De ses 30 années de travail dans le champ de l'insertion par le logement, l'association Regis (1) aura sans doute connu en 2003 l'une des plus difficiles. Etablie dans le Rhône, elle gère un centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et mène des actions d'accompagnement auprès des ménages en grande difficulté. Il s'agit d'aider des familles dont l'accès au logement est subordonné par le bailleur à une mesure d'accompagnement social ou celles dont les difficultés sont telles qu'un accompagnement est nécessaire pour prévenir l'expulsion.
Mais ses interventions ont été remises en cause. « En juin dernier, le comité directeur départemental du Fonds de solidarité pour le logement [FSL] nous a fait savoir que notre subvention pour 2003 serait en baisse de 45 % », explique François Auffray, chef du service d'accompagnement social lié au logement (ASLL) à l'association Regis. Une annonce aux conséquences « catastrophiques » : « A l'automne, nous avons dû licencier plusieurs travailleurs sociaux correspondant à 3,75 équivalents temps plein et nous n'avons pas renouvelé le contrat à durée déterminée d'un autre salarié. » Certes, l'association, appuyée sur un CHRS, n'est pas en elle-même menacée. Mais pour les bénéficiaires des mesures d'ASLL, les conséquences de cette baisse des subventions sont visibles depuis l'automne. « Les critères d'admissibilité ont été durcis au plan départemental. De plus, nous ne prenons plus en charge de nouvelles familles depuis l'été, malgré des demandes croissantes, déplore François Auffray. Ces actions ne relèvent pourtant pas du bricolage ! Il y a des gens qui ont besoin de soutien pour éviter que leur situation ne se dégrade davantage. »
Autre conséquence : l'arrêt brutal, le 15 septembre dernier, d'une mission menée par l'association pour le compte de la Sonacotra Rhône-Alpes. Via un cofinancement (2), elle visait à accompagner les résidents les plus en difficulté des foyers et à assurer une médiation entre eux, les responsables des établissements et les professionnels des services sociaux. « Les informations concernant la réduction du FSL et le gel des crédits du Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations [Fasild] nous sont parvenues très tard. Nous nous sommes donc aperçus en milieu d'année que les subventions dont nous pouvions disposer ne couvraient pas l'action sur l'ensemble de 2003, explique Marc Vittu, responsable régional du développement social à la Sonacotra. Nous avons été contraints de nous saborder en dénonçant la convention qui nous liait aux associations. Soit dix ans de travail qui sont par terre ! » Celui-ci ne cache pas son amertume : « Nous avions tous le sentiment, financeurs et politiques compris, que nous étions parvenus à un travail de qualité. Nous avions prouvé l'intérêt et l'originalité de cette intervention qui permettait de repérer les résidents les plus en difficulté, très isolés, de leur offrir un accompagnement social individualisé pour les amener, petit à petit, à retrouver le chemin du bureau de l'assistante sociale de secteur et du droit commun. »
A l'origine de cette remise en cause d'actions et des difficultés de certaines structures, la décision de l'Etat de réaliser un état des lieux des budgets des fonds de solidarité pour le logement dans l'ensemble des départements. Tous ceux qui disposaient d'une trésorerie excédentaire ont donc vu leurs crédits réduits. Le Rhône y figurait au même titre qu'une quarantaine d'autres. « Alors qu'en général, le montant de la dotation de l'Etat au titre du FSL est connu début février, on nous a annoncé en avril 2003 qu'elle était réduite de 56 % par rapport à l'année précédente (3), indique Benoît Morellet, adjoint au directeur du service logement du conseil général. Comme chaque année, le département a aligné sa dotation sur celle de l'Etat. Mais c'est la première fois que nous avions une baisse aussi importante. » De nouveaux critères plus réducteurs d'attribution des aides au maintien dans le logement ont dû être adoptés en urgence. Et une partie des opérateurs - environ 35, associatifs pour la plupart - qui mènent des actions d'accompagnement social dans le cadre du FSL dans le département ont vu leur subvention réduite.
Sans que soient systématiquement remises en cause, du moins pour l'instant, les actions menées par les associations, une partie d'entre elles ont été affectées par ces diminutions de crédits. Certaines, adhérentes de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS), témoignent des difficultés quotidiennes engendrées par ces baisses : résiliation des baux de location, dossiers relatifs au maintien dans le logement ou à son accès de ménages non traités par les FSL, licenciements de travailleurs sociaux, dépôts de bilan... La FNARS Provence-Alpes- Côte-d'Azur a d'ailleurs alerté la préfecture, afin qu'elle prenne conscience de la « pression budgétaire insoutenable qui pèse sur les acteurs ». Avec elle, la Fédération des associations pour la promotion et l'insertion par le logement (FAPIL), l'Association pour le logement et l'insertion des plus démunis (ALID), le Mouvement Pact-Arim et l'Uriopss ont demandé au préfet des Bouches-du- Rhône d'ouvrir une négociation « pour envisager sereinement la campagne à venir ». Une enquête, menée à l'automne par ces fédérations auprès de 15 associations conventionnées pour des mesures d'accompagnement social dans le cadre du FSL, a en effet mis en évidence un écart important entre le financement octroyé à chaque mesure et son coût réel. « Devant ses résultats, les gestionnaires s'interrogent fortement sur la poursuite de ces actions. En effet, les budgets d'aide sociale des CHRS ou les financements affectés à d'autres actions ne sont pas destinés à combler les déficits de l'ASLL. Toutefois, les yeux se ferment complaisamment sur les déséquilibres dès lors que le FSL continue à fonctionner. Cette situation ne peut perdurer. Les associations ne peuvent pallier à la fois le manque d'offre de logements et le manque de financement pour reloger les ménages en difficulté dans des conditions conformes à la réglementation et aux politiques sociales en vigueur. »
Malgré les problèmes financiers croissants que peuvent rencontrer les associations, c'est une certaine qualité de la prise en charge qu'elles défendent. Ainsi, en Moselle, le manque de moyens s'est traduit autrement, comme l'explique Frédéric Jalabert, responsable d'animation et d'action sociale au sein de l'association Accompagnement, mieux-être et logement des isolés (AMLI) (4). Celle-ci gère une dizaine de foyers de travailleurs migrants, mais aussi des foyers pour personnes âgées, des résidences sociales et des centres d'accueil pour demandeurs d'asile. « Depuis cette année, les associations ne sont plus financées à la mesure, mais par une enveloppe globale. Or, depuis plusieurs semaines, certains opérateurs du secteur- AMLI comprise - ont épuisé leur enveloppe. Pour l'instant, les nouvelles mesures d'accompagnement des familles sont assurées par des associations qui ont capacité et qualité à le faire, mais sur des territoires ou dans des créneaux qui ne sont pas habituellement les leurs. Le risque est de voir arriver des travailleurs sociaux qui n'auront pas les repères nécessaires pour mettre en relation les personnes en difficulté avec les partenaires et les bailleurs. » C'est la compétence des opérateurs et de leurs travailleurs sociaux qui est ici défendue. Des compétences par ailleurs reconnues par les financeurs, insistent les associations. Lesquelles sont nombreuses à évoquer ce paradoxe : tout en les soumettant à des aléas budgétaires répétés d'une année sur l'autre, on exige qu'elles s'investissent dans ces missions d'accompagnement en embauchant des personnels qualifiés, aux salaires par conséquent plus élevés.
Les gels, annulations de crédits, déblocages de rallonges in extremis, retards de paiement, ont instauré en 2003 un climat d'incertitude permanente. Les associations ont « cherché à rationaliser leurs dépenses, et à diminuer leurs charges. Celles qui demeurent sont incompressibles, alors même que le coût réel des mesures selon les différents publics [...] ne fait l'objet d'aucun ajustement des recettes », affirme- t-on à la FNARS . « Les structures ont vécu en se serrant fortement la ceinture. Et si elles ont réussi à contenir le choc 2003, elles restent très inquiètes pour 2004 », observe, quant à lui, Jean-Michel David, délégué général de la FAPIL.
Certes, l'Etat a inscrit dans la loi de finances pour 2004 une augmentation de sa contribution aux actions d'accompagnement lié au logement (5). Mais, certains la contestent, à l'instar de Patrick Doutreligne, directeur général de la Fondation Abbé-Pierre : « C'est une hausse fictive, qui compare les budgets 2003 et 2004 sans tenir compte des annulations de crédits intervenues entre-temps. Globalement, il n'y a pas d'augmentation alors que les besoins sont en hausse. On est en train de rendre les associations aussi précaires que les gens qu'elles sont censées aider. »
Quel sera le détail des affectations de crédits concernant l'accompagnement des personnes ? Comment leur délégation sera-t-elle faite au sein de chaque département ? Les interrogations se multiplient et les associations dénoncent une absence totale de visibilité à très court terme. En outre, la perspective de la décentralisation ne fait qu'ajouter au manque de clarté général. Le réseau Alerte, notamment, se dit très inquiet des modalités de transfert de la gestion du FSL aux départements, exigeant des garanties dans le cadre de la décentra- lisation et le maintien du rôle de régulation de l'Etat. Quelle sera en effet la place du FSL dans les budgets départementaux ? Sera-t-il une priorité ? « Sur quelle base va-t-on s'appuyer pour calculer le transfert financier aux départements des FSL ? », questionne François Brégou, chargé de mission habitat à la FNARS. « Si on se fonde sur le budget de 2003, en diminution, on risque de voir des fermetures de services, des licenciements, et surtout des personnes laissées pour compte. Il faut une décentralisation basée sur une réelle évaluation des moyens et tenant compte de toutes les actions que doit financer le FSL. »
« Bien sûr, on peut être critique et estimer que l'accompagnement trouve ses limites dans le contexte actuel de pénurie : à quoi peut-il servir lorsqu'il n'y a pas de logements ?, se demande Nicolas Bérut, chargé de mission logement à la Fonda Rhône-Alpes. Reste que nous craignons qu'à la dégradation économique, assez sensible actuellement, et à la tension qui règne sur les prix du marché ne vienne s'ajouter une diminution des systèmes d'aide et de maintien dans le logement. Si c'est le cas, on risque d'assister à une hausse des expulsions et des situations d'endettement. Et à la réapparition de l'intervention d'associations charitables, qui va à l'encontre de notre conception d'un Etat garant de l'accompagnement des personnes dans le droit au logement, le principe même de la loi Besson. »
Pour de nombreuses associations, le contexte devrait au contraire inciter à soutenir plus que jamais l'insertion des personnes en difficulté. Ne plus être en mesure de les aider à accéder au logement ou à s'y maintenir engendrerait un coût social bien plus élevé que les quelques économies réalisées par les tours de vis donnés aux crédits. « Globalement, on aide environ 300 000 familles par an avec le FSL, et ce sont les plus défavorisées. Toute mesure d'économie sur la ligne budgétaire du logement de ce public a quelque chose de scandaleux, s'insurge Patrick Doutreligne. C'est la dernière à laquelle on devrait toucher. Faire des économies sur le dos des plus défavorisés n'est pas digne d'une société comme la nôtre. Car c'est l'attention qu'elle porte aux plus faibles qui fait toute sa valeur. »
Sandrine Pageau
(1) Association Regis : 5, rue du Perron - 69600 Oullins - Tél. 04 78 50 16 05.
(2) Du FSL, du Fasild, du département du Rhône et de la ville de Lyon.
(3) Le Rhône, comme d'autres départements, a obtenu depuis une rallonge de 150 000 € de l'Etat, qui devrait permettre notamment d'accorder un financement complémentaire à la Sonacotra Rhône-Alpes.
(4) AMLI : 13, rue Clotilde-Aubertin - 57006 Metz cedex 01 - Tél. 03 87 32 60 77.
(5) Voir ASH n° 2327 du 3-10-03.