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Plaidoyer pour une tarification à l'usager

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Blocage des salaires en 2003, imposition d'un décret budgétaire rigide, tarification globale et non à l'activité : les motifs de contestation du cadrage financier du secteur social et médico-social sont nombreux. Le point avec Philippe Calmette, directeur général du Snapei et secrétaire général de l'Unifed (1).

Actualités sociales hebdomadaires : La loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 stipule qu'un décret va fixer, pour le secteur, des « paramètres d'évolution » de la masse salariale opposables aux négociateurs (2). Qu'en pensez-vous ?

Philippe Calmette : Le cadrage des négociations est un progrès. Nous saurons mieux où nous allons. C'est une demande ancienne de notre secteur. La situation actuelle ne peut perdurer. Tous les avenants à la convention collective de 1966 négociés en 2003 ont été refusés. Tous ! Au moment même où un projet de loi en cours de discussion veut revaloriser le rôle des partenaires sociaux...

Nous sommes trois acteurs dans ce secteur. Les employeurs et les syndicats qui discutent des accords collectifs et les pouvoirs publics qui, après coup, acceptent ou refusent de les agréer. Autant qu'ils nous annoncent la couleur d'entrée de jeu.

Ce qui n'a pas été le cas en 2003 ?

- Pour 2003, le bilan de la politique sociale menée par les pouvoirs publics dans le secteur est choquant. En début d'année, la circulaire budgétaire accordait une augmentation de 0,55 % de la masse salariale en année pleine. Ce qui était déjà fort peu. Or les deux tiers de cette enveloppe n'ont pas été distribués. Notre accord prévoyant l'augmentation de la valeur du point au 1er septembre, qui tenait dans l'enveloppe, a fait l'objet d'un avis défavorable à l'agrément.

Le secteur a été aligné, de fait, sur la fonction publique : aucune augmentation salariale en 2003...

- Alors que nous avions déjà eu les salaires bloqués en 2000 et 2001. Et une augmentation de 0,5 %seulement au 1er septembre 2002. Quand nous avons négocié la réduction du temps de travail (RTT) en 1999, nous avons prévu un blocage de la valeur du point. Les salariés avaient accepté cette perte de pouvoir d'achat contre 10 % de travail en moins et des créations d'emplois. Nous avons donc à l'époque décroché de la fonction publique. Celle-ci n'est passée aux 35 heures qu'en 2002, mais sans perte de salaire. En fait, elle les a payées par un blocage des salaires en 2003. Et nous avons été alignés sur ce traitement.

Ce qui vous fait dire que le secteur a payé deux fois la RTT...

- Exactement. De plus, nous ne l'avons su qu'en fin d'année, lorsque les accords n'ont pas été agréés. Les crédits du ministère ont été gelés sans que personne ne soit prévenu. Nous avons, bien sûr, déposé un recours gracieux contre le non-agrément. Nous avons également renégocié un nouvel avenant revalorisant le point de 2,5 % au 1er janvier, dont 2 % à titre de rattrapage...

Nous savons que nous sommes dans une période difficile et nous reconnaissons les contraintes de manière responsable. Mais nous ne voulons pas que le gouvernement retienne le principe de la parité de notre secteur avec la fonction publique quand ça l'arrange et le refuse quand ça l'arrange aussi. Il faut que le partenariat soit loyal.

Voilà pourquoi nous demandons que des règles du jeu claires soient fixées. Nous voulons avoir une vision globale, pas un agrément au coup par coup. Une fois le taux annuel d'évolution de la masse salariale établi, nous devons être libres de discuter de son utilisation entre partenaires sociaux. La logique voudrait que les pouvoirs publics agréent les accords dès lors qu'ils respectent ce taux global. Ainsi chacun jouerait son rôle, à sa place. Mais l'administration a, pour l'instant, toujours refusé ce type de fonctionnement. Elle donne le sentiment de tout vouloir contrôler point par point. Il faut qu'elle évolue vers une nouvelle culture du contrôle, qui porte sur l'essentiel, pas sur l'accessoire.

Quelles garanties avez-vous que le cadrage par décret de la masse salariale soit mieux respecté que les termes de la circulaire budgétaire de 2003 ?

- La loi et le décret sont des contraintes plus fortes sur l'administration. Rien ne peut être pire que l'actuel système discrétionnaire, sans règle, où l'Etat impose ses décisions de manière unilatérale et sans respect de l'engagenent pris.

Ce système sans visibilité est aussi sans vision politique globale. Les décideurs qui refusent tel ou tel avenant se moquent bien de savoir si, dans deux ou trois ans, on va avoir assez d'éducateurs spécialisés ou de psychiatres dans nos établissements. En tout cas, ils donnent l'inpression de s'en désintéresser. Il n'en est jamais question.

L'administration a repoussé certains de vos avenants au prétexte d'un chiffrage insuffisant des effets à en attendre...

- Ce qui est faux. Nous avons un panel de cent établissements représentatifs avec lequel nous effectuons nos simulations. Nos calculs n'ont jamais été pris en défaut par l'administration. Nous connaissons le contexte de fortes restrictions budgétaires et nous ne faisons pas n'importe quoi. Mais au moins que l'on puisse agir dans le cadre que l'Etat lui-même fixe en début d'année...

Un exemple : nous avons négocié une revalorisation de l'intervention des médecins spécialistes, après que le secteur public l'eut fait, pour ne pas perdre les psychiatres dont nous avons besoin dans nos équipes. L'accord est bloqué depuis deux ans et demi ; or il coûtait 0,11 % de la masse salariale. Et nous étions prêts à l'intégrer dans nos calculs.

Le système est complètement inadapté, y compris à la nécessité de contrôler l'évolution des dépenses. L'idéal serait de définir une politique globale, pluriannuelle, qui nous permettrait de renégocier la convention collective en profondeur. Le texte est très daté « années 60 ». Le poids de l'ancienneté est beaucoup trop important dans la rémunération par rapport à la reconnaissance des qualifications et à la réalité des postes.

Pourquoi militez-vous par ailleurs pour un changement du système de tarification ?

- Actuellement, nous sommes dans un système qui finance l'offre des établissements ou des services, tout particulièrement dans le secteur du handicap. L'Etat, la sécurité sociale, les conseils généraux affectent des enveloppes au secteur. C'est tant de places qui sont financées pour un institut médico-éducatif, que celui-ci accueille des cas lourds ou légers. Comme si on réglait à l'hôpital le même tarif pour une appendicite et une opération à cœur ouvert ! Il est clair, par exemple, qu'en enfant autiste nécessite un accompagnement permanent et qu'il faut en tenir compte dans la tarification. Sinon, les établissements sont tentés de refuser d'accueillir les cas les plus lourds... C'est l'un des travers du système : la variable d'ajustement budgétaire risque de devenir l'usager.

Autre effet pervers : le système fige les inégalités, dont on a récemment découvert à quel point elles sont importantes (3). Pour le même type d'établissements, les prix de journée accordés vont de un à deux ou même deux et demi. Le financement alloué au moment de la création de l'établissement est lié au dynamisme de l'interlocuteur, à sa capacité à définir un projet ambitieux ou a minima, et aux enveloppes (toujours elles) dont disposent les financeurs à ce moment-là. Ensuite, le budget est revalorisé de 1 ou 1,5 % par an... Les enveloppes sont calcifiées, elles ne s'adaptent pas à l'évolution des besoins et n'encouragent pas la bonne gestion.

Il faut renverser cette logique de financement de l'offre et passer à un système basé sur les besoins des personnes, après évaluation de leur handicap. On ne peut pas voter la loi de janvier 2002, dire qu'on met l'usager au centre du dispositif, ni créer un droit à compensation individualisé si l'on n'en tient pas compte dans le système de tarification.

Le récent décret budgé taire (4) ne va pas du tout dans ce sens...

- Au contraire. Il pousse le système du budget global dans ses logiques extrêmes, en faisant sauter les marges de manœuvre et d'adaptation, minimes mais réelles, qui subsistaient. Le décret va au-delà de la loi, il en fait une interprétation particulièrement rigoureuse. Il semble aussi soupçonner a priori les associations de dérives et de malversations financières comme si tout notre secteur était devenu suspect. Le durcissement des règles budgétaires paraît témoigner d'une volonté de nous assujettir. Tout le contraire des relations partenariales que nous souhaiterions voir établir sur des bases contractuelles.

Quelles sont les marges de manœuvre qui disparaissent ?

- Nous avions trois soupapes. La première permettait la reprise des déficits à l'exercice n + 2. Il fallait, bien sûr, discuter avec l'autorité de tarification, argumenter, mais les déficits justifiés étaient repris, pour l'essentiel. Cela ne sera plus possible avec le nouveau décret. Nous pouvions aussi avoir recours au juge de la tarification qui, dans 90 % des cas, donnait raison à l'association. Cela sera encore possible mais beaucoup plus difficile, car c'est désormais à l'association de faire la preuve que les crédits attribués l'empêchent de fonctionner. Ce renversement de la charge de la preuve risque, si l'on se fie à ce qui se passe du côté sanitaire où c'est déjà la règle, de réduire à 20 ou 25 % les réponses positives. Enfin, troisième respiration : il était possible de dépasser le budget initial, souvent avec l'accord plus ou moins tacite de l'autorité tarifaire, et de faire constater ensuite la suractivité par rapport aux critères de départ.

Au total, ces trois souplesses apportaient après coup 2,4 % de moyens supplémentaires par rapport aux budgets initiaux. Cela représentait la marge d'adaptation du secteur à l'évolution des besoins et des activités. Parfois, cela permettait simplement de compenser les sous-financements octroyés. Le seul glissement mécanique de la masse salariale dans la CC 66, notamment du fait de la progression de l'ancienneté, représente 1,2 à 1,3 % avant toute augmentation de la valeur du point. Or, depuis trois ans, Bercy accorde 0,7 %. Quand on sait que la masse salariale absorbe 75 %du budget des établissements...

Maintenant, il sera impossible de refaire les comptes à la fin de l'année. Ce décret pose une chape de plomb sur le financement du secteur. Il n'aura plus les moyens d'évoluer. Nous ne pouvons en rester à ce système le plus aveugle, le plus bête et le plus inégalitaire qui soit.

Etes-vous suivi dans cette voie ?

- Nos propositions rencontrent de plus en plus d'écho. D'ailleurs, on ne nous oppose aucun argument contre. Même au plan économique, le système actuel est incohérent. Pourquoi le secteur médico-social devrait-il évoluer à l'opposé du système sanitaire qui abandonne, avec de bonnes raisons, le budget global et va adopter la tarification à la pathologie et à l'activité ? L'argumentaire du ministre de la Santé, Jean-François Mattei, qui dénonce un système « inéquitable » et « sclérosant », peut être repris mot pour mot pour notre secteur. Nous voulons évoluer vers une tarification à l'usager, qui tienne compte de l'activité réelle des établissements.

L'Unifed a été reçue le 19 janvier par le cabinet de François Fillon. Le ministère vous entend-il ?

- Il a pris deux engagements. Il a d'abord accepté la mise en place d'un groupe de travail pour donner un peu d'air au décret budgétaire et envisager les possibilités d'assouplissement. Il a aussi décidé d'engager avec l'Unifed un travail de réflexion sur ce que pourrait être un nouveau mode de tarification. Nous commencerions par l'un des secteurs où c'est le plus facile, celui du handicap. Aucune date n'a encore été fixée. Mais nous espérons que l'idée va mûrir. C'est une question de justice financière, de bonne gestion des deniers publics et, au bout du compte, de qualité de service à l'usager.

Propos recueillis par Marie-Jo Maerel

Notes

(1)  Snapei : Syndicat national des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales gestionnaires d'établissements et de services spécialisés ; Unifed : Union des fédérations et syndicats nationaux d'employeurs sans but lucratif du secteur sanitaire, médico-social et social.

(2)  Elle va plus loin que la loi du 2 janvier 2002, laquelle ne prévoyait qu'un rapport ministériel sur les orientations en matière d'agrément des accords et d'évolution de la masse salariale.

(3)  Voir ASH n° 2326 du 26-09-03.

(4)  Sur le décret budgétaire et comptable, voir ASH n° 2331 du 31-10-03 et sur les premières réactions très critiques du secteur, voir ASH n° 2333 du 14-11-03.

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