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Pourquoi rénover la loi de 1975 ?

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Le projet de loi sur « l'égalité des droits des personnes handicapées », que Marie-Thérèse Boisseau présentera en conseil des ministres le 28 janvier, répondra-t-il aux fortes attentes des associations ?Trente ans après la loi de 1975, texte novateur en son temps aujourd'hui dépassé par l'évolution de la société, un nouveau pas reste à franchir.

« Pour l'époque, c'était une bonne loi, une grande loi. » Le jugement des premiers intéressés sur la loi d'orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975 est quasi-unanime. « Une avancée énorme », estime Jacques Henry, alors secrétaire général puis président de l'Unapei (et toujours présent dans le mouvement). « Une rupture, philosophique et pratique », précise Claude Lospied, alors juriste à l'Association des paralysés de France (APF), lui aussi interlocuteur régulier de René Lenoir, directeur de l'action sociale puis secrétaire d'Etat chargé de l'action sociale, « un grand Monsieur qui savait écouter et entendre » et qui fut le principal rédacteur du texte. « Avant, c'était l'assistance et son cortège de réglementations tatillonnes, méfiantes et humiliantes. Imaginez que les adultes handicapés non salariés n'étaient même pas assurés sociaux ! Ils relevaient de l'aide médicale, après enquête sur les revenus de toute la famille tenue à l'obligation alimentaire, se souvient ce militant toujours actif. La loi a cassé cette dépendance, elle a introduit des notions fondamentales de droit et de solidarité, même si elle présentait des lacunes et n'a pas supprimé tout recours à l'aide sociale. »

Signe d'un nouvel état d'esprit, insistent ces deux témoins de première ligne, la loi de 1975 consacre aussi l'expression de « personne handicapée », terme évoquant « un être humain que le handicap ne suffit pas à définir ». Les textes antérieurs parlaient des « infirmes », des « invalides », des « inadaptés » ou des « incapables »... tandis que le vocabulaire courant charriait des mots aussi gracieux que « retardés », « débiles », « arriérés ».

L'avancée du texte a en tout cas bénéficié du soutien des plus hauts personnages de l'Etat, dont le Premier ministre d'alors, Jacques Chirac. « Et surtout du ministre des Finances, Jean-Pierre Fourcade, qui était personnellement impliqué », ajoute Georges Riffard, alors directeur d'établissement et aujourd'hui directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif (FEHAP), plus habitué aux coups de frein qu'aux encouragements de Bercy.

Fruit d'une longue maturation, marquée notam- ment par un rapport précurseur de François Bloch-Lainé (alors président du Crédit Lyonnais) rendu en 1969, la gestation du texte avait duré quatre ans, le temps d'un réel travail interministériel puis parlementaire et d'une vraie concertation avec les organisations concernées. C'est d'ailleurs à cette occasion que les associations propres à chaque type de handicap ont commencé à travailler ensemble pour faire « front commun », au sein du groupe dit « des 13 » puis, rapidement, « des 21 », puis « des 29 », ancêtre de l'actuel Comité d'entente.

Fondamental, l'article premier de ce qui est souvent présenté comme la « dernière grande loi des trente glorieuses » institue en effet la prévention, les soins, l'éducation, la formation, l'emploi, la garantie d'un minimum de ressources et l'intégration sociale « du mineur et de l'adulte handicapés » comme une « obligation nationale ». Un terme fort dans des domaines où, jusque là, hors des réponses sanitaires, il n'y avait rien, sauf quelques rares structures associatives créées dans l'indifférence générale.

En 1995, en tirant le bilan des vingt ans de la loi, les observateurs constateront effectivement l'affirmation de nouveaux droits pour les personnes handicapées, une augmentation (même relative) de leurs ressources et un fort développement de l'intervention publique à leur égard, souvent au travers de l'initiative associative. Une progression favorisée aussi par l'autre loi datée du 30 juin 1975, celle qui a encadré un développement spectaculaire des établissements sociaux et médico-sociaux.

Au milieu des années 90, les grandes associations demandent des améliorations à la loi, une actualisation, mais pas encore sa révision. Le bilan s'est fait beaucoup plus critique quelques années plus tard. D'abord, parce que « l'obligation nationale » n'a pas été totalement honorée. Même si la plupart des enfants ne sont plus laissés à la charge exclusive de leur famille, il en reste encore quelques milliers « sans solution » ou sans véritable prise en charge éducative. Sans compter ceux qui sont exilés loin des leurs par manque d'équipements de proximité, comme les petits Franciliens envoyés en Lozère ou en Belgique. Même si les adultes ne sont plus condamnés à l'hospice ou à l'asile comme jadis, combien demeurent inscrits sur les listes d'attente de centres d'aide par le travail ou de foyers encore insuffisants ? 10 000 personnes de moins de 60 ans ne sont-elles pas accueillies en maison de retraite faute de mieux ? Et combien n'ont pas d'autre solution que de vivre chez leurs parents vieillissants et inquiets de leur avenir ?

Plus que leur nombre, c'est la très inégale répartition des services et des établissements sur le territoire qui pose problème - avec des différences de densité qui vont de un à six ou douze, selon les types de structures et les départements (1). Les équipements ont été semés au hasard des initiatives locales beaucoup plus qu'en fonction de considérations démographiques ou épidémiologiques. A cette absence de planification s'ajoutent d'autres insuffisances graves à mettre au compte de l'Etat : la carence des enseignants spécialisés au sein de l'Education nationale, par exemple, ou l'indigence des commissions départementales censées pourvoir à l'évaluation et à l'orientation des enfants et des adultes handicapés.

« Ce qui manque surtout, dans la loi de 1975 comme d'ailleurs dans les textes qui ont suivi, ce sont des contraintes d'effectivité », juge Marie-Sophie Desaulle, l'actuelle présidente de l'APF. « Aucune disposition pour l'évaluation, le contrôle. Aucune sanction. C'est flagrant, par exemple, en matière d'accessibilité. » « Nous serions dans une autre situation si l'esprit de la loi avait été mieux respecté », estime de son côté Georges Riffard, pour qui l'autre texte sur les établissements a trop encadré et gauchi un dispositif qui était au départ « beaucoup plus centré sur la personne ».

Au total, le bilan pèche surtout par manque d'intégration à l'école, au travail, dans la cité. Seuls « 46 % des jeunes handicapés susceptibles d'être accueillis dans le système scolaire le sont effectivement », constate Jean-Marie Schléret, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Trop souvent cantonnés dans des filières séparées, enfants et adultes sont condamnés à vivre entre eux, sans guère de passerelles avec le monde extérieur, hormis leur famille. Ce qui les rend « invisibles pour la société ». Sur ce point, avec le recul- c'est beaucoup plus facile à voir trente ans plus tard -, les contradictions de la loi de 1975 elle-même sautent aux yeux. Son article premier affirme que l'action poursuivie assure, chaque fois qu'il est possible, « l'accès du mineur et de l'adulte handicapé aux institutions ouvertes à l'ensemble de la population et leur maintien dans un cadre ordinaire de travail et de vie ». Or, dès l'article 3 et jusqu'à la fin du texte, il n'est pratiquement question que d'éducation spéciale, de travail protégé, d'allocations spécifiques...

Vincent Assante, qui sera plus tard conseiller « handicap » de la ministre Ségolène Royal (dans le gouvernement Jospin), assure que, dès l'époque, alors qu'il présidait une association d'étudiants paralysés, il regrettait un texte « ségrégatif », car développant plus des actions de protection spécifiques (certes nécessaires) que des mesures d'intégration par et dans les institutions existantes et « globalisant » trop des difficultés très diverses selon les types de handicap.

Des critiques aujourd'hui mieux partagées, car les aspirations ont beaucoup évolué. « Maintenant, la première revendication des personnes handicapées, c'est de pouvoir vivre de façon autonome à leur propre domicile, note Claude Lospied. En 1975, personne ne le demandait. Moi non plus. Je plaide coupable. » Les solutions ont été bâties avec la demande qui se manifestait à l'époque, estime Patrick Gohet, délégué interministériel aux personnes handicapées, qui ajoute qu' « aujourd'hui, chacun veut des réponses individualisées, pour un mode de vie choisi dans toute la mesure du possible » et que c'est à partir de cela qu'il faut réfléchir.

Beaucoup d'idées nées dans les pays d'Europe du Nord et le monde anglo- saxon ont également fait leur chemin en France, relayées par des textes internationaux comme la déclaration adoptée par l'ONU en décembre 1993 ou les directives européennes déclinées à la suite de l'inscription du principe de non-discrimination dans le traité d'Amsterdam en octobre 1997. Des idées... des exemples aussi, comme ceux du Québec, du Danemark, de la Suède (2), plus enviables que notre modèle national.

Première de ces « mutations idéologiques »  : la conviction que c'est la société qui est handicapante, au moins autant que la personne est handicapée. Ainsi, un gamin en fauteuil peut se déplacer partout si l'on n'a pas semé sur son parcours des marches et des butées. Le handicap est le résultat de la combinaison d'une déficience et d'un environnement. Et ce qui vaut pour les incapacités physiques est vrai pour les déficiences cognitives : le handicap mental est d'autant plus accentué que la personne évolue dans un environnement de haute technologie, aux réseaux de communication sophistiqués et de plus en plus réservés à des initiés. C'est ce que veulent exprimer ceux qui souhaitent que l'on parle désormais de « personnes en situation de handicap », plutôt que de personnes handicapées. Dans cette optique, c'est surtout à la société d'adapter l'environnement matériel et social - et d'ouvrir « l'accès à tout pour tous »  - plus qu'à la personne handicapée de se « réadapter », selon le modèle « validocentriue » d'antan. Cette logique est fermement défendue par Vincent Assante par exemple (3), mais elle agace aussi certains, surtout dans le monde du handicap mental. Ceux-là y voient une tendance à nier la réalité des déficiences, dangereuse pour les plus fragiles. Ils en appellent, comme Régis Devoldère, président de l'Unapei, au « principe de réalité ».

100 % de la population est concernée

Autre idée qui a fait son chemin et donne une nouvelle légitimité aux revendications : ce qui est bon pour les personnes handicapées est bon pour tous. Sans pouvoir généraliser (les traductions en braille ne serviront jamais qu'à ceux qui l'ont appris), c'est souvent vrai. « Regardez dans les bus : les parents et les nounous avec une poussette d'enfant y sont beaucoup plus nombreux depuis que des plates-formes ont été aménagées pour les usagers en fauteuil roulant. Peu de citoyens qui ont expérimenté les trams ou les bus à plancher bas voudraient revenir en arrière », argumente Jean-Luc Simon, président du comité français de l'année européenne des personnes handicapées. La signalétique à base d'icônes simples et universelles aide à l'orientation des personnes handicapées mentales autant qu'aux touristes. De même, bien des équipements pour les déficients sensoriels, comme les bandes blanches au bord des marches et les annonces sonores ou visuelles dans les trains ou les bus, profitent aussi à ceux qui ne connaissent pas le parcours et aux distraits. La plupart de ces aménagements facilitent également la vie des personnes âgées, dont on sait qu'elles sont et seront de plus en plus nombreuses. Comme le dit Marie- Sophie Desaulle, « 40 % des gens souffrent peu ou prou de déficiences. Mais c'est 100 % de la population qui est concernée. Un jour ou l'autre... »

Jean-Luc Simon va plus loin : tout progrès accompli par les personnes handicapées dans la lutte contre les discriminations profitera, dit-il, aux autres catégories discriminées, par le sexe, la couleur de la peau, la préférence sexuelle, l'âge... Ne servira-t-il pas à l'ensemble de la société, dans la mesure où elle aura appris à vivre avec la différence ? Et même à en tirer parti ? Parents et enseignants en témoignent : l'intégration réussie d'enfants handicapés dans une école profite à tous, valides compris qui apprennent à partager leur territoire, à faire de la place aux autres et... à mieux apprécier leurs chances.

Autant d'idées, et quelques autres, qui ont donc donné un coup de vieux à la loi de 1975 et conduisent à souhaiter sa complète rénovation. A la fois pour renouveler le cadre conceptuel et faire avancer sa traduction concrète sur des terrains comme la non-discrimination, l'accessibilité ou le droit à compensation. Officiellement lancée le 25 janvier 2001 devant le CNCPH (4), la réflexion d'ensemble s'est notamment traduite par la création de trois groupes de travail en juillet suivant (5). Mais la préoccupation n'apparaît pas encore très pressante, en tout cas hors du milieu spécialisé. Elle prend une autre dimension quand Jacques Chirac en fait l'une de ses trois priorités, le 14 juillet 2002, et quand le Sénat formule ses propositions quelques jours plus tard dans un rapport qui fera date (6).

Mais au fait, fallait-il vraiment une nouvelle loi d'orientation pour franchir ce pas ? N'aurait-il pas été préférable d'insuffler la question du handicap dans chacun des textes ordinaires traitant d'école, d'emploi, de construction, de prévention..., comme le préconisent, là encore, les pays les plus avancés en la matière ? Pas un règlement, aucune institution, ne devraient se voir épargner ce souci d'intégration, tout le monde en est d'accord. Mais en attendant ce monde meilleur, une loi spécifique reste nécessaire pour affirmer une politique volontariste et cohérente sur l'ensemble des problèmes des personnes handicapées, tranchent les intéressés qui préfèrent ne pas lâcher la proie pour l'ombre.

En matière de non-discrimination par exemple. Ce principe général s'oppose non seulement aux discriminations actives (comme le refus d'embauche a priori ), mais aussi aux discriminations passives, comme le fait de n'avoir pas adapté les accès d'un établissement aux fauteuils roulants ou de ne pas sous-titrer les émissions de télévision pour les mal-entendants. La notion peut évidemment être très extensive : verra-t-on un jour les sourds attaquer un producteur qui n'aura pas sous-titré l'ensemble de ses programmes ? Jusqu'où un employeur devra-t-il modifier un poste de travail pour tenir compte des capacités diminuées d'un salarié ?

Il est un domaine, en tout cas, où la non-discrimination s'impose, c'est celui de l'accessibilité. De longue date, le principe est déjà inscrit dans la loi pour les transports (depuis 1982) et les constructions neuves (depuis 1991). « Ce qu'il faut, maintenant, c'est fixer un calendrier et des impératifs, insiste Marie- Sophie Desaulle. C'est obliger à démolir ou à reprendre une construction neuve ou rénovée qui ne correspond pas au cahier des charges. Ou supprimer toute subvention aux compagnies de transport public qui ne sont pas effectivement engagées dans un plan d'accessibilité avec des échéances précises. » Plus d'exception, sauf, sans doute, pour quelques vénérables monuments historiques. Plus d'exemption, en tout cas, pour des motifs économiques. Car « s'il faut attendre que chacun ait le budget voulu, dans vingt ans, on en sera encore au même point ». D'ailleurs, n'est-ce pas l'intérêt économique bien compris de la collectivité de construire, par exemple, des logements sinon tous adaptés du moins facilement adaptables, capables de répondre aux besoins futurs d'une population vieillissante ?, demande la présidente de l'APF.

Autre terrain sur lequel la nouvelle loi doit permettre de franchir un grand pas, c'est le droit à compensation. Là aussi, le principe en est inscrit dans la loi de modernisation sociale depuis janvier 2002, mais sans que les conséquences en aient été tirées. Par définition, la compensation, c'est un droit individuel à l'égalisation maximale des chances. C'est le soutien multiforme qui permet de remonter, autant que faire se peut, la partie du chemin qui reste à parcourir même si l'environnement a été modifié pour être vivable pour tous. Par exemple, le droit à compensation assure à la personne paraplégique l'usage du fauteuil performant qui lui reste indispensable pour aller où bon lui semble, au travail, au spectacle, chez des amis, même après que tous les lieux ont été rendus accessibles...

Les déficiences, mais aussi le projet de vie

Par définition aussi, le droit à compensation repose sur une évaluation individuelle des déficiences, en fonction du projet de vie de l'intéressé. Il ne peut se référer à un barème prédéterminé comme les aime l'administration. Il s'adapte et couvre aussi bien des interventions ponctuelles - comme aménager un logement ou acquérir un logiciel spécifique qui permettra de communiquer et de poursuivre des études - que des aides pérennes, telles que l'intervention d'auxiliaires de vie qui autorise l'installation ou le maintien à domicile. Il peut prendre des formes très variées d'aides techniques, animales ou humaines, ces dernières incluant aussi l'aide juridique de la tutelle due aux personnes handicapées mentales ou psychiques, surtout si, elle aussi, tend à favoriser le maximum de vie autonome.

La compensation peut-elle également prendre une forme collective, comme la création de services et d'établissements ? Non, proteste Vincent Assante, pour qui c'est un détournement du concept apporté par les grands gestionnaires desdits établissements. Oui, serait-on tenté de répondre pragmatiquement, dans la mesure où le service proposé répond à un besoin pour l'heure non satisfait par ailleurs. Oui, à condition qu'il soit de qualité et modulable avec le temps. Oui, surtout, s'il répond aux souhaits de la personne concernée (ou de sa famille pour les enfants) et donc s'il se montre capable d'évoluer. Vers plus de proximité, plus d'accueil de jour ou temporaire. Vers plus de classes implantées dans les écoles, collèges et lycées que dans des établissements spécialisés. Vers plus de logements adaptés, de résidences-services de petite taille ou d'appartements thérapeutiques répartis dans tous les quartiers. Selon, encore une fois, le choix de vie que chacun devra pouvoir exprimer.

« Au total, le droit à compensation doit répondre à des besoins extraordinairement divers, aussi divers que les formes de handicaps, constate David Causse, adjoint au délégué général de la Fédération hospitalière de France. Mais cela n'a rien d'insurmontable. N'est-ce pas ce que fait déjà la sécurité sociale, qui prend en charge des médicaments, des prothèses, des soins de ville, des frais d'hospitalisation et de rééducation, des pertes de salaire, sert des allocations familiales ou des retraites, finance du soutien à domicile... »

Sortir de dessous le seuil de pauvreté

En bonne logique, le droit à compensation devrait aussi assurer un revenu de remplacement en cas d'incapacité totale ou partielle de travail. Revenu qu'une association comme l'APF milite pour sortir de dessous le seuil de pauvreté et accrocher au niveau du salaire minimum, perçu comme le minimum vital. Une idée qui heurte résolument les libéraux et autres défenseurs de la « valeur “travail” » qui professent, jusque dans l'entourage immédiat de la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, Marie-Thérèse Boisseau, que le travail doit toujours être nettement plus « rémunérateur » que l'inactivité. Pour eux, rien de choquant à ce que le montant de l'allocation aux adultes handicapés reste proche de celui du revenu minimum d'insertion. Propos qu'il n'est bien sûr pas question de tenir en public... et qui fleure toujours le revenu d'assistance.

Or, justement, l'un des fondements du droit à compensation, c'est d'être un droit. Lié à la seule condition du handicap et qui doit se dégager définitivement de l'aide sociale facultative. Hormis le revenu de remplacement, il ne peut donc être soumis à conditions de ressources, de l'intéressé ou de son conjoint, il ne peut non plus être récupérable, insistent fermement toutes les associations et les personnes concernées. Sur ce point au moins - le droit et non plus l'assistance -, la réforme de la loi doit être l'occasion d'achever le travail accompli en 1975. « Sinon, c'est demander de l'héroïsme aux personnes handicapées qui persistent à vouloir travailler », enrage Jean-Luc Simon, en dénonçant toutes les dispositions qui, jusque chez les assureurs privés, découragent effectivement de le faire. Un discours que les défenseurs de la « valeur “travail” » devraient entendre...

Au total, les personnes handicapées attendent donc beaucoup de la réforme de la loi qui doit être présentée en conseil des ministres le 28 janvier, débattue dans la foulée et appliquée dès 2005. Avec un dosage judicieux entre les mesures d'intégration au droit commun - sur lesquelles doit désormais porter l'effort prioritaire - et le maintien de dispositifs de soutien, toujours nécessaires. L'intégration au droit commun elle-même ne nécessite-t-elle d'ailleurs pas des mesures incitatives de « discrimination positive »  ? Ainsi, il ne suffit pas de proclamer le principe de l'intégration scolaire. Il faut surtout former suffisamment d'enseignants spécialisés et d'auxiliaires de vie scolaire, et les payer correctement pour qu'ils restent en poste. Il faut aussi convenir que pour certains handicaps graves ou rares - et seulement dans ces cas -, l'établissement spécialisé reste la meilleure solution, la plus adaptée à la fragilité des enfants, la plus sécurisante, la plus humaine.

De même pour l'emploi. Il faut bien sûr mobiliser tous les dispositifs communs, et d'abord les ressources de la formation professionnelle. Mais il faut aussi financer, autant que de besoin, des mesures spécifiques d'adaptation du poste ou des horaires de travail. Il faut encore maintenir le fameux quota d'embauche de 6 % - que Marie-Thérèse Boisseau voulait supprimer mais qu'elle devrait finalement garder - quitte à le rendre plus persuasif, son non-respect devenant plus coûteux. Bref, il faut intégrer le maximum de salariés handicapés en milieu de travail ordinaire, et par tous les moyens, tout en améliorant le travail protégé, asile indispensable aux plus démunis qui doivent pouvoir être épargnés de tout calcul de rentabilité.

Liberté (d'aller et venir, de choisir son mode de vie...), Egalité (des droits pour tous), Fraternité (au profit des plus fragiles)  : la devise républicaine elle-même concilie ces aspirations contraires de non-discrimination et de discrimination positive... Elle devrait aussi permettre de répondre à d'autres demandes apparemment contradictoires comme la nécessaire proximité de bien des décisions (d'évaluation individuelle et de mise en œuvre...) et l'affirmation d'un droit égal pour tous. Sur l'ensemble du territoire, précisent les associations auxquelles l'idée de décentralisation ne fait pas peur - qu'elles revendiquent même pour certaines - à condition qu'elle s'accompagne d'un cadre hexagonal de référence, d'évaluation, de contrôle, et d'un financement des dépenses assis sur la solidarité nationale.

Toutes ces aspirations peuvent-elles être entendues par un gouvernement libéral et dans un contexte de stagnation économique ? A la lecture de l'avant-projet de loi, les associations se sont montrées nettement critiques. Après une longue phase de concertation, qu'elles saluent volontiers, elles ont l'impression d'avoir été écoutées mais peu entendues (7).

Si le projet comporte évidemment des avancées, il laisse aussi de nombreux points en blanc, renvoyés à d'autres textes. L'inconnue la plus importante tient au fonctionnement de la future Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Les personnes handicapées (et âgées) seront-elles associées à sa gestion ? Quelles seront ses frontières avec l'assurance maladie dont les soins devront continuer à dépendre, sauf à créer une sécurité sociale à deux vitesses, dont on imagine volontiers laquelle serait la plus lente ? Chacun sait qu'on ne pourra pas tout faire tout de suite. Mais les 850 millions d'euros que la caisse devrait percevoir et réserver aux personnes handicapées suffiront-ils aux premiers projets ? Beaucoup de précisions sont aussi renvoyées à des décrets. Or, trente ans après, tous ceux de la loi de 1975 ne sont pas parus !

Il faut beaucoup de conditions pour sortir une « grande loi »... Henri- Jacques Stiker, l'un des rares chercheurs à s'intéresser au handicap, regrette que le débat n'ait pas été poussé assez loin au plan conceptuel et politique et qu'il soit finalement resté cantonné entre spécialistes (8). On peut surtout déplorer que le gouvernement ait manqué d'ambition et d'audace, qu'il soit trop resté obnubilé par des considérations économiques de court terme pour ouvrir des perspectives à la hauteur des aspirations à l'égalisation des chances et à la citoyenneté des intéressés.

Marie-Jo Maerel

Notes

(1)  Voir ASH n° 2326 du 26-09-03.

(2)  Voir ASH n° 2338 du 19-12-03.

(3)  Dès son rapport au Conseil économique et social de septembre 2000 - Voir ASH n° 2180 du 15-09-00.

(4)  Par Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés - Voir ASH n° 2200 du 2-02-01.

(5)  Leur rapport sera remis le 8 avril 2002, dans les derniers jours du gouvernement Jospin - Voir ASH n° 2258 du 12-04-02.

(6)  Voir ASH n° 2273 du 23-08-02.

(7)  Voir notamment la dernière prise de position du CNCPH dans les ASH n° 2342 du 16-01-04.

(8)  Dans un article paru dans le numéro de décembre 2003 de la revue Esprit.

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