Déjà dénoncée parce qu'elle réduit l'accès à la nationalité française des mineurs étrangers confiés à l'aide sociale à l'enfance (ASE), la loi sur l'entrée et le séjour des étrangers en France (1) a d'autres effets pervers. Ainsi, sur le terrain, certains travailleurs sociaux se demandent comment ne pas interrompre, du jour au lendemain, la prise en charge éducative des mineurs non régularisés à 18 ans.
Depuis le 29 novembre, les mineurs étrangers doivent attendre cinq ans - trois pour ceux accueillis par l'aide sociale à l'enfance - avant de déposer leur demande d'accès à la nationalité française. Or ceux qui se présentent à l'ASE ont en général plus de 15 ans. D'où de possibles conséquences en cascade sur leur prise en charge éducative : les mineurs ne remplissant pas les nouvelles conditions d'accès à la nationalité n'ayant plus droit au séjour à 18 ans, certains inspecteurs de l'aide sociale à l'enfance refuseraient déjà de signer les « contrats jeune majeur » qui permettent de prolonger la prise en charge après la majorité. « Nous constatons avec impuissance que les jeunes étrangers sans papiers pris en charge par l'ASE sous l'effet d'une mesure de protection de l'enfance, et à qui on promettait plus ou moins la prolongation des mesures d'assistance éducative jusqu'à 21 ans et l'obtention de la nationalité française sous condition de mise en place et de respect d'un projet d'insertion et d'intégration, se voient à ce jour refuser toute poursuite de leur suivi éducatif et social au-delà de leur majorité », expliquent les éducatrices d'un internat des Hauts-de-Seine, qui souhaitent conserver l'anonymat.
Reste que la loi n'a pas modifié les dispositions concernant le « contrat jeune majeur » dans le code de l'action sociale et de la famille. « Certaines ASE peuvent avoir pris cette décision, faisant le recoupement entre plusieurs mesures : la volonté de ne plus faire accéder systématiquement les mineurs étrangers à la nationalité française, de reconduire les sans papiers à la frontière, et le délit de solidarité », analyse Christophe Daadouch, secrétaire général du Groupe d'information et de soutien des immigrés. Il est vrai que la signature des « contrats jeune majeur », non obligatoire, dépend de critères pouvant être diversement interprétés.
Au total, apparaissent en tout cas beaucoup d'incertitudes et de cafouillages. A la Mairie de Paris, on estime d'ores et déjà que « signer des “contrats jeune majeur” reviendrait à se mettre en situation illégale par rapport à la loi, puisque le projet d'insertion devient irréaliste compte tenu de l'irrégularité du jeune ».
Plus nuancée, Michèle Estraillier, directrice de l'aide sociale à l'enfance dans les Hauts-de-Seine, juge que les majeurs sont dans une situation « délicate » s'ils n'ont pas de titre de séjour, mais que « le principe de protection subsiste ». Ce qui, selon plusieurs témoignages, entre en contradiction avec certaines pratiques actuelles des services.
Pour les travailleurs sociaux, il s'agit de ne pas créer de rupture dans la prise en charge éducative. Laquelle peut, entre autres preuves d'intégration, empêcher l'expulsion, selon le conseil d'Etat : par un arrêt du 21 avril 2000, ce dernier a annulé l'arrêté de reconduite à la frontière d'un adulte de 20 ans, au motif qu'il était pris en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance de Paris dans le cadre d'un « contrat jeune majeur ».
Selon le cabinet de Nicolas Sarkozy, le « problème a été identifié » et une circulaire devrait dans les prochains mois recommander « d'agir en toute intelligence ». En attendant, les travailleurs sociaux bricolent des solutions, notamment par le biais de demandes de cartes de séjour temporaire.
M. LB.
(1) Voir ASH n° 2318 du 19-12-03.