Bien sûr, je ne perds pas une ligne du Journal officiel que je lis intégralement chaque jour, pour me tenir au courant des multiples modifications du contexte réglementaire et législatif, comme tout super héros doit le faire.

Il est vrai que j'ai le temps, puisque dans mes journées de travail qui comptent rarement plus de 12 heures, y compris souvent le week-end, je suis responsable d'une PME de près de quatre millions d'euros de chiffre d'affaires annuel, qui emploie une quarantaine de salariés variés. A ce titre, je dois veiller à son bon fonctionnement, à sa gestion administrative, au recrutement du personnel, à la gestion des emplois et des carrières.

Je prépare, fais voter et fais exécuter le budget, je m'occupe des achats, des approvisionnements, je mets les fournisseurs en concurrence et je passe les marchés publics.

Bien sûr, je suis à l'écoute de mon personnel, de mes “clients” et de leurs familles, je suis en contact permanent avec la direction départementale des affaires sanitaires et sociales et le conseil général, j'entretiens de bonnes relations avec les caisses d'assurance maladie.

Sur mes jours de repos, je vais donner des cours à la fac ou dans les écoles, pour former de futurs professionnels au monde merveilleux de la gériatrie.

Et puis, je fais des projets, j'anticipe, je coordonne, je rédige, j'argumente, je protocolise, je conventionne, je projective... Je... Je... Je suis complètement crevé... Superman est fatigué...

Pas surprenant, puisque je suis le seul cadre de l'établissement, et donc corvéable 335 jours et nuits. Voire plus, puisque maintenant les juges peuvent me reprocher de prendre quelques jours de congés au mois d'août.

Ah ! oui, j'avais oublié de me présenter, je suis un directeur de maison de retraite pour personnes âgées dépendantes. Un des quelques milliers de directeurs de maison de retraite qui se battent depuis des mois pour que ce gouvernement cesse de prendre les personnes âgées dépendantes pour des sous-citoyens, des sous-êtres, indignes de considération car ne représentant rien sur le plan électoral.

Deux collègues mis en examen dont l'un est déjà passé au tribunal, condamné pour n'avoir pas mis en œuvre les moyens que les tutelles nous refusent régulièrement. Visiblement la chasse aux empêcheurs de mépriser les vieux tranquillement est ouverte. Taïaut ! Taïaut ! Inculpez, condamnez, j'en veux du beau trophée, de la tête empaillée de directeur râleur.

Superman est fatigué

Comme plus de la moitié des directeurs de maison de retraite de France, je vais bientôt me retrouver derrière les barreaux. Tant mieux, car Superman va pouvoir se reposer... Enfin !

[...] Allez, Messieurs les juges, inculpez, inculpez ceux qui se sont battus pour que la catastrophe n'arrive pas... A mort, Cassandre, et comme le disait si bien Guy Béart, « le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté ». Surtout, laissez en paix ceux qui font tout depuis des mois, pour que les directeurs n'aient pas les moyens de s'occuper dignement des personnes âgées. D'ailleurs, que leur reprocher à ces beaux messieurs, puisqu'ils ne savaient pas...

[...] Au fait, Monsieur Raffarin, Monsieur Mattei, Monsieur le juge, si un jour votre vieille mère ou votre vieux papa, malheureusement atteint de la maladie d'Alzheimer, est accueilli dans un établissement pour personnes âgées dépendantes, profitez-en pour essayer de rencontrer le directeur de l'établissement, s'il y en a encore un. Vous verrez, c'est une personne intéressante, un Superman... Un Superman fatigué, désabusé, mais un Superman quand même. Surtout si, dans les conditions de travail et de vie qui sont les siennes, il continue à diriger son établissement, entre deux convocations chez le juge d'instruction. »

Résidence Gautier : Place du Coudert - 63116 Beauregard-L'Evêque Tél. 04 73 68 02 83 E-mail :beauregard.mapad@libertysurf.fr.

Notes

(1)  Pierre Louis est aussi l'auteur du Guide de la réforme des établissements pour personnes âgées : conventions tripartites et démarche qualité - Editions Seli Arslan : 14, rue du Repos - 75020 Paris - Tél. 01 43 70 18 71.

(2)  Sur les responsabilités et le statut des directeurs d'établissements sociaux et médico-sociaux de la fonction publique, voir également ce numéro.

(3)  Sur le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la canicule, voir ce numéro.

(4)  Loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels - Voir ASH n° 2174 du 7-07-00 ; et loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale - Voir ASH n° 2254 du 15-03-02.

(5)  Voir ASH n° 2193 du 15-12-00.

TRIBUNE LIBRE

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur