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Une justice « de classe » pour les mineurs et leurs familles ?

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L'injustice sociale et économique se développe, y compris dans le traitement judiciaire de la délinquance des mineurs, dénonce Bernard Cavat, directeur général de l'Association départementale pour la Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence de l'Orne et vice-président du mouvement Education et société.

« La justice des mineurs se pénalise, aujourd'hui, au détriment de l'approche civile de protection de l'enfance : sanctionner les actes dérangeants plutôt qu'en comprendre et traiter les causes, c'est faire, entre autres, l'impasse sur le risque d'une inégalité de traitement judiciaire en fonction de l'origine socio-économique des populations concernées !

La justice des mineurs a longtemps été considérée dans le droit français comme une justice “exemplaire” : de nombreux magistrats sont allés jusqu'à souhaiter que l'ensemble des juridictions puisse s'inspirer de ses fondements, de sa philosophie et de certaines de ses procédures. Nous constatons aujourd'hui qu'aux (trop ?) fortes attentes vis-à-vis de cette justice construite sur un équilibre entre le pénal et le civil, entre la sanction et la protection, succèdent doutes et remises en cause de ses principes mêmes. Elle est considérée (à tort, nous semble-t-il) comme défaillante.

La philosophie explicite de l'ordonnance du 2 février 1945, texte fondateur de l'approche pénale du droit des mineurs, est le “primat de l'éducatif sur la sanction” tout en donnant aux magistrats de larges moyens pour mettre cette dernière en œuvre le cas échéant (faut-il rappeler ici que la France détient le triste record européen du nombre de mineurs incarcérés ?). Non seulement cette philosophie semble battue en brèche, mais, au-delà, c'est le regard même de la société sur sa jeunesse qui évolue vers une défiance quelque peu paranoïaque : du jeune délinquant, souvent première victime de sa propre violence, nous sommes passés au mineur hors-la-loi, tout-puissant face à l'ordre public, et dont la dangerosité bien souvent fantasmée justifierait la mise hors d'état de nuire ! L'actualité législative de ces derniers mois est éloquente de ce dérapage vers une société d'exclusion sourde et aveugle à l'expression de souffrance d'une partie de sa jeunesse.

Les moyens financiers de la justice des mineurs mobilisés en grande partie ces dix dernières années, dans une tentative louable de mieux comprendre et anticiper le fait délinquant, sur l'investigation éducative (permanences éducatives auprès des tribunaux, enquêtes civiles et pénales, investigations et orientations éducatives, etc.) et sur l'action préventive auprès des primo-délinquants (réparations pénales) se voient brutalement limités au profit de véritables “gadgets” tels que les centres éducatifs fermés. La caractéristique première de ces structures, au-delà de leur coût exorbitant, est de ressusciter dans l'imaginaire collectif les maisons de redressement gérées, à l'époque, par l'éducation surveillée devenue depuis la protection judiciaire de la jeunesse. Tant il est vrai que les interrogations légitimes sur la possibilité de mener un véritable travail éducatif au sein de tels centres pèsent peu au regard de l'effet symbolique désastreux de ce retour à l'enfermement comme solution magique aux échecs d'intégration de notre société : quelle plus parfaite représentation de l'adolescent “dangereux” qu'un jeune fugueur de centre éducatif fermé recherché par les forces de l'ordre pour rassurer une population locale a priori hostile à l'implantation d'un tel centre dans sa commune ?

Une société de défiance

De même, que penser d'un arsenal judiciaire tourné entièrement vers la stigmatisation et la sanction pénale des comportements sociaux dérangeants (regroupement dans les halls d'immeuble, racolage actif, mendicité agressive, etc.) sans qu'en parallèle un véritable effort de traitement des causes ne soit entrepris ? Nous assistons au contraire à un resserrement des crédits alloués à l'action sociale et à la lutte contre l'exclusion. Les prérogatives du parquet des mineurs ne cessent de se développer au détriment de la compétence des juges des enfants. Les dynamiques de comparutions immédiates et de sanctions en temps réel sous prétexte d'efficacité et de meilleure lisibilité de l'action publique mettent à mal le principe d'étude de la personnalité du jeune avant décision judiciaire. Nous sommes loin du primat de l'éducatif sur le répressif prôné par les rédacteurs de l'ordonnance de 1945 au motif qu'une société qui craint sa jeunesse est une société malade !

Une société de défiance, donc, mais également une société où l'injustice sociale et économique se développe y compris dans le traitement judiciaire des mineurs et de leurs familles. Il est indéniable que la population carcérale des mineurs est issue des milieux défavorisés. Il est tout aussi évident que, sous prétexte de responsabilisation des parents, seules certaines catégories socio-économiques d'adultes en difficulté éducative se voient menacées de sanctions pénales et sommées, par exemple, de participer à des “stages parentaux” attentatoires aux libertés individuelles (1). Comment ne pas voir dans cette procédure de rappel à la loi pour les “mauvais parents”, expérimentée actuellement par de nombreux parquets, l'exemple même d'une confusion entre soutien à l'autorité parentale et surveillance du corps social ? En matière de protection de l'enfance, les constats de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS) sont pourtant éloquents : une étude sur cinq ans montre que le phénomène de maltraitance reste stable mais que le nombre de familles fragilisées par la précarité augmente avec pour conséquence la hausse du nombre des enfants en danger (2). Dès lors, nous pouvons légitimement nous interroger sur la volonté des pouvoirs publics de “responsabiliser” les parents à travers des dispositifs discriminatoires d'“apprentissage du métier de parents”, basés sur la contrainte faite aux plus précarisés, et non plus sur la recherche de l'adhésion des familles caractéristique des mesures d'assistance éducative.

La prévention de la délinquance juvénile est un enjeu majeur pour notre société. Aujourd'hui, la médiatisation excessive de ses effets n'en facilite pas le traitement puisqu'elle favorise, de la part des politiques publiques, des réponses non seulement simplistes mais souvent socialement injustes à trop vouloir rassurer l'opinion publique et à multiplier les réponses immédiates et visibles au détriment d'une action en profondeur sur les causes.

Le projet de loi sur la prévention de la délinquance actuellement préparé par le ministère de l'Intérieur (3), sans aucune consultation du champ professionnel concerné, engagera également la responsabilité de la justice des mineurs. Justice “exemplaire” ou justice “de classe” ? »

Bernard Cavat Directeur général de la Sauvegarde l'Orne, vice-président du mouvement Education et société : 116, rue de la Classerie - 44400 Rezé Tél.06 72 73 69 33.

Notes

(1)  Sur les stages parentaux, voir la précédente tribune libre de Bernard Cavat dans les ASH n° 2307 du 18-04-03.

(2)  Voir ASH n° 2329 du 17-10-03.

(3)  Voir ASH n° 2336 du 5-12-03 et n° 2337 du 12-12-03.

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