« C'est très dur pour moi de suivre le cours quand le professeur écrit au tableau en même temps qu'il explique. » Difficile en effet de comprendre ce que dit un enseignant qui vous tourne le dos lorsque l'on est, comme Nadia, une étudiante en économie sourde de naissance et que l'on ne peut plus lire sur les lèvres. De son côté, Emmanuel Humbert, enseignant à l'université Henri-Poincaré de Nancy, se souvient de ce jeune garçon dont il découvre le handicap visuel, trois mois après le début de l'année. « C'est seulement quand il est venu me trouver pour me dire qu'il n'arrivait plus à suivre, que j'ai réalisé qu'il était mal voyant et prenait tout à l'oral. Il y avait manifestement un gros problème de communication. »
Voilà quelques témoignages livrés lors d'un colloque organisé à Nancy par le service d'intégration scolaire et universitaire et intitulé « Accessibilité : mode ou mode d'emploi ? » (1). Ils illustrent bien le chemin qu'il reste à parcourir en matière d'accès à l'université et d'accompagnement tout au long des études supérieures des jeunes atteints d'un handicap. Même si le nombre de ces derniers dans le supérieur a plus que doublé au cours de ces dix années.
« Les progrès à faire sont considérables », s'inquiète Michelle Palauqui, chargée de mission à la direction de l'enseignement du ministère de l'Education nationale. A commencer par l'amélioration de l'accessibilité des bâtiments et des locaux eux- mêmes, qui reste très inégale en fonction notamment des époques de construction des établissements.
Inscrite en DEUG d'allemand dans le milieu des années 80, Agnès se souvient encore des professeurs ou des étudiants valides qui la portaient pour assister à un cours en amphi ou du monte-charge inutilisable sans la clé détenue par un appariteur. Plus proche de nous, une enquête, réalisée en 2001 par la Mutuelle des étudiants (2), montre que seuls 21 des 52 établissements universitaires interrogés ont rendu tous leurs amphis et leurs salles de cours accessibles.
Pour Ernest Gibert, ancien vice-président de la Commission nationale vie universitaire, l'amélioration de l'accessibilité des différents espaces universitaires passe par la consultation des utilisateurs lors de la conception des bâtiments : « Il faut faire appel au bon sens de ceux qui sont confrontés à ces difficultés. Le bon sens, c'est par exemple de permettre aux étudiants handicapés d'être installés devant et au centre de l'amphi pour assister aux cours. Ils auront ainsi les meilleures conditions visuelles et auditives, mais surtout, ils seront avec les autres étudiants et ce lien social est absolument nécessaire. Il faut en outre savoir renoncer aux symboles, comme ces estrades qu'il faut enjamber. »
Mais la question de l'accessibilité doit être considérée bien en amont de l'arrivée de l'étudiant handicapé à l'université. Il y a tout un travail d'information à mener auprès des élèves en situation de handicap pour leur faire connaître la réalité du monde universitaire, très différente de la vie en établissement spécialisé. « Lorsqu'on est en institution, c'est vraiment un autre monde. J'étais complètement perdu en arrivant à l'IUT », avoue Gérald, handicapé moteur, ancien étudiant à l'IUT. Une expérience certes difficile mais néanmoins positive, estime cette autre étudiante : « Dans les établissements spécialisés, on est un peu le centre du monde. C'est vrai qu'on n'est plus du tout regardé de cette façon en arrivant à l'université. Mais, paradoxalement, ça fait du bien. »
Pourtant, bien informer ne suffit pas. Encore faut-il être bien orienté au départ. Les étudiants doivent dépasser le simple objectif du bac comme passeport pour l'enseignement supérieur et cerner au mieux le type d'études qu'ils souhaitent suivre ainsi que leur projet professionnel, affirme Michelle Palanqui. Une opinion partagée par Isabelle Mailliard, conseillère d'orientation au centre d'information et d'orientation de Vandœuvre : « Nous essayons de faire en sorte que chaque projet élaboré par un futur étudiant tienne compte de la réalité, de ses intérêts bien sûr, mais aussi de ses capacités. Pour certains, l'idée de départ tient plus du rêve que du projet réalisable. »
Attention néanmoins, préviennent certains enseignants ou partenaires associatifs, à ne pas trop inciter les futurs étudiants handicapés à faire preuve d'un pragmatisme exagéré et à évacuer la dimension du plaisir. « Heureusement que les sourds dont je m'occupe ont rêvé l'impossible. Laissons-les essayer de réaliser leur rêve, ce qui me paraît beaucoup plus important pour leur intégration et leur vie personnelle », défend Bernard Variot, de l'Institut national des jeunes sourds de Gradignan.
Reste ensuite à accueillir, dans les meilleures conditions possibles, l'étudiant, lors de son entrée à l'université. Un domaine où les carences sont également importantes, notent les professionnels, qui pointent l'absence de coordination entre le secondaire (lycées comme établissements spécialisés) et le supérieur.
Pourquoi ne pas « établir une fiche de liaison qui permettrait de mieux connaître les besoins de chaque étudiant handicapé avant qu'il n'arrive à l'université ? », s'interroge Pascale Fade, vice-présidente du Conseil des études et de la vie universitaire (CEVU) de l'IUT Charlemagne de Nancy. Et pour préserver la confidentialité des informations médicales, Isabelle Rosenbacher, médecin au service inter- universitaire de médecine préventive et de promotion de la santé, suggère de « créer un document en deux volets, comprenant d'une part le dossier médical destiné à circuler auprès du service médico- social et, d'autre part, un volet contenant les informations pédagogiques et d'environnement, non soumises au secret médical ».
Mais les jeunes, souvent, se montrent eux-mêmes réticents à mentionner leur handicap lors de leur inscription ou en début d'année. Or, autant il est impératif de respecter leur volonté « de ne pas être identifié dans le groupe en tant que personne handicapée, autant il faut que soient identifiées les difficultés afin de pouvoir prendre des mesures », note Pascale Fade.
Si les enseignants se disent prêts à adapter certains aspects de leur pédagogie aux difficultés des étudiants handicapés, ils regrettent de ne pas être suffisamment interpellés par ces derniers. Une communication pourtant incontournable au regard des obstacles que rencontrent les jeunes au sein même des classes de cours ou des amphis. « Malgré les aides dont j'ai bénéficié, la fac a été une expérience difficile car toutes les conséquences de la surdité n'ont pas été comprises. Par exemple, j'ai eu du mal à suivre les cours car je suis sourde de naissance et le manque de vocabulaire m'empêche de tout comprendre et donc de tout mémoriser. En plus, il y a une déperdition d'information due à la distance, aux déplacements du professeur ou encore à sa façon d'articuler », raconte Nadia.
Si les étudiants handicapés disposent d'aménagements pédagogiques tout au long de leurs études, tout n'est pas réglé pour autant. Par exemple, les preneurs de notes, choisis parfois parmi des étudiants valides, ne sont pas toujours formés à repérer les éléments importants, ou à mentionner les informations périphériques, pourtant nécessaires à la compréhension de leurs condisciples sourds ou malentendants. De même, explique Pascale Fade, malgré les dispositions particulières prévues pour les examens (salle individuelle, tiers temps supplémentaire, etc.), l'étudiant sourd en difficulté devant un texte s'entend parfois dire, par un enseignant qui ne le connaît pas, « qu'il n'y a pas de problème dans la mesure où il sait lire ». Alors que, pour certains étudiants sourds, l'accession au langage est un « sur-handicap ». Plusieurs associations et établissements universitaires préconisent la mise en place d'un interlocuteur unique au niveau d'un diplôme ou d'un département pour assister l'étudiant dans ses démarches et l'aider à mettre en place les aménagements spécifiques dont il a besoin.
Le service d'intégration scolaire et universitaire (SISU) (3) est une association créée en septembre 2001 par trois associations locales : le Groupement des intellectuels aveugles et amblyopes (GIAA), Accueillir et guider l'intégration (AGI) et le Centre européen d'intégration et de préparation des sourds à l'enseignement supérieur de l'Est (Cesens-Est). Auxquelles s'est joint par la suite le Centre éducatif pour déficients visuels. Financé par les universités, l'Agefiph, le Fonds social européen, des communes et des fondations, il est destiné à favoriser l'intégration des jeunes handicapés moteurs ou sensoriels dans les études supérieures. Il propose un service d'accompagnement pédagogique (via des aides humaines ou techniques) et un service « projet professionnel » centré sur la préparation de l'insertion dans le monde du travail. Il travaille avec les services universitaires et a passé des conventions, dans le cadre du contrat quadriennal des universités, avec les trois universités de Nancy. Il mène également des actions avec l'université de Metz.
Enfin, il y a tous les espoirs ouverts par les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Parallèlement aux supports plus traditionnels que sont les polycopiés, les cours préenregistrés ou les cassettes vidéo, les cours en ligne constituent un excellent support à l'enseignement et permettent d'éviter les désagréments liés aux déplacements. Il reste pourtant beaucoup de progrès à faire dans ce domaine, à commencer par l'accès au matériel informatique lui-même.
Moins de la moitié des universités, selon l'enquête réalisée par la Mutuelle des étudiants, propose du matériel informatique et multimédia en libre-service et les équipements adaptés à certains handicaps (caméra transformant le regard de l'utilisateur en mouvement de souris, manipulateurs buccaux, « orthèses », etc.) coûtent cher.
Il faudrait également, explique Lylette Gabrysiak, enseignante, que les cours en ligne soient consultables par tous. « Un jeune aveugle étudiant les maths à Nancy devrait pouvoir récupérer les cours de maths mis en ligne par les universités de Lyon ou de Bordeaux. » Enfin, les nouvelles technologies de l'information et de la communication ne doivent pas empêcher la présence physique des étudiants handicapés à l'université, source de relations sociales et d'insertion. Pour Louis Bonet, président d'Accueillir et guider l'intégration et du Groupement pour l'insertion des personnes handicapées de Lorraine, les études constituent l'antidote idéal au repli sur soi « puisqu'elles favorisent la rencontre a vec autrui, cet autrui fascinant et redoutable qu'est le valide. L'instruction devient ainsi une éducation au sens étymologique du terme, c'est-à-dire un chemin pour sortir de soi. »
Henri Cormier
Selon un premier recensement réalisé en 1981-1982 par le ministère chargé de l'enseignement supérieur, 695 étudiants handicapés suivaient à l'époque des études supérieures. Pour l'année universitaire 2002-2003, ils étaient 7 650, dont 5 844 à l'université, soit une augmentation de 7 % par rapport à l'année précédente. Plus de 26 % d'entre eux souffraient d'un handicap moteur, 19,1 % de déficiences visuelles, 13,2 % de troubles à dominante psychologique et 10,8 % de déficiences auditives. Des chiffres vraisemblablement sous-évalués, selon l'Union nationale des étudiants de France, qui relève que « beaucoup d'étudiants handicapés ne souhaitent pas se déclarer comme tels, de peur d'être marginalisés ». L'Observatoire de la vie étudiante dénombre pour sa part 8 000 étudiants handicapés moteurs.
(1) Les 23 et 24 octobre 2003 à l'IUT Nancy-Charlemagne.
(2) Réalisée du 10 octobre au 21 décembre 2001 auprès de 84 universités (dont 61 ont répondu au questionnaire), et publiée dans la revue Réadaptation n° 487.
(3) SISU : 8, rue des Myosotis - BP n° 35- 54 501 Vandœuvre-lès-Nancy cedex - Tél. 03 83 56 73 75 - E-mail :