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LA RÉFORME DU DROIT D'ASILE

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La loi du 10 décembre réorganise les procédures en matière d'asile autour de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Au-delà, elle intègre en droit français plusieurs notions d'inspiration européenne nées, entre autres, de l'évolution du contexte géopolitique.

(Loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 et décision du Conseil constitutionnel n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003, J.O. du 11-12-03)

Pour le ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, qui s'en est expliqué le 5 juin devant les députés en présentant sa réforme, le diagnostic était clair. Des procédures redondantes, un dispositif « engorgé » et « de plus en plus coûteux », des centres d'accueil submergés, des délais d'instruction atteignant parfois près de 2 ans : « l'exercice du droit d'asile [était] en crise ». Cause principale de cette situation : l'afflux massif de demandeurs d'asile enregistré ces dernières années. En 5 ans, le nombre de demandes reçues par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) est ainsi passé de 23 000 à 53 000, tandis que celui des demandes d'asile territorial, enregistrées Place Beauvau, a atteint la barre des 30 000 en 2002.

Pour faire en sorte que les dossiers soient traités plus rapidement - l'objectif à terme étant de ramener les délais à 2 mois -, la loi du 10 décembre 2003 prévoit d'unifier les procédures en concentrant toutes les demandes d'asile entre les mains de l'OFPRA. L'asile territorial, qui était du ressort des préfectures et échappait donc à la compétence de l'office, est ainsi remplacé par une nouvelle forme de protection placée sous l'aile de l'OFPRA, la « protection subsidiaire ». Une notion dérivée d'une directive communautaire en cours de discussion, tout comme celle de « pays d'origine sûr » ou d' « asile interne », également introduites en droit français par le texte. En consacrant par ailleurs la possibilité de reconnaître le statut de réfugié à des étrangers subissant des persécutions perpétrées par des autorités non étatiques, la loi met fin, dans ce même esprit d'harmonisation des législations européennes, à une jurisprudence restrictive du juge français.

Conséquence immédiate de la réforme, la charge de travail de l'OFPRA et de la commission des recours des réfugiés va s'accroître. Devraient ainsi s'ajouter aux actuels dossiers d'asile conventionnel que l'office traite aujourd'hui une partie importante des actuels dossiers d'asile territorial. Selon une étude d'impact du projet de loi, citée au cours des travaux parlementaires, le nombre de dossiers à traiter par l'office du fait des nouvelles procédures est ainsi estimé à 85 000 en 2004. L'activité de la commission des recours des réfugiés devrait elle aussi considérablement augmenter, puisque cette instance n'était pas auparavant saisie des recours sur les rejets de demande d'asile territorial.

La réforme du droit d'asile, validée par le Conseil constitutionnel, est entrée en vigueur le 1er janvier 2004.

I - L'UNIFICATION DU DISPOSITIF D'ASILE

La loi du 10 décembre 2003 unifie le dispositif d'asile autour de trois pôles : un guichet unique, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, pour traiter toutes les demandes d'asile ; une instruction unique menée par l'office ; et enfin un recours juridictionnel unique, celui de la commission des recours des réfugiés.

A - Un interlocuteur unique : l'OFPRA (art. 2 de la loi)

1 - L'EXTENSION DES COMPÉTENCES DE L'OFFICE

La loi réformant le droit d'asile ne revient pas sur les fonctions traditionnelles de l'OFPRA en matière d'asile conventionnel et constitutionnel (1) mais les étend simplement aux bénéficiaires de la nouvelle protection subsidiaire, placée sous son aile et substituée à l'asile territorial anciennement traité par le ministère de l'Intérieur.

a - Les missions de l'office

Les termes mêmes de la mission de l'office sont quasiment inchangés. Il s'agit toujours pour l'instance d'exercer une « protection juridique et administrative » (loi n° 52-893 du 25 juillet 1952, art. 2-I nouveau). Ce, notamment, par la délivrance des actes d'état civil ne pouvant être obtenus auprès des autorités du pays d'origine (loi du 25 juillet 1952, art. 4 modifié). L'office est, par ailleurs, toujours chargé « d'assurer, en liaison avec les départements ministériels intéressés, [...]l'exécution des conventions, accords internationaux intéressant la protection des réfugiés en France », et notamment la protection prévue par la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. Il était prévu auparavant qu'à ce titre, l'office était « soumis à la surveillance » du Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés (HCR). La nouvelle loi revient sur cette formulation, en disposant que l'office « facilite [la] mission de surveillance » du HCR dans les conditions prévues par les accords internationaux.

Il est enfin dorénavant précisé que l'OFPRA assure également « l'application des garanties fondamentales offertes par le droit national ».

b - La disparition de l'asile territorial au profit de la protection subsidiaire

Les critères d'octroi de la protection subsidiaire (art.1)

Notion dérivée d'une directive communautaire en cours de discussion, la protection subsidiaire peut, à l'instar de l'asile territorial auquel elle se substitue, être accordée aux étrangers qui, bien que menacés dans leur pays, ne peuvent prétendre au statut de réfugié prévu par la convention de Genève. Similaires dans leurs objectifs, les deux formes de protection diffèrent en revanche dans la définition de leurs critères. Le bénéfice de la protection subsidiaire n'est en effet applicable qu'aux personnes établissant qu'elles sont menacées dans leur pays (loi du 25 juillet 1952, art. 2 II 2° nouveau)  :

 de la peine de mort  ;

 de la torture ou de peines ou traitements inhumains ou dégradants  ;

 ou, s'agissant d'un civil, d'une «  menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence généralisée résultant d'une situation de conflit armé interne ou international  ».

L'existence d'une menace pesant sur la « liberté de la personne », qui était un motif de protection avec l'asile territorial, ne l'est donc plus avec la protection subsidiaire.

Les motifs d'exclusion (art. 1)

Les dispositions relatives à l'asile territorial ne prévoyaient pas de motifs d'exclusion. Dans la mesure où il s'agissait d'une compétence à caractère discrétionnaire, la décision n'avait pas à être motivée. Il suffisait qu'elle soit « compatible avec les intérêts du pays ». Il en va tout autrement pour la protection subsidiaire, qui ne peut ainsi être accordée « s'il existe des raisons sérieuses de penser  » (loi du 25 juillet 1952, art. 2 IV nouveau)  :

 que l'étranger a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité  ;

 qu'il a commis un crime grave de droit commun  ;

 qu'il s'est rendu coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies  ;

 que son activité sur le territoire constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat.

Ces mêmes motifs peuvent justifier que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, « procédant à son initiative ou à la demande du représentant de l'Etat à un réexamen  », mette fin « à tout moment » à la protection subsidiaire.

A noter : exiger qu'il « existe des raisons sérieuses de penser » que l'intéressé entre dans l'une des quatre catégories d'étrangers exclus du champ de la protection « n'impose pas d'apporter la preuve formelle que l'intéressé a fait l'objet de poursuites pénales » mais suppose « que puissent être individualisés les actes et les agissements visés », selon le député Jean Léonetti (Rap. A.N. n° 883, juin 2003, Léonetti).

Le droit à une carte de séjour temporaire (art. 7)

L'étranger bénéficiaire de la protection subsidiaire se voit délivrer une carte de séjour temporaire, valable un an renouvelable et donnant droit à l'exercice d'une activité professionnelle (loi du 25 juillet 1952, art. 10 nouveau). Pour mémoire, la reconnaissance du statut de réfugié donne lieu, pour sa part, à la délivrance d'une carte de résident, valable 10 ans.

Des liens plus étroits entre le quai d'Orsay et le ministère de l'Intérieur (art.2)

En cas de rejet de la demande d'asile, le directeur général de l'OFPRA ou le président de la commission des recours des réfugiés (CRR) (2) transmettent dorénavant la décision « motivée » au ministère de l'Intérieur (loi du 25 juillet 1952, art. 3 modifié) . D'après l'exposé des motifs du projet de loi, il s'agit de permettre à l'Etat de disposer de l'argumentation nécessaire dans les différents contentieux relatifs aux mesures d'éloignement, à l'occasion desquels la situation dans les pays d'origine est souvent évoquée.

Le ministre de l'Intérieur peut par ailleurs désormais demander au directeur général de l'office de communiquer à des « agents habilités » des documents d'état civil ou de voyage permettant d'établir la nationalité de la personne dont la demande d'asile a été rejetée ou, à défaut, une copie de ces documents. Il faut toutefois que cette communication soit nécessaire à la mise en œuvre d'une mesure d'éloignement et qu'elle ne porte pas atteinte à la sécurité de l'étranger concerné ou de ses proches.

Rappelons que deux préfets, Bernard Fitoussi et Jean-François Di Chiara, se sont récemment vu confier par Nicolas Sarkozy de nouvelles fonctions visant à « mettre de l'huile dans les rouages » entre l'OFPRA et la Place Beauvau, ce qui a suscité l'inquiétude du monde associatif (3).

La cessation de la protection subsidiaire (art. 1)

La protection subsidiaire est accordée, comme l'asile territorial, pour une période de un an renouvelable (loi du 25 juillet 1952, art. 2 II nouveau).

L'OFPRA peut refuser de la renouveler « lorsque les circonstances ayant justifié son octroi ont cessé d'exister ou ont connu un changement suffisamment profond pour que celle-ci ne soit plus requise » (loi du 25 juillet 1952, art. 2 IV nouveau).

L'entrée en vigueur des nouvelles dispositions (art.13)

Les demandes de reconnaissance de la qualité de réfugié en cours d'instruction devant l'OFPRA au 1er janvier 2004 bénéficient de la nouvelle législation. Un étranger pourra ainsi, le cas échéant, bénéficier de la protection subsidiaire s'il n'est pas éligible à l'asile constitutionnel ou conventionnel. En outre, l'origine des persécutions dont il est victime ne sera plus prise en compte dans les mêmes conditions qu'auparavant .

Quant aux demandes d'asile territorial déposées avant l'entrée en vigueur de la réforme, deux cas sont distingués selon que le demandeur a ou non également saisi l'OFPRA d'une demande d'octroi du statut de réfugié. Ainsi, en cas de demandes simultanées, le demandeur est présumé s'être désisté de sa demande d'asile territorial au profit de sa demande adressée à l'office. En revanche, s'il n'a déposé qu'une demande d'asile territorial avant le 1er janvier 2004, l'instruction de son dossier ira jusqu'à son terme sous le régime antérieur. A moins qu'il n'introduise une nouvelle demande d'asile devant l'OFPRA. Auquel cas il sera fait application des nouvelles dispositions législatives, l'intéressé étant présumé se désister de sa demande d'asile territorial.

Dans l'exposé des motifs du projet de loi, la présomption de désistement est justifiée par le souci « d'éviter le traitement simultané de mêmes dossiers selon l'ancien et le nouveau dispositif ».

2 - L'ORGANISATION DE L'OFFICE

a - Le conseil d'administration de l'OFPRA

Le directeur de l'OFPRA était jusqu'à présent « assisté » d'un « conseil » présidé par un représentant du ministre des Affaires étrangères et composé d'un représentant de chaque ministre concerné par la question des réfugiés (justice, intérieur, finances, travail et sécurité sociale, santé publique et population) ainsi que d'un représentant, nommé par décret, des « organisations officiellement habilitées à s'occuper des réfugiés ». En l'occurrence, depuis l'origine, le conseil comprenait un représentant du service social d'aide aux émigrants (SSAE). La loi du 10 décembre 2003 remplace la responsabilité du « conseil » et modifie sa composition.

La mission du conseil

Le « conseil » prend dorénavant le nom de « conseil d'administration » et est non plus chargé d'assister le directeur, mais d' « administrer » l'office (loi du 25 juillet 1952, art. 3 modifié). Ainsi, alors qu'il n'exerçait auparavant que des fonctions consultatives, il a pour nouvelles tâches de fixer les orientations générales concernant l'activité de l'OFPRA et de délibérer sur les modalités de mise en œuvre des dispositions relatives à l'octroi du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. C'est à lui également que revient le soin de déterminer - temporairement - la liste des pays d'origine considérés comme sûrs , en attendant l'adoption des dispositions communautaires en la matière.

La composition du conseil

La loi n'énumère plus les différents ministres représentés au sein du conseil et se borne désormais à mentionner la présence de « représentants de l'Etat » (loi du 25 juillet 1952, art. 3 modifié). Le conseil comprend par ailleurs trois nouveaux membres : 2 parlementaires, désignés l'un par l'Assemblée nationale et l'autre par le Sénat, ainsi qu'un représentant du personnel de l'office. La nouvelle loi met fin, en revanche, à la représentation des organisations habilitées à s'occuper des étrangers. 3 personnalités qualifiées, nommées par décret, « assistent » simplement désormais aux séances du conseil d'administration et ont le droit d'y présenter leurs observations et leurs propositions. « Au moins » une de ces 3 personnes représente « les organismes participant à l'accueil et à la prise en charge des demandeurs d'asile et des réfugiés ».

Comme auparavant, le délégué du Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés « assiste », lui aussi, aux séances du conseil d'administration et peut y présenter ses observations et propositions.

A noter : le président du conseil n'est plus nécessairement le représentant du quai d'Orsay mais est nommé parmi les membres de l'instance par décret, sur proposition du ministre des Affaires étrangères.

b - Le directeur de l'OFPRA

Le directeur de l'OFPRA a désormais le titre de « directeur général » (loi du 25 juillet 1952, art. 3 modifié). Il était auparavant nommé par le seul ministre des Affaires étrangères. Dorénavant, il est désigné par décret sur proposition conjointe du quai d'Orsay et du ministre de l'Intérieur. « Il paraît logique d'associer [ce dernier] à cette nomination, l'OFPRA se voyant confier la protection subsidiaire, héritière de l'asile territorial accordé par ce ministre au titre du pouvoir régalien de l'Etat », justifie le sénateur (UMP) Jean-René Lecerf (Rap. Sén. n° 20,15 octobre 2003, Lecerf). Une évolution qui, insiste-t-il, « ne remet toutefois pas en cause la tutelle du ministère des Affaires étrangères sur l'OFPRA ».

B - Une procédure unique (art. 1)

Il revient dorénavant à l'OFPRA d'apprécier, après une « instruction unique », si l'intéressé répond aux critères nécessaires pour obtenir une protection et donc d'accorder, le cas échéant et selon la nature des menaces auxquelles la personne est exposée, la reconnaissance de la qualité de réfugié ou la protection subsidiaire (loi du 25 juillet 1952, art. 2 modifié).

Pour Dominique de Villepin, cela évitera « le dépôt de demandes successives sur des fondements juridiques différents, avec les abus qui en résultent ». Selon lui, en effet, « la juxtaposition des procédures de l'asile conventionnel et de l'asile territorial [permettait] aux demandeurs d'asile abusifs de se maintenir jusqu'à 3 ans dans notre pays avant le rejet définitif de leur demande » (J.O.A.N. [C.R.] n° 53 du 6-06-03).

Autre nouveauté introduite par la loi, il faut qu'au cours de l'instruction le demandeur ait été « mis en mesure de présenter les éléments à l'appui de sa demande ». L'OFPRA a, du reste, désormais l'obligation de convoquer le demandeur d'asile à une audition. Il pourra toutefois s'en dispenser s'il apparaît :

 qu'il s'apprête à prendre une décision positive à partir des éléments en sa possession ;

 que le demandeur d'asile a la nationalité d'un pays dans lequel les circonstances qui avaient pu conduire à la reconnaissance de l'asile ont cessé ;

 que les éléments fournis à l'appui de la demande sont manifestement infondés  ;

 que des raisons médicales interdisent de procéder à l'entretien.

C - Un recours juridictionnel unique (art.4)

Conséquence directe de l'unification des procédures d'asile autour de l'OFPRA, la commission des recours des réfugiés (CRR) devient la seule voie de recours pour tous les déboutés du droit d'asile. Ses compétences sont élargies en conséquence et sa composition modifiée.

1 - LA COMPOSITION DE LA CRR

Toujours présidée par un membre du Conseil d'Etat, la commission des recours des réfugiés, à laquelle le législateur reconnaît désormais la qualité de « juridiction administrative », comporte désormais des sections composées chacune (loi du 25 juillet 1952, art.5 modifié)  :

 d'un président nommé soit par le vice-président du Conseil d'Etat parmi les membres de ce dernier ou du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, soit par le premier président de la Cour des comptes parmi les magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes, soit par le garde des Sceaux parmi les magistrats du siège en activité et les magistrats honoraires de l'ordre judiciaire ;

 d'une personnalité qualifiée nommée par le vice-président du Conseil d'Etat sur proposition de l'un des ministres représentés au conseil d'administration de OFPRA ;

 d'une personnalité qualifiée de nationalité française nommée par le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés « sur avis conforme du vice-président du Conseil d'Etat ».

Le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés n'est donc plus représenté directement au sein de la commission. Cette présence n'avait pas été auparavant jugée contraire à la Constitution dans la mesure où elle revêtait un caractère minoritaire et surtout parce qu'elle était jugée nécessaire à la mise en œuvre d'un engagement international, en l'occurrence la convention de Genève. Or la protection subsidiaire, pour laquelle la commission des recours des réfugiés est dorénavant compétente, ne relève pas de cette convention. D'où la décision du gouvernement de ne plus associer le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés au fonctionnement de l'instance qu'à travers la désignation d'une personne qualifiée dans les sections.

2 - LES COMPÉTENCES DE LA CRR

La compétence de la commission des recours des réfugiés est étendue aux décisions de l'OFPRA dans le domaine de la protection subsidiaire (loi du 25 juillet 1952, art. 5 II nouveau). La commission statue plus précisément désormais « sur les recours formés contre les décisions » de l'OFPRA. Les mesures prises par l'office en matière de protection administrative et juridique des réfugiés échappent toutefois à sa compétence.

La commission statue, comme auparavant, sur des décisions de rejet mais aussi, compte tenu de la nouvelle formulation choisie par le législateur, sur des décisions d'octroi du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire (Rap. Sén. n° 20,15 octobre 2003, Lecerf). Un étranger auquel l'office a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire peut ainsi présenter un recours en vue de se voir reconnaître le statut de réfugié.

La commission conserve par ailleurs sa compétence consultative pour examiner, à la demande de réfugiés, certaines mesures de police prises à leur encontre par les autorités françaises. Une mesure d'expulsion pour des raisons de sécurité nationale ou d'ordre public, par exemple. L'intéressé doit former sa requête dans le délai d'une semaine. Ce recours est suspensif d'exécution.

A noter : un décret permettait auparavant au président de la CRR de régler par ordonnance un certain nombre de cas qui ne justifient pas l'intervention d'une formation collégiale (désistements, constat qu'il n'y a pas lieu de statuer sur un recours, recours entaché d'une irrecevabilité manifeste non susceptible d'être couverte en instance). Cette faculté est désormais inscrite dans la loi. Elle est élargie, au passage, aux présidents de section et est également appliquée aux demandes ne présentant aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause les motifs de la décision de l'OFPRA (loi du 25 juillet 1952, art. 5 V nouveau).

II - UNE RÉFORME D'INSPIRATION EUROPÉENNE

En signant le traité d'Amsterdam le 2 octobre 1997, la France s'est engagée dans une harmonisation des législations européennes en matière d'asile et d'immigration. La loi du 10 décembre 2003 vient ainsi, dans ce cadre, transposer par anticipation en droit français plusieurs nouvelles notions dérivées de directives communautaires en cours de discussion : la prise en compte des persécutions émanant d'agents non étatiques et, parallèlement, la reconnaissance des acteurs de protection non étatiques, ou encore le concept d'asile interne. Elle modifie par ailleurs les règles en matière d'admission au séjour du demandeur d'asile pour introduire la notion de pays d'origine sûr.

A - L'abandon du critère étatique des persécutions (art. 1)

1 - LES AUTEURS DE PERSÉCUTIONS ET DE MENACES GRAVES

Aux termes de la convention de Genève, l'élément déterminant pour la reconnaissance de la qualité de réfugié n'est pas l'origine de la persécution mais la protection dont l'intéressé a pu - ou non -bénéficier de la part des autorités de son pays. Ces stipulations ont donné lieu à des interprétations différentes selon les pays. Pour le juge français, l'absence de protection nationale correspondait à une intention délibérée de l'Etat. Il considérait, dans ces conditions, que les persécutions mentionnées par la convention visaient seulement celles commises par l'Etat.

La loi du 10 décembre 2003 met fin à cette interprétation restrictive en permettant de prendre en compte les persécutions perpétrées sans lien avec l'Etat. La qualité de réfugié - ou la protection subsidiaire - peut ainsi désormais être reconnue en cas de persécutions - ou de menaces graves - commises non seulement par des autorités de l'Etat mais aussi par (loi du 25 juillet 1952, art. 2 III nouveau)  :

 des partis ou organisations, à condition qu'elles «  contrôlent l'Etat ou une partie substantielle du territoire de l'Etat  »  ;

 des « acteurs non étatiques », à condition que les autorités susceptibles d'offrir une protection (voir ci-dessous) la refusent ou ne soient pas en mesure de l'offrir.

Dominique de Villepin l'a expliqué à plusieurs reprises devant les parlementaires : il s'agissait de tenir compte des changements intervenus depuis la signature de la convention de Genève. Et notamment de la multiplication de « zones grises » au sein desquelles des milices ethniques, des organisations mafieuses ou des groupes terroristes peuvent aujourd'hui être amenés à exercer leur pouvoir. C'est déjà cette « dichotomie entre la réalité du monde et la persistance d'une interprétation restrictive de la convention de Genève » qui avait conduit le gouvernement précédent à créer en 1998 l'asile territorial, afin de pouvoir régulariser le séjour de ressortissants algériens dont la vie était menacée par le GIA (Avis A.N. n° 872, mai 2003, Raoult).

En modifiant la définition des persécutions en droit français, la loi du 10 décembre 2003 va par ailleurs dans le sens des pratiques de nombreux Etats européens, et est conforme à une proposition de directive en cours de discussion ainsi qu'à la doctrine du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

2 - LES AUTORITÉS SUSCEPTIBLES D'APPORTER UNE PROTECTION

Anticipant également l'adoption de dispositions communautaires, la loi du 10 décembre 2003 reconnaît, parallèlement à l'élargissement de la définition des auteurs de persécutions, que la protection peut être assurée par des autorités non étatiques. Les « organisations internationales et régionales » sont ainsi considérées désormais comme des protecteurs potentiels, au même titre que les autorités de l'Etat (loi du 25 juillet 1952, art. 2 III nouveau). La loi française va donc plus loin que la convention de Genève, qui prend uniquement en compte la protection des personnes assurée par l'intermédiaire d'un Etat. Là encore, le gouvernement a voulu adapter le droit à l'évolution du contexte géopolitique. Aujourd'hui, il arrive souvent que des organisations internationales comme l'ONU ou encore des autorités locales prennent en charge la protection d'une partie des populations menacées. Ce fut le cas au Kosovo, en Afghanistan, en Côte d'Ivoire ou encore en République démocratique du Congo.

B - La notion d'asile interne (art. 1)

La loi du 10 décembre 2003 introduit en droit français la notion d' « asile interne ». Ce faisant, elle tire les conséquences de la reconnaissance des persécutions non étatiques : si on reconnaît que les persécutions peuvent ne pas être le fait d'un Etat, on admet alors aussi que celui-ci puisse offrir sa protection sur une partie de son territoire. « Ce n'est pas parce qu'une partie de la Côte d'Ivoire ou de la République démocratique du Congo est en proie à la rébellion ou aux massacres que tous les citoyens de ces deux pays, où qu'ils se trouvent, sont légitimes à demander l'asile en France », a ainsi justifié Dominique de Villepin devant les députés (J.O.A.N. [C.R.] n° 53 du 6-06-03).

La notion d'asile interne permet à l'OFPRA de rejeter la demande d'asile d'une personne qui aurait accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d'origine  » (loi du 25 juillet 1952, art. 2 III nouveau). Deux conditions, cumulatives, doivent toutefois être réunies pour faire jouer ce nouveau concept :

 l'étranger doit n'avoir «  aucune raison de craindre d'y être persécuté ou d'y être exposé à une atteinte grave »  ;

 il doit être raisonnable d'estimer que l'intéressé peut rester dans cette partie du pays.

Avant de prendre une décision, l'office doit tenir compte des «  conditions générales prévalant dans cette partie du territoire, de la situation personnelle du demandeur » ainsi que de la personnalité de l'auteur de la persécution au moment où il statue sur la demande d'asile. Exigence posée par le Conseil constitutionnel, l'OFPRA devra en outre s'assurer que la zone géographique en cause constitue une « partie substantielle » du pays d'origine du demandeur, que celui-ci puisse y accéder, s'y établir en toute sûreté et y mener une « existence normale ».

C - L'admission au séjour du demandeur d'asile (art. 5)

Préalable à la saisine de l'OFPRA, la demande d'admission au séjour est une étape essentielle pour les étrangers qui souhaitent solliciter l'asile. S'ils le font depuis leur pays d'origine, ils doivent simplement demander des visas « au titre de l'asile » auprès des postes diplomatiques ou consulaires français à l'étranger.

Mais ils peuvent également demander à séjourner en France au titre de l'asile alors qu'ils se trouvent sur le territoire français. La loi du 10 décembre 2003 ne modifie pas le régime qui leur est applicable mais en complète simplement les dispositions pour introduire en droit français le concept de « pays d'origine sûr ».

1 - L'AUTORITÉ COMPÉTENTE POUR PRONONCER L'ADMISSION AU SÉJOUR

Comme auparavant, l'examen de la demande d'admission au séjour revient au « préfet compétent » et, à Paris, au préfet de police (loi du 25 juillet 1952, art. 8 nouveau). La préfecture territorialement compétente est celle du département dans lequel l'intéressé est domicilié.

Un préfet de département - et à Paris le préfet de police - peut être compétent pour exercer cette mission dans plusieurs départements.

2 - LES MOTIFS DE REFUS D'ADMISSION AU SÉJOUR

Il existe, comme auparavant, quatre motifs de refus d'admission au séjour. Toute mesure d'éloignement prise pour un autre motif est illégale. Sur les quatre motifs, trois sont quasiment inchangés. Le quatrième est modifié pour introduire le concept de « pays d'origine sûr ».

L'étranger qui demande à bénéficier de l'asile peut ainsi voir sa demande d'admission rejetée si (loi du 25 juillet 1952, art. 8 nouveau)  :

 l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat, conformément à un certain nombre d'engagements internationaux ;

 sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat ;

 sa demande d'asile repose sur une fraude délibérée, constitue un recours abusif aux procédures d'asile ou n'est présentée qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée ou imminente. Constitue en particulier un recours abusif la présentation frauduleuse de plusieurs demandes d'admission au séjour au titre de l'asile sous des identités différentes ou la demande d'asile déposée dans une collectivité d'outre-mer s'il apparaît qu'une même demande est en cours d'instruction dans un autre Etat membre de l'Union européenne ;

 le demandeur d'asile a la nationalité d'un pays dont le régime s'est démocratisé  - et pour lequel ont été mises en œuvre les dispositions de l'article 1er C 5 de la convention de Genève (4)  - ou est ressortissant d'un pays considéré comme un « pays d'origine sûr ». Est considéré comme tel le pays qui « veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l'état de droit, ainsi que des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ». Le régime du séjour du demandeur d'asile (art.6)

La loi du 10 décembre réécrit les dispositions qui déterminent les modalités d'attribution d'un titre de séjour au demandeur d'asile admis à séjourner en France (voir ci-dessus), sans en modifier les principes (loi du 25 juillet 1952, art. 9 nouveau)  : l'étranger se voit remettre par les autorités préfectorales compétentes un document provisoire de séjour lui permettant de déposer sa demande d'asile auprès de l'OFPRA. Après ce dépôt, un nouveau document provisoirede séjour lui est délivré. Ce document est renouvelé jusqu'à ce que l'office statue et, si un recours est formé devant la commission des recours des réfugiés, jusqu'à ce que cette dernière statue. Ce second document peut lui être refusé, retiré ou son renouvellement refusé s'il apparaît, postérieurement à sa délivrance, que l'intéressé se trouve dans l'un des quatre cas de non-admission prévus par la loi. L'office statuera alors en priorité sur la demande d'asile (5).

Pour écarter le risque d'une application indifférenciée du principe d'origine sûr, il est précisé que « la prise en compte du caractère sûr du pays d'origine ne peut faire obstacle à l'examen individuel de chaque demande  ».

En attendant une décision européenne, le soin de fixer la liste des pays d'origine sûrs revient au conseil d'administration de l'OFPRA. Neuf pays seraient pour l'instant retenus par cette instance : la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Roumanie, la Bulgarie, le Bénin, le Cap-Vert et le Chili.

A noter : refuser l'admission au séjour d'une personnes se trouvant dans l'une des quatre hypothèses prévues par la loi n'est qu'une faculté et ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile. L'admission ne peut, en outre, être refusée en contradiction avec l'article 33 de la convention de Genève qui interdit l'expulsion ou le refoulement d'un réfugié « sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté seraient menacées en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions publiques ».

3 - LA SAISINE DE L'OFPRA EN CAS DE NON-ADMISSION

Comme auparavant, dans le cas où l'admission est refusée parce que l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat (voir ci-dessus), l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la commission des recours des réfugiés ne sont pas compétents.

En revanche, si elle est refusée pour les trois autres motifs prévus par la loi, l'étranger qui souhaite bénéficier de l'asile pourra tout de même saisir l'office de sa demande, qui l'instruira alors en priorité.

Olivier Songoro

Notes

(1)  Pour mémoire, l'asile « constitutionnel » et l'asile « conventionnel » obéissent aux mêmes règles de procédure et offrent la même protection. C'est uniquement le fondement juridique qui est différent : la loi « Chevènement » du 11 mai 1998 pour le premier, la convention de Genève de 1951 pour le second.

(2)  Selon que la décision de rejet aura fait l'objet d'un recours devant la CRR et qu'elle aura été confirmée par cette dernière ou que le demandeur n'aura pas présenté de recours devant la commission.

(3)  Voir ASH n° 2326 du 26-09-03 et n° 2327 du 3-10-03.

(4)   « Si les circonstances à la suite desquelles une personne a été reconnue comme réfugiée ont cessé d'exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité. »

(5)  Sauf si l'étranger se voit retirer ou refuser la délivrance ou le renouvellement du second document provisoire de séjour parce que l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat (motif de non-admission prévu à l'article 8 nouveau de la loi du 25 juillet 1952 - Voir ci-dessus).

LES POLITIQUES SOCIALES

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