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Tenir le cap éducatif

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Fondée sur le travail commun de partenaires institutionnels ou associatifs très divers, la veille éducative intéresse, au fil des mois, de plus en plus d'acteurs locaux. Mais cette démarche de prévention des ruptures scolaires et éducatives souffre encore de certaines fragilités.

Leur démarrage a été modeste. En 2002, année de lancement véritable des cellules de veille éducative, elles n'étaient qu'une trentaine de villes à avoir choisi de les mettre en œuvre au plan local. Aujourd'hui, le dispositif monte progressivement en puissance. Plus de 60 municipalités en France, et bientôt 70, ont élaboré un projet en ce sens. Le concept, assez novateur, semble bien répondre à une attente du terrain.

C'est en tout cas ce qu'indiquent les études qui, réalisées pour le compte de la délégation interministérielle à la ville (DIV), entre octobre et novembre 2003, dans une dizaine de sites (1), apportent quelques premiers éléments de bilan (2), malgré le peu de recul. Elles mettent en évidence, selon la DIV, « un très grand intérêt et une mobilisation de plus en plus forte des acteurs locaux, concourant ou non à l'éducation et à la prévention, pour une démarche qui pose comme principe fédérateur la nécessité d'instaurer et de développer une continuité éducative à l'échelle d'un territoire ». Si, souvent, la veille éducative est venue donner un contenu formel à une démarche déjà existante, elle présente aussi pour les opérateurs un certain nombre d'avantages. En premier lieu, la possibilité de réaliser ou d'affiner un diagnostic partagé des situations de rupture ou de décrochage scolaire. Elle est aussi l'occasion de s'interroger sur les dispositifs existant en matière d'éducation et de prévention et sur leur pertinence. Enfin, le travail en réseau permet de questionner les pratiques professionnelles et institutionnelles « avec un objet de préoccupation commune : les jeunes en rupture scolaire et/ou éducative, et d'avancer vers la construction d'une culture commune », indique la DIV. Reste que, pour l'heure, comme le souligne l'un des chargés d'étude, il y a encore « peu de résultats tangibles disponibles sur la veille éducative, peu de comptes rendus. La démarche fonctionne entre les acteurs, mais de façon peu formalisée, peu visible. » On peut toutefois évaluer les premiers effets de cette démarche, soutient Catherine Froissard, chargée de l'une des études. « La veille éducative donne un éclairage à des situations de jeunes jusqu'à présent occultées ou en tout cas mal connues, elle crée du lien entre différentes actions, met en cohérence des acteurs très divers. Et cette cohérence produit de la mobilisation. »

ORGANISER UNE CONTINUITÉ ÉDUCATIVE SUR UN TERRITOIRE

Lancé le 27 novembre 2001 par Claude Bartolone, alors ministre délégué à la ville, dans le cadre du programme de prévention et de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, le plan d'action sur la veille éducative se fondait sur un nouveau concept : la démarche de veille éducative, qui vise à garantir pour tous les enfants et les jeunes les conditions optimales et équitables de leur développement physique, psychologique, cognitif et social (3) . Il s'agit, dans les sites prioritaires de la politique de la ville et sous la responsabilité du maire ou du représentant de l'intercommunalité, de mobiliser les élus, les établissements scolaires, les intervenants sociaux, les professionnels de l'insertion et de la santé, les parents, pour concevoir et organiser dans le territoire une continuité éducative destinée en particulier aux jeunes en situation d'échec scolaire ou quittant prématurément le système scolaire sans diplôme ni qualification. Dans un esprit de « bienveillance éducative », la démarche s'appuie sur un travail collégial au sein d'un réseau de partenaires, acteurs institutionnels ou associatifs, animé par un coordonnateur. Une aide financière de l'Etat permet de cofinancer ces postes de coordination, mais aussi des expertises et des programmes de formation spécifique. En 2002, la délégation interministérielle à la ville a consacré un budget de 450 000  € pour aider au démarrage des projets. L'année dernière, près de 750 000  € ont été consacrés au développement de la veille éducative dans une cinquantaine de villes.

Des difficultés méthodologiques

Globalement, cette démarche de mobilisation dans la lutte contre l'échec scolaire et ses conséquences sociales est donc bien perçue. Placée sous l'égide du maire ou d'un représentant de la structure intercommunale, elle s'appuie sur un réseau d'acteurs locaux d'une très grande diversité, confronte les pratiques et situe l'action éducative dans un territoire donné, celui d'un quartier ou d'un collège. Ce qui ne l'empêche pas de demeurer fragile, car elle repose trop souvent sur des volontés individuelles et se heurte à des problèmes méthodologiques et à de réelles résistances au changement.

Les acteurs locaux témoignent en particulier de leurs difficultés à articuler la veille éducative avec les dispositifs éducatifs ou de prévention existants (contrat éducatif local, contrat d'accompagnement à la scolarité, etc.), mais aussi à concilier les méthodes, les objectifs, les logiques, les temps et les contraintes propres à chaque institution. Ainsi, témoigne Jacqueline Costa-Lascoux, directrice de recherche au CNRS-Centre d'études de la vie politique française de Paris, « il faut, dans certains départements, neuf mois pour obtenir un rendez-vous au centre médico-psycho-pédagogique pour un jeune qui a des difficultés psychologiques. »

Compte tenu de ces obstacles, certains considèrent déjà comme une grande avancée le fait d'avoir pu construire un projet global et cohérent à l'échelle d'un territoire. « Souvent, observe Frédéric Bourcier, adjoint au maire de Rennes et président du réseau français des villes éducatives (RFVE), on se contente d'empiler des actions sans s'interroger sur leur cohérence. Ici, la question est posée de façon claire. » Pour lui, l'un des premiers enjeux de ce projet partagé est de diffuser le potentiel éducatif d'un territoire. Ainsi, à Rennes, afin de faire connaître tous les dispositifs, les acteurs locaux ont eu l'idée de réaliser un atlas de l'éducation, à la disposition de toutes les familles. « Bien sûr, ce dispositif de veille éducative, poursuit Frédéric Bourcier, est arrivé après beaucoup d'autres. Les acteurs sont déjà mobilisés dans le contrat éducatif local ou sur les volets prévention du contrat local de sécurité. C'est pourquoi, pour ne pas épuiser les acteurs dans une “réunionnite” aiguë, nous avons choisi d'intégrer le projet de veille éducative à des dispositifs déjà existants. »

« Cette dynamique désormais enclenchée au niveau national consiste à apprendre à réfléchir ensemble, à rogner les angles de ce que l'on pense être une certitude au niveau de notre institution, estime pour sa part Guy Caillat-Grenier, responsable de la mission ville de la préfecture de la région Ile-de-France. Il n'est pas question de réinventer des réponses et des solutions, mais plutôt de partir de l'existant. »

La démarche oblige donc les différents partenaires à écouter et à comprendre l'institution voisine, afin de mutualiser les volontés et les compétences, au service du jeune dans son parcours éducatif. C'est une véritable culture commune qu'il faut développer, insiste Jacqueline Costa-Lascoux : « Il faut oser critiquer la logique institutionnelle au nom d'un décloisonnement. Il ne s'agit pas de demander à l'éducateur spécialisé d'être dans la logique de l'Education nationale : mais, chaque institution ayant sa logique propre, il faut les analyser en les respectant. On avance quand chacun dit ses contraintes, ses difficultés. C'est ainsi que l'on pourra voir où sont les résistances, qui ne sont pas seulement corporatistes, mais relèvent parfois simplement d'objectifs différents. » Jacqueline Costa- Lascoux voit donc dans la veille éducative une chance d'élaborer une « culture critique » partagée par les différentes institutions et structures, à même, selon elle, d'éviter un essoufflement des partenariats.

Reste à résoudre la question de la confidentialité et du partage des informations, aujourd'hui encore au cœur des préoccupations des acteurs impliqués. Et peut-être plus encore des travailleurs sociaux, pour qui ces questions sont récurrentes dès lors qu'il s'agit de travailler en partenariat. La difficulté tient à la vocation même de la veille éducative - dont l'un des intérêts réside dans cette possibilité de croisement des informations - qui doit résoudre des cas concrets, et apporter une réponse individualisée à des situations de jeunes en rupture éducative et sociale.

Entre respect de la vie privée, devoir de réserve et secret professionnel, il est malaisé de trouver une voie. Au niveau local, certains acteurs ont pourtant su inventer des réponses. A Dreux, ils ont élaboré une « charte déontologique ou de confidentialité » pour le partage des informations. Un document est en cours de réalisation dans le département de l'Essonne. Ici ou là, d'autres ont choisi de distinguer très clairement le comité de pilotage, composé du maire et des responsables institutionnels ou associatifs, et les cellules de veille opérationnelles, plus techniques, où sont étudiées les situations des jeunes, en présence des intervenants de terrain. Ces difficultés constituent l'un des freins les plus puissants à l'action et aux perspectives de la veille éducative.

Des perspectives qui se résument en un mot : la prévention. Parvenir à repérer les difficultés d'un jeune au cours de son parcours, une fois la démarche bien rodée, est en effet l'objectif de la veille éducative. « Il s'agit, insiste Guy Caillat- Grenier, face à une situation donnée, de passer progressivement d'une réaction immédiate à un repérage précoce plus efficace des partenaires. De passer de la guérison à la prévention. »

Viser l'intégration dans un système éducatif global

Cette dimension de prévention, les promoteurs de la veille éducative la défendent avec ardeur. D'autant que l'une des études réalisées pour le compte de la DIV met en évidence, dans quelques sites, « la tentation de la veille éducative de verser assez vite vers la prévention de la délinquance » et « l'urgence d'engager un débat de fond avec les conseils généraux sur l'articulation de leur mission de protection et de prévention » avec cette démarche. « Il faut se situer dans une politique éducative, et non de prévention, trop ambiguë », défend François Ménard, chargé de mission à la délégation interministérielle à la ville, qui pointe « les limites d'une approche de la veille éducative en termes de prévention de la délinquance ».

Certains voient d'ailleurs dans la veille éducative une façon de réaffirmer l'éducation face aux orientations sécuritaires actuelles. « Les attaques sont lourdes aujourd'hui contre ces dispositifs un peu cousus main, qui s'efforcent d'agir sur des sujets qui échappent aux compétences des uns et des autres ou relèvent de la compétence de plusieurs, affirme Claude Lanvers, délégué interministériel à la ville adjoint. Notre fierté à tous, c'est pourtant de mettre au premier plan des objectifs l'intégration dans un système éducatif global. Il nous faut tenir très ferme le cap éducatif. »

Jacqueline Costa-Lascoux met en garde les acteurs de la veille éducative : « Si l'on ne parle que de ses méthodes, la veille éducative pourrait être absorbée par d'autres politiques, axées notamment sur la prévention de la délinquance. Or la veille éducative s'adresse à des publics plus larges de personnes en difficulté, aux souffrances cachées, à tous ces jeunes qui sont en dehors des circuits, avec un regard beaucoup plus large que la prévention de la délinquance. Elle va bien plus loin qu'une réponse à une atteinte à l'ordre public. La veille éducative n'est pas le développement d'une cellule de vigiles locaux, c'est une qualité d'analyse, une qualité d'attention, une véritable philosophie politique de l'équité sociale. »

Sandrine Pageau

Notes

(1)  Agglomération de Grenoble, Courcouronnes, Dreux, Evry, Gennevilliers, Le Havre, Gonesse, Ramonville-Saint- Agne et Vigneux-sur-Seine.

(2)  Qui ont fait l'objet d'une présentation, le 17 décembre 2003, lors d'une rencontre sur « La veille éducative, une démarche collégiale de prévention des ruptures scolaires et éducatives », organisée à Levallois-Perret par la DIV, en partenariat avec la mission ville de la préfecture de la région Ile-de-France et le centre de ressources « Profession banlieue ».

(3)  Voir ASH n° 2239 du 30-11-01 et n° 2252 du 1-03-02.

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