Directeur de l'enfance et de la famille dans la Seine-Saint-Denis, ancien président de l'Association nationale des directeurs de l'action sanitaire et sociale (Andass), auteur d'un rapport sur l'évolution des relations parents-enfants-professionnels dans le cadre de la protection de l'enfance
« Maurice Berger noircit à outrance, à mon avis, l'aide sociale à l'enfance (ASE) et oublie les évolutions positives de ces dernières années. Il convient d'avoir une vue moins partielle et plus pondérée de la situation de la protection de l'enfance dans notre pays.
J'ai eu l'occasion, dans un rapport remis à Ségolène Royal, alors ministre déléguée à la famille et à l'enfance (2), de dresser un état des lieux et de faire des propositions. J'ai énoncé clairement ce qui n'allait pas dans les pratiques professionnelles et j'ai fait 23 propositions qui malheureusement n'ont pas encore été reprises.
On sait depuis longtemps que la problématique psychologique et psychiatrique est importante dans les situations à risque concernant l'enfant et que, pour permettre un retour en famille, un long travail doit être mené avec les parents et les enfants.
Or combien voyons-nous d'enfants qui relèvent des soins psychiatriques, qui sont confiés à l'ASE du fait de l'absence de lit en milieu hospitalier, et pour lesquels nous ne sommes pas équipés, ni en milieu ouvert, ni en internat. Là, vraiment il y aurait beaucoup à faire dans le travail en réseau qui n'en est qu'à ses prémices dans certains départements, comme celui de la Seine-Saint-Denis où j'exerce depuis plusieurs années.
Je ne parle même pas de l'absence de relations entre l'ASE et la psychiatrie adulte, alors que 42 % des enfants suivis en assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) ou confiés aux foyers ont [...] des parents qui sont, ou ont été, suivis en psychiatrie. Comment est-il possible de ne pas faire un lien entre le projet éducatif de l'enfant confié à l'ASE et le projet thérapeutique de ses parents. Cela, parfois, pourrait nous éviter des drames comme nous avons connu récemment.
Concernant l'évaluation de nos politiques publiques, des exemples attestent de réalisations intéressantes. Ainsi, une étude longitudinale a été mise en place dans la Seine-Saint-Denis, sous l'autorité scientifique du professeur Paul Durning, pour savoir ce que sont devenus les enfants sortis de l'ASE en 1980,1990 et 2000. Cette recherche va constituer une véritable évaluation des politiques publiques menées depuis 20 ans.
Afin de réaliser un travail de qualité de repérage et de suivi auprès des enfants et des familles, les travailleurs sociaux doivent être plus nombreux et mieux formés. Malheureusement, le nombre de places de formation dans les écoles n'est pas suffisant. C'est un véritable “plan Marshall” qu'il fallait réaliser, à savoir créer 10 000 places de formation supplémentaires pendant plusieurs années pour faire face aux vacances de postes et au départ massif de la génération du baby-boom.
De même, il faudra se soucier du niveau de rémunération des travailleurs sociaux débutants - aujourd'hui à 1 400 € par mois -, qui sont les seuls à accepter encore d'aller là où sont les familles et les enfants.
La philosophie de mes propositions est d'associer la famille autant que possible à toutes les décisions prises par rapport à leur enfant. Je suis opposé au retrait définitif de l'enfant de sa famille pour le confier à une famille d'accueil. Je considère que les lois actuelles qui régissent l'adoption sont tout à fait adaptées à la situation française et qu'il est inutile d'aller plus loin ! L'enfant est un être humain avec des droits dont les principes figurent dans la Convention internationale des droits de l'enfant.
Il y a, tout d'abord, un travail de prévention précoce à développer. Celle-ci commence lors du suivi de la grossesse par les sages-femmes de la protection maternelle et infantile (PMI). Au moment de l'accouchement, il conviendrait aussi de ne pas faire sortir précocement les mères, comme c'est souvent le cas, au deuxième ou troisième jour, et de s'assurer d'un accompagnement à domicile. Dans la Seine-Saint-Denis, nous avons développé avec les maternités un travail de retour à domicile avec le suivi de la sage-femme de la maternité et la mise à disposition d'une technicienne de l'intervention sociale et familiale financée par le département pour accompagner la relation mère-enfant.
Ensuite, je souhaite voir se développer des accueils parents-enfants avec le service de protection maternelle et infantile, car il est urgent de ne plus considérer la PMI, comme un service sanitaire, mais comme un service médico-social et éducatif.
Concernant les actions éducatives, je crois nécessaire d'apprendre à travailler en amont des mandats, comme le préconisait le rapport Bianco- Lamy de 1981 qui mettait en avant la nécessité de contractualiser avec les parents.
Quand les actions éducatives à domicile sont nécessaires, privilégions les actions contractualisées avec les familles, et recourons aux actions judiciaires uniquement quand tout a été tenté avec la famille et que ce recours est indispensable au bien-être de l'enfant.
Je pense aux propositions du Carrefour national de l'AEMO que j'avais retenues, notamment la création d'une assistance éducative en milieu ouvert demandée par la famille quand elle est en difficulté pour assumer ses responsabilités parentales.
De même, lorsqu'il y a crise, privilégions tant que cela est possible le travail à domicile, que j'ai appelé “AEMO intensive”, au cours duquel l'équipe psycho-éducative va mettre en place des moyens d'intervention, d'écoute et de relations journalières, jusqu'à la fin de la crise.
Privilégions les structures innovantes plutôt que le schéma classique du placement. Cela peut passer par des structures d'accueil de jour, permettant de recevoir le jeune enfant et sa famille pour créer les conditions d'un maintien à domicile. Mais aussi, pour les adolescents, par des accueils du type “ados-service” ouverts à des jeunes qui, à la suite d'un conflit familial, ne veulent plus rentrer chez eux. Proposons des structures d'urgence de 72 heures au maximum, avec information au parquet mais sans ordonnance de placement provisoire pour voir si, à l'issue de ce délai, il n'est pas possible de reprendre la médiation et d'éviter le placement. Il faudrait aussi développer des structures ayant une très grande souplesse, permettant à l'enfant d'être accueilli quand cela va mal, mais de revenir aussi vite dans sa famille lorsque cela va mieux, comme il en existe par exemple dans le Gard.
De même, il est nécessaire de favoriser l'évaluation pluridisciplinaire, lors d'un signalement, afin de mettre en place des projets adaptés à l'enfant. Un travail expérimental réalisé avec l'Education nationale dans la Seine-Saint-Denis, dans la circonscription de Tremblay-Villepinte, pour évaluer avant de signaler, a montré une diminution sensible des placements ces dernières années.
Pour les enfants considérés comme “incasables”, apprenons à travailler en partenariat avec l'aide sociale à l'enfance, la protection maternelle et infantile, l'Education nationale, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, la pédopsychiatrie. C'est ce que nous avons fait en créant dans la Seine-Saint-Denis la commission départementale des cas complexes, qui essaie, même dans les situations les plus difficiles, d'élaborer en commun un projet éducatif et sanitaire et de construire des solutions adaptées à chaque enfant.
S'agissant des usagers que sont les familles, ils ont droit au plus grand respect et je me suis réjoui du décret du 15 mars 2002 leur donnant l'accès au dossier d'assistance éducative se trouvant au tribunal (3). Je continue aussi à plaider pour que les juges des enfants rencontrent systématiquement la famille de l'enfant pour lequel il est proposé de prendre une ordonnance de placement provisoire. J'ai été d'accord avec le rapport Deschamps qui préconisait que, sans prendre de risques pour l'enfant, la décision du juge des enfants soit frappée de nullité si le juge ne voyait pas la famille dans les 15 jours suivant son ordonnance (4).
De même, je propose que chaque famille qui entre pour la première fois dans le dispositif de l'aide sociale à l'enfance soit reçue par l'inspecteur de l'ASE, afin que lui soit expliqué l'ensemble des prestations dont il peut bénéficier et des droits dont il dispose.
L'ensemble des écrits, en particulier les rapports, doivent être communicables à la famille du mineur. L'instauration d'un contrat est nécessaire entre la famille et l'éducateur lors de la prise en charge de l'enfant, spécifiant ce que chacune des deux parties va amener dans le projet éducatif.
Je préconise l'adaptation du service public aux besoins des familles. Cela pose la question de l'ouverture des locaux de l'aide sociale à l'enfance le soir, car les familles sont convoquées dans la journée, à un moment où le père, souvent le seul salarié de la famille, travaille. Il n'est pas étonnant, dès lors, que seulement 10 % des pères soient vus en AEMO.
Je propose aussi qu'il n'y ait plus de placements du vendredi soir liés à la crainte que la situation se dégrade durant le week-end. En revanche, une équipe de soutien sera disponible durant cette période avec une technicienne de l'intervention sociale et familiale à domicile pour l'observation et c'est à partir d'une évaluation le lundi matin que sera décidé le placement éventuel, comme cela se fait déjà dans certains départements.
Il y a aussi une urgence à réformer les études des travailleurs sociaux pour y intégrer les nouvelles problématiques. C'est pourquoi je propose des liens entre formation initiale et formation continue.
Il convient de renforcer l'accompagnement des nouveaux professionnels en mettant en place des supervisions hebdomadaires obligatoires pendant les deux premières années de travail.
Il faudrait accroître aussi les supervisions individuelles et les groupes d'analyse de pratique encadrés par des professionnels extérieurs.
La création d'une permanence d'écoute téléphonique spécialisée à l'usage des professionnels serait utile afin de rompre l'isolement de nombreux professionnels dans les situations de crise et d'accueil d'urgence.
Par ailleurs, les lois régissant la protection de l'enfance datent des années 80. Il devient urgent de les évaluer. En outre, la société a changé, il y a besoin d'un véritable débat national pour savoir de quelle politique veut se doter un pays développé comme la France. L'Etat doit y prendre sa place, les départements doivent y être associés pour amener leur compétence car ils représentent un investissement annuel de 4,5 milliards d'euros en faveur de la protection de l'enfance. Malheureusement, ce débat ne semble pas à l'ordre du jour. »
Contact : Conseil général de Seine-Saint-Denis - Direction de l'enfance et de la famille - BP 193 - 93003 Bobigny cedex -Tél. 01 43 93 80 00.
Respectivement : premier juge des enfants au tribunal de grande instance de Bobigny et président de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF) ; ancien président du tribunal pour enfants de Paris et membre du comité directeur de l'AFMJF
« La grammaire a parfois des répercussions singulières : si le titre de l'ouvrage de Maurice Berger, L'échec de la protection de l'enfance, avait été au pluriel, nous serions les premiers à prendre acte de ses constats et à souhaiter avec lui une reconnaissance réelle de la spécialisation des juges des enfants au sein du corps judiciaire, une formation plus exigeante et davantage pluridisciplinaire, une plus grande stabilité dans les fonctions, et un effort accru d'évaluation pour repérer et valoriser les “bonnes pratiques”.
Mais le singulier gâche tout en affirmant la “faillite du système” et la nécessité d'une réforme radicale.
Au fait, pourquoi diable l'auteur n'en reste-t-il pas à son légitime point de vue de médecin ? Pourquoi se lance-t-il dans un projet juridique de réforme des textes dont nous connaissons tous la difficulté et les pièges ? En tant que magistrats, nous aurions scrupule à prétendre modifier des protocoles de traitement thérapeutique...
Une lecture attentive des propositions de l'auteur conduit en effet à repérer dès l'abord que son idée maîtresse, consistant à introduire en protection judiciaire de l'enfance la notion d'“intérêt de l'enfant” pour la substituer à celle de “danger”, est de nature à induire une confusion entre deux concepts juridiques différents. L'intérêt de l'enfant se réfère à l'idée d'un arbitrage ponctuel et définitif entre des intérêts divergents. Le danger, par nature évolutif, requiert une continuité dans l'intervention et un suivi souple, mieux adapté à la garantie des droits subjectifs et à l'accompagnement d'une personnalité en devenir.
On connaît la connotation hygiéniste de l'intérêt de l'enfant. Comme le rappelait Jacques Donzelot dans La police des familles (5), elle a historiquement donné prétexte à l'intrusion médicale dans les couches populaires et généré des abus en matière de placement dont nous avons mis des décennies à nous corriger.
Il s'agit d'une notion ambiguë parce qu'à géométrie variable, utilisée habituellement pour habiller des convictions personnelles. La sociologue Irène Théry a magistralement démontré dans ses travaux combien son utilisation devant le juge aux affaires familiales alimentait, au lieu de les résoudre, les conflits entre parents.
Elle est susceptible d'entraîner une intervention sans limites dans la mesure où l'intérêt de l'enfant peut être recherché dans n'importe quelle famille et à tout moment, ce qui crée un risque d'arbitraire très supérieur à celui que comporte la référence au danger.
Dans sa critique de l'approche familialiste, le docteur Berger fait souvent allusion à des exemples étrangers, particulièrement au système italien. Il n'est pas inutile de rappeler que celui-ci, effectivement très proche de ses idées, a fait récemment l'objet de critiques virulentes, les juges et les services sociaux étant accusés de désintégrer les familles au nom de l'intérêt de l'enfant. Ainsi, en décembre dernier, un projet de loi remettant en cause le fonctionnement de la juridiction des mineurs italienne a été repoussé de justesse.
Ceci doit nous rendre circonspects quant à la critique radicale d'un familialisme qui serait forcément contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant.
S'il est vrai qu'on voit parfois l'acharnement éducatif et thérapeutique à aider les parents compromettre l'équilibre des enfants, l'idée selon laquelle le progrès des uns - celui des parents - est dans la plupart des cas inséparable du bonheur des autres- celui des enfants - nous paraît relever d'une “idéologie” finalement acceptable.
Au demeurant, l'approche médicale doit-elle être la seule à déterminer leurs besoins psychiques, physiques, intellectuels et affectifs en fonction de leur âge, de la situation familiale et de la nécessaire protection ? Faut-il voir dans les incertitudes du débat contradictoire et des voies de recours la simple remise en cause de la stabilité du placement ?
Ces éléments essentiels de l'état de droit ont-ils été institués au seul profit des parents ?
La proposition de suppression des audiences de réévaluation nous paraît à cet égard symptomatique du mépris dans lequel l'auteur paraît tenir les garanties du droit dont il entend pourtant se servir pour corriger les errements de la pratique.
En conclusion, si elles sont souvent pertinentes, les critiques du docteur Berger ne présentent rien d'autre qu'une caricature de la protection judiciaire de l'enfance. Leur outrance, leur généralisation abusive, sont particulièrement dangereuses dans un contexte politique où, sous prétexte de décentralisation et de meilleure gestion, s'organise un projet de démembrement de l'assistance éducative. »
Contact : AFMJF - Tribunal pour enfants de Paris - Palais de Justice - 75055 Paris-Louvre RP-SP -Tél. 01 44 32 65 13.
Psychologue à l'aide sociale à l'enfance du Doubs «
La démarche courageuse de Maurice Berger est un cri de colère. Je m'en réjouis au nom de tous les enfants dont je m'occupe depuis 25 ans en qualité de psychologue dans un service de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Elle s'appuie principalement sur quatre arguments.
La souffrance des enfants séparés précocement de leurs parents est difficilement entendue par les services sociaux. On reproche souvent à Maurice Berger de ne décrire que des situations dramatiques comme si elles étaient exceptionnelles. Ce reproche est doublement injuste car, d'une part, il s'occupe effectivement des cas de séparation les plus difficiles et heureusement qu'il y a des services de pédopsychiatrie pour les prendre en charge ; d'autre part, la souffrance des enfants séparés est beaucoup plus importante qu'on veut bien le dire. Beaucoup d'enfants séparés ne sont pas suffisamment protégés : des placements réalisés trop tard alors qu'il y a assez d'éléments pour dire que les enfants sont en danger, des changements de familles d'accueil encore trop fréquents, des visites insupportables à leurs parents qui peuvent les déstabiliser voire les désorganiser pendant des semaines ou des mois (au moins 20 % des jeunes majeurs quittant l'ASE se plaignent d'avoir souffert des rencontres imposées avec leurs parents), des retours en famille naturelle fondés sur des arguments insuffisants ou inacceptables, etc.
Les décisions qui devaient limiter leur souffrance n'ont pas été prises. Au contraire, à vouloir à tout prix que certains enfants séparés maintiennent des liens déstructurants avec leurs parents naturels, à vouloir qu'ils parlent de ceux-ci comme de leurs “vrais” parents, alors qu'ils peuvent en avoir une mauvaise image, nous ne faisons que les perturber davantage.
Le coût psychique pour les enfants est énorme (sans parler du coût financier que cela représente pour la société) : leurs résultats scolaires sont très médiocres (seuls 32 % ont un CAP ou plus) et l'insertion sociale de la moitié d'entre eux est difficile. Or nous savons qu'avec un placement familial long et des soins appropriés si nécessaire, un enfant peut récupérer une partie de sa déficience intellectuelle.
Lorsqu'une séparation parents-enfant est réalisée, ce qui est important c'est de proposer à un enfant un lien stable, continu, fiable et résistant. C'est grâce à ce lien que l'enfant va pouvoir organiser sa vie psychique (sentiment de « Une caricature de la protection judiciaire de l'enfance »
sécurité interne et d'estime de soi, capacité à contenir ses pulsions, capacités d'apprentissage, etc.). S'occuper d'enfants séparés c'est leur donner les meilleures conditions pour leur construction psychique (développement de la force de leur moi et de leur conscience morale). C'est leur donner les moyens d'acquérir les capacités intellectuelles, affectives, relationnelles qui leur permettent de mener une existence à peu près normale (capacité d'aimer et de travailler dont parlait Freud), et de devenir des parents capables d'élever leurs enfants. Les situations où les enfants séparés sont dans l'incertitude et la peur permanentes qu'une décision administrative ou judiciaire casse la relation établie avec une famille d'accueil et compromette leur évolution psychique sont trop fréquentes. Pourtant l'établissement d'une relation durable avec un adulte stable et bienveillant est un élément indispensable à la construction de la personnalité d'un enfant. Ce principe de santé mentale, défendu par la plupart des spécialistes, n'est pas respecté par la justice actuellement.
Maurice Berger insiste sur le fait qu'en France, nous ne prenons pas en compte les concepts de “permanence affective”, de “base de sécurité externe et interne”, qui sont le fondement des dispositifs d'autres pays, la permanency des pays anglo-saxons (basés sur les travaux de Bowlby et de ses successeurs concernant les processus d'atta- chement).
La législation française privilégie le droit des parents au détriment de la protection des enfants. Depuis plus de dix ans, Maurice Berger se bat contre l'idéologie actuelle trop favorable aux familles naturelles, alors que la clinique des enfants nous confirme chaque jour que la suprématie des liens du sang sur les liens “psychologiques” ne repose sur aucune observation sérieuse.
Il est temps que les discours suivants cessent : “il faut maintenir le plus longtemps possible un enfant dans sa famille” et “il faut rendre le plus vite possible un enfant à sa famille”. Ces discours font des désastres. Lorsqu'un retour est possible tant mieux, mais ce n'est pas un objectif de travail. Les psychiatres Myriam David et Michel Soulé ne disaient-ils pas déjà, il y a 25 ans, que les principes sur lesquels repose “l'intérêt de l'enfant” sont largement connus et acceptés par les psychiatres, psychologues et travailleurs sociaux, mais que “les décisions prises sont bien souvent en divorce avec ces principes” (6) !
L'enfant s'attache à qui s'occupe de lui pendant une durée suffisante (si la législation française est en retard sur d'autres pays, c'est qu'elle ne peut envisager un placement que comme provisoire, alors que de nombreux enfants ont besoin qu'on leur garantisse des placements de longue durée). Il faudra un jour reconnaître que le lien entre certaines mères et leur enfant ne s'établit pas (en tout cas pas d'une façon satisfaisante pour l'enfant). Le développement physique, intellectuel et social de l'enfant en est alors sérieusement et durablement affecté.
Il est important d'aider de toutes les manières possibles les familles en difficulté, à condition de ne pas perdre de vue qu'il y a un risque : avec certaines familles, il faut s'engager pour très longtemps (jusqu'à ce que les enfants soient devenus suffisamment autonomes). La lassitude de la prévention qui dure des années est bien connue : le risque est d'abandonner à nouveau ces familles à elles-mêmes et de laisser des enfants en danger ou d'en arriver finalement à une séparation. Cette situation est pire pour l'enfant qu'une séparation précoce.
Les outils d'évaluation des relations parents- enfant pathologiques sont de plus en plus performants, il est temps que les psy et les travailleurs sociaux des services d'investigation et d'orientation éducative, de protection maternelle et infantile, de maternité, etc., les utilisent pour être plus précis et plus convaincants lorsqu'il faut prendre des mesures de protection. Un grand nombre de souffrances, de pathologies d'enfants et de répétitions de placements à la génération suivante pourraient être évitées par une meilleure évaluation des relations parents-enfant accompagnée d'une séparation précoce lorsqu'elle est nécessaire.
Depuis des années, Maurice Berger ne cesse de répéter que nous sommes complices des souffrances infligées par certains parents à leurs enfants. Je souhaite vivement qu'il soit enfin entendu, qu'une prise de conscience s'amorce et que ses propositions pour changer la loi soient prises au sérieux. »
Contact : Conseil général du Doubs -Direction de la vie familiale et sociale : 18, rue de la Préfecture - 25000 Besançon - E-mail :
(1) Voir ce numéro.
(2) « L'évolution des relations parents-enfants-professionnels dans le cadre de la protection de l'enfance » - Voir ASH n° 2236 du 9-11-01.
(3) Voir ASH n° 2274 du 30-08-02 et n° 2303 du 21-03-03.
(4) Voir ASH n° 2207 du 23-03-01.
(5) Ed. de Minuit, 1977.
(6) Préface de Dans l'intérêt de l'enfant - J. Goldstein, A. Freud, A. Solnit - Ed. ESF, 1978.