« Aujourd'hui, le droit au logement se trouve institué, mais les dispositions qui existent ne sont pas appliquées faute de volonté politique. » C'est de nouveau ce constat, largement relayé par les associations et au centre de plusieurs de ses précédents avis (1), que formule le Conseil économique et social (CES) après s'être auto-saisi sur le thème de « l' accès au logement, droits et réalités ». Dans son avis adopté le 14 janvier et dont le rapporteur au nom de la section cadre de vie, était Nicole Prud'homme, présidente de la caisse nationale des allocations familiales, il retient quatre pistes principales pour améliorer l'accès au logement : fixer les conditions d'un droit opposable, mettre en place un service public de l'habitat, favoriser la fluidité des parcours résidentiels et renforcer l'efficacité des aides personnelles au logement. Le tout en tenant compte des modifications prévues par le projet de loi sur les responsabilités locales. « Toutes nos propositions ne sont pas complètement abouties, prévient Nicole Prud'homme . Nous lançons des pistes, en espérant qu'elles donnent lieu à concertation, dialogue et expertise. »
Côté bilan et analyse de la crise du logement, le CES rappelle qu'il faudrait construire 320 000 logements par an, dont 120 000 logements sociaux, les « crédits Borloo » prévus pour la rénovation urbaine devant, insiste-t-il, nécessairement s'ajouter aux « crédits de Robien ». Aussi le CES s'avoue-t-il très dubitatif sur le budget du logement pour 2004 : la diminution globale de 8,8 % ne pourra être compensée, estime-t-il, par la seule baisse du taux du livret A.
Premier axe de propositions : la mise en place d'un droit opposable, également revendiqué par le monde associatif et le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (2), venu peu à peu compléter la notion de couverture logement universelle (3). « Il convient maintenant de préciser le droit que l'on souhaite mettre en œuvre et se donner les moyens juridiques, financiers et matériels » de son application, souligne le Conseil économique et social, qui souhaite que cette réflexion soit poursuivie. S'il estime qu'il revient au législateur de mettre en œuvre le principe de l'opposabilité, il préconise une délégation de compétence à une autorité locale - le président de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ou du conseil général (la région en Ile-de-France) - à laquelle serait octroyée une délégation de crédits correspondants. L'Etat resterait garant et « régulateur » du droit au logement, prévoirait des sanctions en cas de manquement à cet objectif et bénéficierait d'un « droit de substitution » en cas de défaillance des collectivités. Sur ce point, le CES estime que les amendes prévues pour le non-respect de l'article 55 de la loi « solidarité et renouvellement urbains » (SRU) pourraient être majorées.
Pour coordonner la politique du logement, le conseil suggère la mise en place d'un « service public de l'habitat ». Il mettrait « en synergie » les acteurs du logement et de l'hébergement et organiserait une « conférence annuelle du logement », sur le même modèle que celle de la famille. Ce service pourrait être assuré, au niveau national, par un Conseil national de l'habitat « rénové », ou une commission spéciale de ce dernier, et à l'échelon local, par l'établissement public de coopération intercommunale.
Autre priorité : « favoriser la fluidité des parcours résidentiels ». La demande de logements sociaux, rappelle le CES, s'est accrue de 21,9 % en six ans (plus de un million de demandeurs en 2002), alors que la mobilité dans le parc social a perdu près de deux points de 1999 à 2001. Or un point de mobilité représente une réduction de l'offre de 40 000 logements... Parallèlement sont constatés une nette diminution de logements nouveaux (moins de 30 000 en 2001), la suppression et le gel de crédits pour 2003, la hausse des loyers en lien avec la crise du foncier...
Afin de dégager une offre foncière suffisante, le Conseil économique et social prône la création, dans chaque région ou département, un établissement public foncier (alimenté par la taxation des communes disposant de moins de 20 % de logements sociaux, comme demandé par la loi SRU). Il se montre par ailleurs très réservé sur le projet de loi « propriété pour tous » prévoyant la cession d'une partie du patrimoine HLM à ses locataires, qui doit être prochainement présenté par Gilles de Robien : il y a en effet une contradiction, selon le CES, entre le souci de répondre à une demande accrue de logements sociaux et le fait de permettre à certains ménages, parmi les plus aisés, de rester dans leur immeuble et de bénéficier d'une « rente de situation ». Mais il préconise, en revanche, que le dispositif de la prime à l'accession très sociale, mis en place à titre expérimental en 2001 pour aider les ménages très modestes, soit rétabli (4).
Autre volet de propositions : « renforcer l'efficacité des aides au logement ». Outre la suppression des amputations budgétaires, le CES demande que les revalorisations soient effectuées le 15 mai pour être effectives au 1er juillet, alors que celles-ci, en raison du calendrier budgétaire, sont fréquemment décidées en fin d'année. Il réclame également la suppression du délai de carence et de l'évaluation « forfaitaire » des ressources, jugée trop injuste et complexe, et, pour prévenir les expulsions , la conservation de l'aide personnelle au logement après résiliation du bail quand il y a apurement des dettes et maintien dans les lieux, « ainsi que le ministre du Logement, Gilles de Robien, s'y est engagé ».
L'assemblée suggère par ailleurs, en cas de séparation des couples avec enfants, que le parent « non-gardien » puisse bénéficier d'une aide spécifique pour pouvoir accéder à un logement plus grand et accueillir son enfant dans de bonnes conditions. Soucieuse de favoriser l'accès au logement de populations « particulières » (dont les personnes dépendantes, les jeunes, les familles immigrées), elle préconise en outre de réviser l'allocation de logement temporaire (récemment « recadrée » ) pour améliorer la solvabilisation des grands logements (5).
S'il prône le soutien « de dispositifs performants de solvabilisation et de sécurisation », comme le Fonds de solidarité pour le logement - qui souffre, en plus de problèmes budgétaires (voir ce numéro), d'un « manque d'articulation avec les autres dispositifs » -, le Conseil économique et social laisse ouverte au débat la question du poids respectif des aides à la personne (0,95 % du PIB en 1998), des aides à la pierre (0,33 %) et des aides fiscales (0,32 %) : « Cet équilibre est-il toujours aussi pertinent pour répondre à la situation de crise ? Probablement pas, un rééquilibrage s'impose », affirme l'assemblée.
M. LB.
(1) Voir son dernier avis sur le sujet dans les ASH n° 2316 du 20-06-03.
(2) Voir ASH n° 2337 du 12-12-03.
(3) Voir ASH n° 2249 du 8-02-02.
(4) Voir ASH n° 2296 du 31-01-03.
(5) Voir ASH n° 2340 du 2-01-04, et ce numéro.