Qu'on ne s'attende pas à trouver dans cet ouvrage un nouveau traité de l'action sociale. Jacques Ladsous laisse cela aux experts. C'est simplement son regard qu'il nous propose, son regard de témoin exceptionnel sur les cinquante dernières années qui ont vu la structuration du champ professionnel de l'action sociale.
De son parcours, il ne dit presque rien, sinon qu'il est issu d'un milieu modeste et qu'il a compris, à travers les visites qu'il effectuait avec son père dans les familles, « qu'une main tendue, il fallait la prendre et la serrer avant que de la remplir ». Seule la préface de Serge Vallon vient rappeler les multiples engagements de cet éducateur spécialisé, retraité depuis 1987 mais aussi secrétaire général du Cedias et vice-président des Centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active, pour qui le travail social ne se conçoit qu'au service de l'homme et dans une perspective de transformation sociale.
L'auteur s'efface donc avec humilité derrière les rencontres qui l'ont marqué, ces hommes et femmes qui ont incarné l'action sociale, ces « animateurs de génie » qui n'ont pas seulement participé à la construction d'une pensée sur le social, mais ont tenté de traduire leurs idées en actes. Et c'est à une relecture très personnelle de l'évolution des idées, des combats, des espoirs, que ce chrétien de gauche, profondément laïc, nous invite, faisant revivre à travers ses souvenirs, ou leurs écrits, tout une série de figures : saint Vincent de Paul, Jean-Jacques Rousseau, mais aussi, plus proches de nous, Bernard Lorry, qui fut en 1975 directeur général de la population et de l'action sociale, René Lenoir, secrétaire d'Etat chargé de l'action sociale en 1974, et Nicole Questiaux, la première - mais éphémère - ministre de la Solidarité nationale en 1981... Trois responsables qui eurent une vision politique de l'action sociale et dont les idées - et l'auteur nous rappelle combien elles étaient innovantes à leur époque - ont laissé des traces durables et préparé le terrain aux avancées législatives en matière de lutte contre les exclusions et de droits des usagers...
Force est de constater pourtant que, malgré le génie et l'ambition de quelques-uns, la mobilisation et l'engagement d'une frange de professionnels, des expérimentations menées ici ou là, l'action sociale n'a guère été une priorité des gouvernements successifs. Et que, malgré les lois qui ont été votées, la tâche des professionnels n'est pas facile dans une société dominée par l'économie, le repli sur soi, les réponses sécuritaires, l'exigence du risque zéro. Avec le danger de transformer le travail social en un simple outil de contrôle social...
Pas question pour autant de baisser les bras, ni de renoncer, défend, décidément infatigable, Jacques Ladsous. Qui tire de l'histoire écoulée le sentiment que les professionnels, par deux fois au moins, n'ont pas su saisir les perches qui leur étaient tendues par certains hauts responsables pour opérer le sursaut collectif nécessaire et exiger des élus les moyens d'une politique d'action sociale digne de ce nom. C'est donc à cette résistance collective, à ce réveil des professionnels - dont la culture est plus, selon lui, celle de la soumission que de l'action -, qu'il invite aujourd'hui, revenant sur le sens de l'appel qu'il a lancé, en 2002, dans le cadre du mouvement des états généraux du social. Parce que « la complicité silencieuse ressemble à ces consensus mous sur lesquels s'appuient les pouvoirs faussement démocratiques ». Vision optimiste de la capacité des acteurs à inverser les politiques actuelles ? Au-delà de l'action collective, il est sûr en tout cas que l'avenir de l'action sociale se joue aussi dans la capacité des professionnels à ne pas perdre de vue, dans leur exercice quotidien, certaines valeurs essentielles. Cet ouvrage leur offre un ressourcement salutaire.
I. S. L'action sociale aujourd'hui - Jacques Ladsous -Ed. érès -10 €.