« Partis d'une prise en charge globale des usagers, nous nous sommes rapidement aperçus que, lorsqu'on faisait une analyse de leurs difficultés, il y avait un facteur santé très important », explique Bernard Quaretta, directeur de la Société dijonnaise de l'assistance par le travail (SDAT), membre de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) (1). Les personnes accueillies non seulement n'avaient que peu ou quasiment jamais accès aux soins, mais surtout elles ne pensaient même pas qu'elles pouvaient être soignées. « On se rendait compte, poursuit Bernard Quaretta, que le corps n'existait pas, que ces publics niaient ce corps qui leur permettait de survivre. »
Certains se retrouvent donc avec des pathologies qui devraient, logiquement, les empêcher de marcher, mais ils passent leur journée dans la rue. Alors, bien sûr, pour dormir dans un lit, les gens peuvent accepter en toute bonne foi le contrat d'insertion qui leur est proposé - ce « contrat léonin du travail social », selon l'expression de Bernard Quaretta -, mais, en raison de problèmes somatiques, toxicologiques ou/et psychiatriques, ils se révèlent incapables de travailler, sans en avoir forcément conscience. « Vous avez alors toutes les justifications possibles pour dire que la personne ne veut pas se réinsérer. Mais ce n'est pas qu'elle ne veut pas, elle ne peut pas », affirme ce directeur. C'est pourquoi il faut que les travailleurs sociaux aient la possibilité de faire appel à la psychiatrie, sans que les hospitalisations d'office tournent court et les mettent en échec. « C'est ce maillage du social et du médical qui devrait nous permettre d'agir en complémentarité, le social pouvant prendre le relais quand la personne est soignée ou stabilisée », affirme Bernard Quaretta.
S'il est nécessaire que le social soit reconnu comme un interlocuteur à part entière par le sanitaire, cela n'empêchera pas certains médecins de refuser de soigner certains publics exclus. En outre, quelle que soit la qualité du praticien, la personne clochardisée n'ira pas facilement dans sa salle d'attente. « Les personnes à la rue ont besoin d'un cabinet médical qu'ils s'approprient, qui leur permette d'acquérir la volonté de se soigner », observe Bernard Quaretta. Qui défend l'instauration de lieux de soins adaptés, permettant à la population en grande détresse d'être entendue et de prendre conscience de ses problèmes de santé, afin de pouvoir mettre en place un cursus d'insertion. « Il ne s'agit pas de médecine au rabais, mais de dispositifs spécialisés dans l'accueil des publics en difficulté sociale. Ils ont vocation à être transitoires, sans que leur accès soit limité par une durée de prise en charge fixée administrativement, car une démarche de santé est antinomique avec des dates butoirs. » On sait, en effet, quand on travaille avec des gens détruits par l'alcool, témoigne un responsable de chantiers d'insertion, qu'une prise en charge de deux ans est insuffisante pour le soutien prolongé que requiert ce type de problématique.
« Souffre-douleur payés par la République pour en faire quelque chose », selon la formule du docteur Jean Furtos, directeur scientifique de l'Observatoire national des pratiques en santé mentale et précarité, les professionnels du social qui travaillent au contact des personnes en déréliction sont forcément affectés par leur souffrance. Celle-ci, surtout lorsqu'elle est non dite, a pour effet de les confronter à leurs limites, parce qu'ils ne sont pas préparés à l'affronter. « Dès qu'on touche à la santé, au corps, à l'angoisse, explique le psychiatre, on touche à l'infantile, à l'enfant en nous dépendant, aux traumatismes, à une certaine levée du refoulement, à des émotions troubles (jouissance, plaisir, horreur). » Cette souffrance de l'usager qui entre en écho avec celle du travailleur social peut conduire au blindage émotionnel, au déni, à la rétorsion ( « si vous ne voulez pas vous soigner... » ). Or, « il ne faut pas mésestimer notre violence inconsciente avec les gens qui passent leur temps à aller mal et à faire en sorte de ne pas se soigner. Si on ne travaille pas sur cette violence, dans les analyses de pratique, en cherchant à savoir pourquoi la violence de l'autre nous fait violence, on ne peut pas l'accompagner », précise Jean Furtos. En revanche, « comprendre ce qui, dans la relation de travail, nous rend souffrant, et pouvoir parler de sa vulnérabilité avec ses collègues » permet que, d'alibi pour ne rien faire, la souffrance devienne un moteur pour l'action. « Toutes les fois que du fond d'un certain marasme, nous trouvons l'énergie d'agir, la souffrance disparaît », déclare Jean Furtos, estimant que « notre insatisfaction est ce que nous avons de plus précieux ».
De fait, il n'importe pas uniquement de faciliter l'accès aux soins - et aux droits qui le rendent effectivement possible -, mais d'inclure l'accompagnement à la santé dans le parcours d'insertion des personnes en difficulté.
Dans le domaine du travail (avec les centres d'adaptation à la vie active, les chantiers d'insertion, etc.), comme dans celui du logement - où coexistent de multiples formules d'hébergement entre le tout-collectif et le complètement indépendant -, « nous avons su imaginer une palette de réponses intermédiaires. Il faut également faire preuve de créativité dans le champ de la santé », affirme Eric Le Page. C'est dans cet esprit novateur qu'en partenariat avec le service des urgences de l'hôpital, le directeur du Foyer chartrain d'accueil (Eure-et-Loir) a créé, en 1994, au sein de cette structure d'hébergement d'urgence, une consultation spécifique. « Nous nous sommes rendu compte, avec le médecin chef des urgences, que nous avions, grosso modo , le même public. L'admettre nous a permis de commencer à réfléchir en commun », explique Eric Le Page. Assurée par deux soignants et deux éducateurs, la permanence médicale - une chambre rebaptisée « infirmerie » et quelques cartons de médicaments fournis par Pharmaciens sans frontières - a fonctionné deux soirs par semaine pendant cinq ans, avec un personnel médical d'environ 25 personnes (médecins, infirmières, aides-soignantes), recrutées à l'hôpital sur la base du bénévolat.
Puis, avec l'arrivée des programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins (PRAPS), la permanence du Foyer chartrain d'accueil est devenue une permanence d'accès aux soins de santé (PASS). Toujours installée dans les murs du centre, elle n'est plus uniquement réservée aux personnes hébergées et ne fait plus appel au bénévolat : l'hôpital lui fournit les vacations bi-hebdomadaires de médecins (et la pharmacie), cependant qu'un poste d'infirmier devrait être financé en 2004 par des crédits hospitaliers régionaux. De ce travail commun entre les deux filières d'urgence, médicale et sociale, est récemment née une autre expérimentation : une formule d'hébergement de nuit, dans trois bungalows loués et entretenus dans l'enceinte de l'hôpital par le Foyer chartrain. Placés sous la responsabilité de l'infirmier du service des urgences, ils sont destinés à des personnes qui ne peuvent être accueillies en collectivité en raison de leurs problèmes psychiatriques ou de dépendance toxicomaniaque. « Nous avons également le projet de mettre en place une équipe de rue médico-sociale pour aller à la rencontre des personnes les plus clochardisées qui ne viennent plus vers notre association », ajoute Eric Le Page.
Bien sûr, reconnaît-il, « on a souvent reproché à notre permanence médicale » - où 500 consultations pour 390 personnes différentes ont été dispensées en 2002 - « d'être un lieu de soins pour les pauvres ». Mais c'est un faux procès. Pour que de « sas », l'outil ne se transforme pas en « nasse », « il nous revient, évidemment, de faire en sorte que les usagers parviennent à sortir du dispositif. Cependant on sait qu'avec des personnes en grande difficulté sociale, le simple “adressage” est souvent insuffisant. On aura beau leur conseiller d'aller consulter à l'hôpital, elles ne s'y rendent pas. » D'où l'intérêt de ce type de cabinet médical sur les lieux mêmes d'hébergement, pour apprivoiser ce public. Pour autant, serait-il opportun de penser à la création de lits médicalisés dans les structures d'hébergement et de réinsertion sociale ? Christian Tabiasco, directeur du Centre d'accueil et de soins hospitaliers de Nanterre (Hauts-de-Seine), membre de la Fédération hospitalière de France, ne le croit pas. « L'hôpital devrait pouvoir prendre en charge cette fonction d'aller vers la personne là où elle est », estime-t-il.
Pour l'heure, tel n'est pas le cas, et Christian Tabiasco ne dissimule pas les difficultés du travail avec les hôpitaux : « Le budget des établissements est contraint et le temps compté, par service et par malade, est bien différent du temps de la personne en situation d'urgence ou de précarité. En outre, le passage du budget global à la facturation à l'acte ne risque pas d'arranger les choses, puisqu'il faudra optimiser le plateau technique. » Historiquement, cependant, l'hôpital ne s'inscrit pas dans cette logique-là. C'est pour le rappeler et encourager la communauté hospitalière à développer d'autres pratiques, en partenariat avec les acteurs sociaux, que la Fédération hospitalière de France a élaboré avec la FNARS et l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (Unccas) une charte « Précarité, santé, solidarité » : au-delà de son rôle moderne de dispensateur de soins hautement qualifiés, la vocation sociale de l'hôpital y est clairement réaffirmée (2). « Il faudra, demain, demander que les hôpitaux mettent en place des liaisons, au titre de leur mission d'intérêt général qu'est la lutte contre la précarité et les exclusions - inscrite dans la loi depuis 1998, insiste Christian Tabiasco. Sinon on n'aura plus que le financement de l'activité. »
De fait, les patients restent aujourd'hui moins longtemps à l'hôpital, qu'il s'agisse d'un établissement psychiatrique ou général, observe Jean Furtos, psychiatre, directeur scientifique de l'Observatoire national des pratiques en santé mentale et précarité. « Par exemple, une femme qui accouche est hospitalisée cinq jours, et non plus onze comme à l'époque où j'ai fait mes études de médecine », précise-t-il. De la même manière en psychiatrie, le soin et la technicité ont pris le pas sur l'accompagnement au quotidien que faisaient, autrefois, les infirmiers auprès des malades hospitalisés à l'asile comme de ceux qui passaient de l'asile à la désinstitutionnalisation. Il y a donc tout un aspect du « prendre soin » - dont le volet accès aux soins ne constitue qu'une partie - qui n'est plus réalisé dans les hôpitaux et échoit aux travailleurs sociaux.
Ce désengagement de l'hôpital par rapport à son rôle social est l'une des causes de « la sanitarisation du travail social », selon l'expression même du psychiatre. L'autre tient aux difficultés économiques qui font que l'emploi ne peut plus représenter un objectif immédiat. Quels axes d'insertion reste-t-il quand il n'y a pas de travail ? Le logement et la santé. « On sait combien l'anomie, la désaffiliation, donnent vraiment des problèmes de santé », souligne le docteur Furtos : « Ces deux raisons contextuelles fondamentales expliquent que les intervenants du champ social aient à s'occuper des questions de santé élémentaires : il faut forcément un réseau républicain, payé par l'Etat, pour effectuer cet accompagnement qui n'est plus assumé par le service public de la santé et n'est pas non plus pris en charge, pour les personnes qui ne sont pas intégrées à un groupe social, dans les lieux naturels que sont la famille, les amis, le voisinage. »
Pour mieux connaître l'état de santé des personnes en situation de précarité, la FNARS des Pays-de-la-Loire a réalisé une étude, par questionnaire, auprès de 173 personnes accueillies dans les structures de son réseau (3) et de 120 professionnels qui y travaillent (4) . Riche de multiples enseignements, cette recherche (5) permet notamment de mettre en évidence les différences existant entre les besoins tels qu'ils sont ressentis par les usagers ou ceux repérés par les travailleurs sociaux. Du côté des usagers - dont 62 % se considèrent « plutôt en bonne santé » (et 13 % « ne savent pas » ) -, les préoccupations de santé exprimées concernent au premier chef le moral et les conduites addictives, ce qui concorde, grosso modo, avec les problèmes repérés par les équipes- si ce n'est que, s'agissant des addictions, les usagers parlent surtout du tabac et, dans une moindre mesure, d'alcool, alors que les professionnels mentionnent essentiellement l'alcoolisme, puis la polytoxicomanie. En revanche, les dents et les yeux, évoqués par 28 % et 27 % des usagers, semblent nettement moins les soucier que les équipes : celles-ci les considèrent respectivement à 85 % et 55 % comme prioritaires. En ce qui concerne les problèmes qu'eux-mêmes ont le plus de mal à prendre en charge, les professionnels des structures enquêtées citent, en premier lieu, les troubles d'ordre psychiatrique (74 %), puis les conduites addictives (61 %) et la souffrance psychologique (39 %). Ils mettent également en avant la difficulté des usagers à exprimer ces souffrances, leur propre déficit de formation à cet égard et le manque de relais et de coordination pour envisager un suivi thérapeutique. Interrogés sur les obstacles majeurs, selon eux, à une prise en compte de leur santé par les usagers, les professionnels sont 91 % à évoquer un désinvestissement du corps et une absence d'importance accordée à leur santé par les intéressés, puis la difficulté des personnes à s'impliquer dans une démarche longue (78 %) … … et leur crainte d'aller vers le système de soins (65 %). L'écueil financier n'est cité que par 13 % des équipes, alors que parmi les usagers qui déclarent ne pas consulter lorsqu'ils sont malades, 23 % expliquent que c'est par manque d'argent. 71 % des usagers citent également l'absence de gravité de leur problème. Pour améliorer la santé des publics, les préconisations les plus fréquentes des professionnels sont relatives à l'accompagnement social et au soutien moral dont les personnes ont besoin pour entrer et persévérer dans une démarche de soins (66 %), à une proposition d'écoute par des psychologues afin de favoriser, chez les intéressés, la prise de conscience et la verbalisation de leurs problèmes de santé (38 %), puis à des actions d'éducation et d'information (36 % et 34 %) pour pallier le manque de connaissances sur le corps, dédramatiser l'approche des soins (tant psychiques que somatiques) et sensibiliser les usagers aux possibilités d'un mieux-être. Des formations sur la manière d'aborder les questions de santé ainsi que sur les différentes maladies et leurs symptômes afin d'orienter plus efficacement les usagers, mais aussi, et surtout, des partenariats formalisés avec les acteurs de santé : telles sont, en ce qui les concerne, les demandes fortes des travailleurs sociaux soucieux de développer leurs capacités d'intervention auprès des personnes suivies. Enfin, pour rapprocher les soignants des usagers, les travailleurs sociaux préconisent une double démystification : il s'agit d'une part de former les professionnels du médical à l'accueil (et à certains comportements) des personnes vivant dans la précarité, d'autre part de mettre ces dernières en confiance par l'organisation de rencontres avec des personnels médicaux dans les structures où elles sont accueillies et sur les lieux de soins.
Jean Furtos voit trois messages dans cette sanitarisation du travail social. Le premier revient à appréhender la santé en termes de capital individuel à ne pas gaspiller, faute de quoi l'intéressé risque des désavantages sociaux (il aura, par exemple, du mal à trouver du travail si ses dents ne sont pas belles). Le second consiste à affirmer la santé comme un droit, mais aussi un devoir : « Chacun est considéré comme acteur de sa santé. On s'aperçoit d'ailleurs que dans beaucoup de contrats RMI, la problématique santé constitue un levier d'insertion à peu près équivalent à l'acquisition d'une compétence professionnelle - surtout lorsqu'il n'y a pas de travail », note le docteur Furtos. Le troisième message - « qu'on ne formule pas, mais qu'on fait passer dans l'action » -est que la santé est une forme de lien social qui se construit localement ; une façon implicite d'affirmer qu'au nom des droits de l'Homme tout citoyen a droit à une vie de qualité. Cette reconnaissance de la valeur de la vie individuelle de chaque personne, par ce professionnel qui représente la République, constituerait en quelque sorte l'ultime rempart contre l'exclusion.
La santé, située à l'articulation du privé et du public, serait ainsi « le dernier langage du social ». Cela ne signifie pas qu'il y a une psychiatrisation ou une psychologisation de l'intervention, mais que les difficultés à vivre sont posées en termes de santé - et que l'accompagnement social a des effets psychiques positifs. Certains pourront dire qu'il s'agit d'un « cycle inédit d'une politisation des problèmes sociaux par le biais de la santé. On se mobilisera par exemple davantage contre le saturnisme que contre les mauvaises conditions de logement d'une famille du Mali, parce que l'entrée “santé” est quelque chose qui nous touche, politiquement, économiquement, au niveau de l'action », commente le psychiatre.
Or cette société qui à la fois commande et commandite un accompagnement social de la santé a conçu, pendant des années, des politiques distinctes : sanitaires d'une part - et essentiellement curatives -, sociales de l'autre, souligne Nicole Maestracci, présidente du tribunal de grande instance de Melun (Seine-et-Marne) et membre du bureau de la FNARS. La nécessité de raisonner en termes de santé publique et de se préoccuper d'éducation à la santé est l'objet d'une prise de conscience encore trop récente pour s'être déjà traduite dans l'organisation des soins et la définition de structures, d'outils et de professionnels capables de porter les actions de prévention. Le changement culturel qu'implique ce nouveau positionnement passe par la capacité des acteurs de première ligne que sont les travailleurs sociaux à repérer les problèmes de santé des personnes pour les orienter de manière appropriée. Cela suppose qu'ils les interrogent de façon précise- même si cette pratique peut aller à l'encontre d'une certaine culture du travail social s'interdisant d'évoquer ce dont l'usager ne parle pas spontanément. « Si, dans une structure, on n'est pas en mesure de poser, par exemple, la question des consommations de produits toxiques, ce n'est pas la peine de parler d'accès aux soins », insiste l'ancienne présidente de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et les toxicomanies. Seule une observation fine des populations accompagnées permettra d'identifier leurs besoins de santé et de renvoyer, collectivement, les problèmes identifiés à la société, estime Nicole Maestracci. C'est- à-dire de sortir de la plainte et du compassionnel pour « mettre notre grain de sel dans la politique publique ».
Caroline Helfter
« Si l'on définit l'état de santé comme un état de bien-être physique, psychique et social, tout effort d'amélioration du bien-être des personnes peut être considéré comme un acte de santé, sans que ce soit forcément du soin ou de la prévention de la maladie », écrivait le professeur Lazarus en 1995 (6) . De fait, quel que soit l'angle sous lequel elle est abordée, la question de la santé se révèle incontournable dans une logique de réinsertion, soulignent Lise Mesguen, psychologue clinicienne, et Bruno Garcia, permanent de la FNARS Alsace, dans la recherche-action menée, pour la direction départementale des affaires sanitaires et sociales du Bas-Rhin, auprès des équipes éducatives des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) du département (7) . Tout en distinguant les deux registres de l'accès aux droits et de l'accès aux soins, les auteurs font observer que le fait de réintégrer, dans le système de droit commun, des personnes stigmatisées par la marginalité ou la pauvreté constitue l'un des enjeux majeurs de l'accompagnement proposé. Aussi la vérification des droits des usagers en matière de couverture sociale et la régularisation de leur situation sont-elles systématiques. « De sorte qu'un certain nombre d'entre eux renouent avec le système de soins à la faveur de la réouverture des droits opérée lors de leur séjour en CHRS », notent Lise Mesguen et Bruno Garcia. Pour essentiel qu'il soit, ce volet de leur travail n'est pas le plus ardu pour les éducateurs rompus à la complexité des démarches administratives. L'accompagnement du retour vers le soin de personnes qui s'en étaient radicalement éloignées est beaucoup plus difficile. Il s'agit d'ouvrir la voie à la discussion, d'émettre des remarques, voire des conseils, si les circonstances s'y prêtent ou l'exigent, et de provoquer une demande de soins chez ceux qui présentent une quelconque pathologie somatique ou manifestent une grande souffrance ou des troubles psychologiques. Or les travailleurs sociaux ne se sentent pas forcément autorisés à évoquer certains sujets délicats avec les résidents, sauf si la demande vient de l'usager lui-même. En règle générale, l'entretien duel, qui préserve l'intimité des personnes et permet d'instaurer une relation de confiance, est le moyen le plus employé par les professionnels pour envisager les questions de santé. Les actions de prévention collective sont, en revanche, très inégalement perçues et répandues dans les CHRS. Certains travailleurs sociaux manifestent leur perplexité vis-à-vis de telles entreprises de sensibilisation, estimant qu'elles évitent rarement l'écueil de l'infantilisation du public qu'elles visent. Pourtant, précisent Lise Mesguen et Bruno Garcia, diverses expériences ont montré que, passé les premières réticences, ce type d'intervention s'avère susceptible de déclencher des échanges et de donner lieu à des discussions en différé. Nombre d'établissements veillent aussi à afficher régulièrement une documentation concernant les maladies sexuellement transmissibles, l'alcoolisme, la toxicomanie ou encore les règles élémentaires d'hygiène et d'équilibre nutritionnel, et certains d'entre eux mettent par ailleurs des stocks de préservatifs à la disposition des résidents. L'organisation de réunions avec des intervenants extérieurs constitue un autre outil collectif d'information qui présente également l'intérêt de faciliter, ultérieurement, le recours individuel à des professionnels d'abord rencontrés dans le cadre du CHRS. Certaines actions, enfin, sont plus centrées sur la participation et l'activité des usagers. Il en est ainsi des groupes de parole qui offrent aux résidents une possibilité d'expression dont beaucoup ont, jusque-là, été privés. Ou bien de l'organisation d'ateliers nutrition ou cuisine, expérimentés dans deux structures du département, qui permettent de donner chair à certains conseils restant souvent très abstraits lorsqu'ils sont délivrés hors contexte. Quant aux animations sportives et aux activités de théâtre ou d'expression corporelle, encore rares dans les CHRS, elles constituent des modes actifs et ludiques de réappropriation d'un corps habituellement nié, qui peut devenir source de plaisir et de soins, et donc de préoccupations.
(1) Qui organisait des journées d'étude sur « l'accompagnement santé » les 15 et 16 octobre à Caen - FNARS : 76, rue du Faubourg-Saint-Denis - 75010 Paris - Tél. 01 48 01 82 00.
(2) Voir ASH n° 2301 du 7-03-03.
(3) 71 % des répondants - des hommes pour plus des deux tiers d'entre eux - sont âgés de 25 à 55 ans, 28 % de moins de 25 ans, 1 % de plus de 55 ans. Si la majorité des personnes enquêtées vivent seules (60 %) - et peu en couple sans enfants (5 %) -, le nombre de celles ayant des enfants à charge n'est pas négligeable puisqu'on compte 22 % de familles monoparentales et 13 % de couples avec enfant.
(4) Parmi les établissements ayant répondu à l'enquête, on dénombre 19 structures d'hébergement ou d'accueil d'urgence, 15 structures d'hébergement moyen et long séjour, 14 structures d'insertion par l'activité économique, 9 structures d'accompagnement social spécifique, 9 structures de service logement et 7 structures menant d'autres types de missions (115, atelier vie sociale, point relais écoute parole, insertion dans la ville, pension de famille, auto-école).
(5) Intitulée La promotion de la santé : une observation sociale auprès des personnes en précarité, cette étude réalisée en 2001-2002 pour la DRASS des Pays-de-la-Loire peut être commandée (20 €) à la FNARS : 3 bis, rue de la Préfecture - 49100 Angers - Tél. 02 41 20 45 16.
(6) Dans le rapport du groupe de travail « ville, santé mentale, précarité et exclusion sociale », intitulé Cette souffrance que l'on ne peut plus cacher - Voir ASH n° 1926 du 12-05-95.
(7) In L'accès à la santé des personnes accueillies dans les CHRS du département du Bas-Rhin, étude réalisée en 2000 par la FNARS Alsace : 8, rue de l'Ange - 68000 Colmar - Tél. 03 89 23 26 77.