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ASSURANCE MALADIE : « DIAGNOSTIC PARTAGÉ » POUR UN RÉGIME EN CRISE

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Le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, présidé par Bertrand Fragonard, dresse un diagnostic prudent, largement consensuel, sur les maux du système. Son rapport, rendu le 23 janvier, dessine les contours d'une réforme que le gouvernement entend faire aboutir dès cet été.

La première étape en vue de la réforme de l'assurance maladie vient d'être franchie, avec « succès », selon le ministre de la Santé. Après trois mois de travaux, le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, sous la présidence de Bertrand Fragonard, magistrat de la Cour des comptes (et ancien directeur de la caisse nationale de l'assurance maladie [CNAM] en 1997- 1998), a remis à Jean-François Mattei, le 23 janvier, son rapport établissant un « diagnostic » sur les régimes d'assurance maladie, « partagé » par ses 53 membres (1). Une gageure compte tenu des visions parfois opposées de ces acteurs, issus d'horizons divers (partenaires sociaux, parlementaires, personnalités qualifiées, représentants de l'Etat, des régimes d'assurance maladie de base et complémentaires, des établissements de santé, du centre national des professions de santé et des usagers)   (2).

Les experts se sont penché sur trois points épineux du système de soins : les paramètres financiers et économiques, la qualité du système et la gouvernance de l'assurance maladie. S'en dégagent deux axes majeurs : une réforme structurelle de l'organisation du système de soins est nécessaire (coordination des soins...) et le remboursement des soins aux assurés doit être ciblé pour être équitable (exclusion des biens ou services qui ne sont pas efficaces...). Ce bilan, nécessairement « consensuel », est globalement bien accueilli par les acteurs de la santé et les représentants des usagers. Mais il n'est que l'étape préalable à la réforme de l'assurance maladie qui, elle, s'annonce au moins aussi difficile que celle des retraites.

Jean-François Mattei, qui en a fait son « objectif numéro un » pour 2004, entend la mener à bien d'ici à cet été. Et la décliner autour des cinq principes fixés par le Premier ministre : «  une assurance maladie obligatoire et universelle », une « couverture pour tous », « le maintien des régimes actuels avec la volonté de ne procéder à aucune privatisation  » et «  un retour à l'équilibre en 2007 ».

La réforme devrait donc suivre un calendrier très serré. Le ministre devrait réunir le 9 février toutes les parties prenantes du système de soins pour un sommet sur la santé. Une phase de concertation - que la FNATH (l'Association des accidentés de la vie) voudrait ouvrir aux représentants des usagers - s'engagera alors avec les acteurs qui se verront remettre fin mars ou début avril un document de synthèse. Lequel servira de base à la négociation jusqu'au mois de mai. Le gouvernement devrait présenter son projet de loi en conseil des ministres en juin, pour un examen par l'Assemblée nationale en juillet. Malgré l'importance du sujet et l'intérêt qu'il soit débattu au Parlement, le Premier ministre n'a pas exclu de légiférer par ordonnances.

I - LES PARAMÈTRES FINANCIERS ET ÉCONOMIQUES

A - Un bon niveau de remboursement, mais en péril face au déficit croissant

Les premiers constats du Haut Conseil sont positifs  :pratiquement tous les assurés disposent d'une couverture santé avec un « bon niveau de prise en charge » , augmenté par la diffusion des couvertures complémentaires (mutuelle...). Les régimes obligatoires remboursent 76 % des dépenses globales de santé à un taux, pour la plupart des biens et services, compris entre 65 et 80 %, voire 100 % pour certains actes et pour les pathologies lourdes.

Le problème auquel le système doit faire face est l'accroissement des dépenses de soins, passées de 3,5 % du produit intérieur brut  (PIB) en 1960 à 8,9 % en 2002. Le déficit affiché par le régime d'assurance maladie pour 2004- 11 milliards d'euros - va nécessairement se creuser en raison des exigences des professionnels (rémunération...), du vieillissement de la population et de l'évolution des techniques médicales. Avec une augmentation des dépenses supérieure de 1,5 point à l'évolution du PIB, le déficit annuel passerait à 29 milliards d'euros en 2010 et à 66 milliards d'euros en 2020.

B - Trois leviers d'action

Les experts, rejetant catégoriquement le recours à l'endettement systématique, proposent d'agir sur plusieurs leviers : maîtriser les dépenses injustifiées et optimiser l'offre de soins, augmenter les recettes et, enfin, réajuster les taux de remboursement. L'accroissement des recettes, insistent les auteurs, ne peut se limiter à la seule hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) - prélèvement qui a leur préférence en raison de son caractère universel - sauf à la doubler d'ici à 2020. De même, n'agir que sur les taux de remboursement conduirait à une diminution du remboursement de 20 points.

Les auteurs envisagent néanmoins de modifier la CSG pour plus de « parité des efforts contributifs » (soit implicitement d'aligner le taux de CSG des chômeurs et retraités sur celui des actifs), et même de faire évoluer « l'assiette des prélèvements » . Quant à un ajustement des taux de remboursement, il doit, selon les rapporteurs, toucher les ménages qui exposent les dépenses les plus élevées et s'accompagner de mesures correctrices pour ceux qui ont des revenus plus modestes (adaptation de la couverture maladie complémentaire, plafonnement du ticket modérateur...). Faute de quoi, les ménages les moins aisés (ceux qui ne bénéficient pas de la couverture maladie universelle complémentaire) supporteraient un trop lourd « reste à charge » et risqueraient de renoncer à certains soins. Autant d'évolutions qui nécessitent une plus étroite collaboration des différents financeurs du risque maladie : assurances sociales obligatoires et assurance complémentaire.

II - L'ORGANISATION DU SYSTÈME DE SOINS

A - Redéfinir le périmètre des actes et des soins remboursés

Selon les rapporteurs, le système de soins français ne connaît pas suffisamment de « gestion active et critique » du périmètre des biens et des services remboursés par l'assurance maladie. Ceux-ci tout en devant, évidemment, ne pas être dangereux pour le malade, doivent toutefois être « efficaces » (avoir un effet en termes médical), être « utiles » (modifier dans un sens favorable les stratégies thérapeutiques ou les chances de guérison) et « pertinents » (présenter un bon rapport qualité/prix relativement à d'autres comparables). Or, actuellement, l'efficacité n'est recherchée qu'au moment de l'inscription des médicaments sur la liste des prestations remboursables. Aussi les experts préconisent-ils d'étendre cette pratique à l'ensemble des actes ou produits remboursés et de prévoir des modalités pour faire sortir des listes ceux dont l'effet recherché n'est pas avéré ou ne l'est plus compte tenu de l'apparition de nouvelles pratiques. Enfin, et surtout, selon le Haut Conseil, le contexte de raréfaction des ressources conduit à ne pas rembourser « tout ce qui est utile, et oblige donc à faire des arbitrages » collectifs.

B - Améliorer la gestion du système

L'instance critique aussi la gestion du risque maladie qui n'est, à ses yeux, pas encore suffisamment «  médicalisée  »  :carence de diffusion et d'application de bonnes pratiques médicales ou de références médicales opposables. Aussi propose-t-elle une évaluation périodique des pratiques professionnelles, « systématiquement articulée à une offre de formation » des praticiens.

Autre constat : la mauvaise gestion des tarifs. Si, pour les experts, le principe d'opposabilité des tarifs est «  fondamental  », ceux-ci pourraient être mieux gérés par l'utilisation d' « espaces de concurrence par les prix » , en particulier pour les médicaments et dispositifs médicaux, et par une évaluation plus pertinente des « coûts et des conditions d'exercice »  : facteurs de production, taille de la structure, profil des patients... Pour le Haut Conseil , « il existe aujourd'hui des espaces de consensus pour faire évoluer les instruments tarifaires »   (tarification à la pathologie, tiers payant...). « C'est un tournant important dont il faut saisir l'opportunité pour innover plus résolument, en veillant toutefois à ce que, si l'assurance maladie paie mieux ou autrement, ce soit, dans le cadre d'une politique conventionnelle, en faveur d'une qualité mieux définie et contrôlée. »

Sans surprise, le document insiste sur l'inégale répartition de l'offre de soins sur le territoire et le cloisonnement trop rigide des différents secteurs du système. Il faut, estiment les rapporteurs, « prendre conscience que l'efficacité du système de soins ne se limite pas à l'efficacité du système strictement curatif »  : agir sur l'environnement, l'éducation sanitaire...  « De même, au voisinage du soin et en aval du soin, les actions médico-sociales et sociales constituent des compléments indispensables de la prise en charge sanitaire. Par exemple, dans la lutte contre certaines maladies, le gain curatif peut être largement annihilé par une absence de suivi social ou médico-social des malades. L'approche trop cloisonnée des secteurs est un non-sens en termes de santé publique. » Dans le même ordre d'idées, le Haut Conseil estime que « tout doit être fait pour casser les différentes césures qui existent entre les prises en charge successives dont un même patient peut faire l'objet ». Pour les maladies les plus graves ou pour les malades souffrant de plusieurs pathologies, la liberté de choix du soignant par le soigné « serait plus avantageusement exercée s'il existait la possibilité de choisir librement aussi des formes de soins coordonnées dans lesquelles les différents prestataires de soins assurent eux-mêmes les liaisons nécessaires » à l'inverse de la situation actuelle qui conduit le patient à organiser lui-même la coordination des différents intervenants auxquels il fait appel.

Pour finir, les experts, qui prônent une meilleure information des assurés, proposent de moduler le remboursement selon la démarche de soins qu'ils pourraient choisir, en particulier pour promouvoir les comportements de prévention.

III - LA « GOUVERNANCE DE L'ASSURANCE MALADIE »

A - Le nuisible enchevêtrement des compétences

Si le partage de compétences entre l'Etat et les caisses d'assurance maladie est, selon le Haut Conseil, «  inévitable  », il n'en demeure pas moins que celui « qui prévaut aujourd'hui paraît particulièrement complexe, et constitue un puissant facteur d'inefficacité ». Sur chacune des grandes fonctions que doit assurer le système de soins, les compétences sont empilées et enchevêtrées. Il en va ainsi de la fixation du cadre juridique, de la gestion du risque, de l'allocation des ressources... Conséquences : l'action de chaque institution est gênée et certaines fonctions ne sont pas assurées. Les experts estiment « urgent » de redonner de la légitimité à l'objectif de dépenses voté par le Parlement « en envisageant tout à la fois les modalités d'une élaboration partagée avec les acteurs du système de la santé, et les formes (par exemple la pluri-annualité) et surtout les mécanismes de redressement qui permettent d'en garantir le respect ».

S'agissant des problèmes de frontières entre l'Etat et les caisses d'assurance maladie, la dissociation stricte du contrôle entre les dépenses « soins hospitaliers » et «  soins de ville » fait obstacle aux démarches les plus cohérentes d'optimisation des soins. Ensuite, au sein des soins de ville, l'objectif des dépenses déléguées - qui porte sur la rémunération des soins et les frais de transport -, dont les organismes d'assurance maladie doivent vérifier les modalités sur le terrain et apporter toute amélioration par voie conventionnelle, ne comporte pas l'ensemble des prescriptions. Enfin, cette voie conventionnelle est étroitement cantonnée dans son champ et dans son exercice : l'Etat fixe son cadre par la loi, suit les négociations en amont, et en approuve les résultats en aval. Conclusion : « Ni le Parlement, ni le gouvernement, ni les caisses d'assurance maladie n'exercent ni ne disposent de responsabilité claire sur la tenue des objectifs de dépenses. »

B - Les carences du pilotage

Le rapport pointe les carences en matière d'instruments d'amélioration de la qualité et de l'efficience des soins, qui s'expliquent, le plus souvent, par «  l'absence d'un responsable explicitement désigné, ou par l'absence de répartition précise des tâches ». En particulier dans le domaine de la diffusion des références de bonnes pratiques médicales, ou dans l'absence de collaboration entre l'assurance maladie obligatoire et les organismes complémentaires, ou encore dans l'insuffisance « notoire » d'outils d'audit et de contrôle de la gestion du système. Les auteurs proposent ainsi « une meilleure connaissance des mécanismes économiques, et de formation des coûts, et l'introduction d'outils élaborés de pilotage et de gestion, non seulement sur le volume mais aussi sur le bon emploi des fonds ».

C - Associer le transfert de compétences avec celui des responsabilités

Les rigidités d'organisation au sein des institutions, les confusions de pouvoirs entre celles-ci et l'Etat et « l'accumulation quelquefois caricaturales d'organismes de gestion [en particulier] au niveau régional », conduisent à «  une absence de décideur identifié et pleinement responsable  ». Aussi faut-il, selon les experts, mieux répartir les pouvoirs et les responsabilités ou, à défaut, stabiliser les frontières de compétences sur des bases claires, et « instaurer aux divers degrés des formes de délégation et de responsabilisation plus nettes à l'égard des cadres dirigeants ». Il convient également d' « agir franchement dans le sens d'une plus grande diversité d'expressions démocratiques et de représentations des usagers et des professionnels de santé, dans différentes instances du système d'assurance maladie ». S'agissant des répartitions de pouvoirs, le Haut Conseil, sans empiéter sur les choix de la future réforme, pose deux principes : d'une part, procéder, lorsque cela est crédible, par délégation de compétences à un acteur précis et, d'autre part, accompagner celle-ci d'une pleine responsabilité pour celui qui en bénéficie. Son titulaire doit ainsi être en mesure de « rendre des comptes sur les résultats que l'on attend de lui ».

Catherine Sebbah

Notes

(1)   « L'avenir de l'assurance maladie : l'urgence d'un redressement par la qualité »  - Disponible sur www.sante.gouv.fr.

(2)  Voir ASH n° 2328 du 10-10-03.

LES POLITIQUES SOCIALES

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