« Pourquoi des regards si divergents sur la protection de l'enfance ? Une hypothèse, pour les comprendre, est que Maurice Berger et Claude Roméo ne parlent pas des mêmes enfants. Le premier parle d'une minorité d'enfants déjà gravement déstructurés quand ils accèdent à son service de pédopsychiatrie. Les chances de succès de la prise en charge sont alors faibles et il faut bien chercher un ou des responsables. Le second, au contraire, a une vision beaucoup plus large sur l'enfance en danger et propose donc des interventions plus précoces, permettant aux parents d'être partenaires du projet de protection et rendant les succès plus fréquents.
J'en témoigne en tant qu'ancien chef de service de pédiatrie de l'hôpital de Firminy, entre janvier 1999 et juin 2001 : l'équipe de pédopsychiatrie du Dr Berger, débordée par les soins des patients atteints de pathologies lourdes, a peu de disponibilité pour les troubles moins graves et en particulier pour le tout-venant quotidien observé dans un service de pédiatrie générale (tentative de suicide de l'adolescent, dépression, troubles des comportements, du caractère, du sommeil, etc.). L'expérience clinique de cette équipe est donc essentiellement basée sur les situations les plus graves. Cet angle d'approche explique à mon sens ce jugement si sévère.
Par ailleurs, ce qui est grave dans les propos de Maurice Berger, c'est la stigmatisation violente des parents et des acteurs de la protection de l'enfance. Dans ce domaine, à tous les niveaux, l'émotion est envahissante et pousse souvent à trouver des boucs émissaires aux difficultés rencontrées.
L'avenir de la protection de l'enfance me semble plutôt être défendu par les valeurs de Claude Roméo et le regard beaucoup plus large et plus préventif qu'il propose : repérer précocement les enfants en danger, organiser un diagnostic pluridisciplinaire fondé sur l'observation clinique et construire avec les parents un projet de protection efficace est un enjeu majeur et accessible pour notre société. Les professionnels en contact régulier avec les enfants savent combien les signaux d'alerte sont fréquents, encombrants et difficiles à traiter.
Cette étape correctement organisée (car c'est essentiellement une question de réseau de professionnels ayant des compétences complémentaires et qui doivent s'habituer à échanger sur leurs difficultés) doit permettre de mieux repérer les situations dans lesquelles les parents sont réellement « dangereux » pour leurs enfants. Ce sont surtout les familles qui n'arrivent pas à tenir le contrat passé à un stade précoce du danger. La judiciarisation et l'accueil permanent de l'enfant sont alors nécessaires, compréhensibles pour tous et mieux acceptés.
Cet avenir n'est pas une utopie. Il nécessite cependant un profond changement d'organisation de la pensée :l'évaluation et l'organisation de la protection, le diagnostic, ne peuvent se faire efficacement qu'avec un basculement des logiques institutionnelles actuelles, juxtaposées et saucissonnées, vers une logique plurielle pour un projet global construit avec la famille et cohérent pour l'enfant.
Apprendre à repérer précocement les enfants en danger, c'est possible (2). Les connaissances de base sur les troubles du lien parents-enfants (3), leurs repérages et leurs traitements permettent d'aborder les différents clignotants observés chez l'enfant avec professionnalisme (c'est l'intérêt du réseau), respect et efficacité. »
Patrick Danel Pédiatre et chef du service de protection maternelle et infantile de la Haute-Loire. Hôtel du département : 1, place Monseigneur-de-Galard - BP 310 - 43011 Le Puy-en-Velay cedex - Tél.04 71 07 42 80.
(1) Voir ASH n° 2341 du 9-01-04 et n° 2343 du 23-01-04.
(2) Voir La prévention des difficultés éducatives et sociales - Inès Angelino et Catherine Meyer - Ed. Dunod, 2002.
(3) Les enjeux de la parentalité - Sous la direction de Didier Houzel - Ed. érès, 1999 - Voir ASH n° 2130 du 27-08-99.