Le 10 juillet 1923, le juge Henri Rollet déclare au Journal officiel une association dénommée « Service social de l'enfance en danger moral », dont le siège se trouve au tribunal pour enfants et adolescents du palais de justice de Paris. Le magistrat est soutenu, dans cette entreprise, par la mécène Olga Spitzer, Chloé Owings, une Américaine experte en travail social et en justice des mineurs, et Marie-Thérèse Vieillot, l'une des premières professionnelles du service social français. Le but des fondateurs est d'effectuer « des enquêtes et des démarches dans l'intérêt des enfants délinquants ou difficiles ». Ce faisant, ils implantent en France les premiers jalons de la protection socio- judiciaire des mineurs en milieu familial. Puis, pour mieux évaluer les besoins des enfants qui leur sont confiés et les préserver de conditions de vie jugées néfastes, ils ouvrent également, en 1928, un établissement d'accueil en Seine- et-Oise, contribuant à l'émergence d'un deuxième secteur de la protection de l'enfance :l'observation et la rééducation des enfants non intégrables à l'école. Faire évoluer l'action publique, à partir d'une « conception de la justice essentiellement sociale », tel est, explique Michèle Becquemin, le dessein de ces innovateurs qui, entourés de professionnels qualifiés, s'emploient à empêcher que les enfants soient envoyés en prison ou en maison de correction et à éviter que les parents « indignes » se trouvent déchus de leur autorité parentale.
Retraçant les 80 années d'existence de l'association Olga Spitzer, composée aujourd'hui de 15 structures situées en Ile-de-France, où 870 salariés s'occupent en moyenne de 12 000 enfants par an, c'est en fait l'histoire du droit des mineurs, ainsi que celle de la professionnalisation du travail social et éducatif, que relate l'ouvrage. Aussi, estime Michel Chauvière qui le préface, « la première leçon de ce travail est sans aucun doute de nous faire pénétrer de plain-pied dans la “fabrique du social” à travers l'exemple d'une œuvre presque idéal-typique ».
Un autre intérêt du livre est d'inviter à interroger certaines réformes contemporaines qui battent en brèche la philosophie et les pratiques de protection de l'enfance fondées sur le principe d'une éducabilité de l'enfant, activement promues par des pionniers comme ceux de l'association Olga Spitzer. Fruit de leur action et de leur capacité à interpeller le champ politique, le consensus de l'après-guerre autour du primat de l'éducatif est visiblement mis à mal depuis quelques années, note Michel Chauvière, soulignant la pertinence de l'éclairage proposé pour mieux appréhender l'enjeu des évolutions actuelles.
Protection de l'enfance : l'action de l'association Olga Spitzer - Michèle Becquemin - Ed. érès -23 € .