Le gouvernement a désormais toutes les cartes en main pour mettre en place la future autorité indépendante de lutte contre les discriminations souhaitée et annoncée de longue date par l'Elysée (1). Le médiateur de la République, Bernard Stasi, qui était chargé d'une mission de « préfiguration » de cette institution, a en effet remis le 16 février à Jean-Pierre Raffarin les résultats de ses travaux (2), qui serviront de base, a annoncé François Fillon, au projet de loi qui devrait être adopté avant la fin de l'année. La « Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité » dont il propose la création pourrait, selon lui, pallier les « insuffisances du dispositif actuel », aux résultats « décevants ». La mise en place, sous le gouvernement Jospin, du Groupe d'études et de lutte contre les discriminations (GELD), du numéro d'appel gratuit « 114 » et des commissions départementales d'accès à la citoyenneté (CODAC) (3) n'a « pas permis une répression plus efficace des discriminations », estime ainsi l'ancien ministre. « Les tribunaux sont trop souvent saisis de dossiers mal constitués, disposant de peu d'éléments de preuve ». Conséquence : « le nombre de condamnations pénales dans ce domaine demeure très modeste et les recours civils sont quasi inexistants ».
La Haute Autorité en question disposerait d'une compétence « étendue » portant sur l'ensemble des discriminations - « notamment celles fondées sur des critères d'origine ethnique, de religion, de sexe, de conviction, de handicap, d'âge, de santé ou d'orientation sexuelle » - et de pouvoirs d'intervention importants. Dans l'esprit des membres de la mission Stasi, toute personne s'estimant victime d'une inégalité pourrait la saisir, par écrit. « Traiter les réclamations individuelles » serait sa première mission. Elle aurait, dans ce cadre, un rôle d'accueil, d'information et d'orientation des victimes mais aussi une fonction de médiation, notamment pour des affaires ne présentant pas un caractère de gravité et donc peu susceptibles de déboucher sur un contentieux. Plus ambitieux, elle pourrait également procéder à des investigations afin d'aider le plaignant à constituer son dossier, saisir la justice des faits de
discrimination ou encore produire des observations au cours du procès, à la demande du juge ou de sa propre initiative. Le médiateur de la République suggère que soit aussi étudiée la possibilité de lui offrir le pouvoir de se porter partie civile, à l'image du « Centre pour l'égalité des chances » belge. Elle pourrait encore adresser des « avertissements sous menace de publicité » aux auteurs de discriminations.
Le rapport propose par ailleurs que l'autorité puisse encourager les administrations et les entreprises à élaborer des « codes de promotion de l'égalité » définissant des « standards ou normes égalitaires dans la gestion des ressources humaines et dans l'accès aux biens et aux services ». Aux yeux des membres de la mission Stasi, elle devrait également être consultée sur les projets de loi ou de décrets ayant trait aux discriminations et pourrait proposer des réformes aux pouvoirs publics. Elle aurait enfin une mission d'observation, d'étude, d'animation de la recherche.
L'instance serait dirigée par un collège de 11 « personnalités indépendantes » : un président, nommé par le chef de l'Etat, 6 membres désignés respectivement par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, par le Premier ministre, par les assemblées générales de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat et par le président du Conseil économique et social, et enfin 4 personnalités qualifiées, choisies par le président et les 6 premiers membres nommés. Ce collège pourrait s'appuyer sur un groupe d'experts d'une vingtaine de personnes, composé majoritairement de représentants d'associations et de syndicats.
Bernard Stasi plaide pour que la structure centrale de la future institution dispose d'un réseau de délégués territoriaux, chargés notamment de faire remonter les informations relatives aux réclamations individuelles et aux initiatives locales de sensibilisation et de soutien aux victimes. Les intéressés pourraient être aiguillés vers eux par un service téléphonique payant. Il propose également qu'en complément soient institués dans chaque région, sur le modèle anglais, des « conseils régionaux pour l'égalité » .
Les moyens humains réclamés pour la nouvelle autorité sont importants. Le médiateur de la République demande ainsi, « dans un délai de 2 ans », environ 80 agents - sans compter les délégués locaux -, « dont une trentaine à profil juridique ».
(1) Voir ASH n° 2281 du 18-10-02.
(2) « Vers la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité » - Bernard Stasi - Février 2004 - Disponible sur le site
(3) Voir ASH n° 2167 du 19-05-00.