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Du RMI au RMA, un risque de dérive pour la prise en charge de la précarité

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Et si la création du revenu minimum d'activité (1) avait pour conséquence une segmentation néfaste de l'accompagnement social des titulaires du revenu minimum d'insertion ? C'est ce que redoutent Denis Buttin et Raymond Curie, tous deux formateurs à l'Institut du travail social de Lyon-Caluire et sociologues.

« C'est le ministre des Affaires sociales, François Fillon lui-même, qui le reconnaît (2)  : le revenu minimum d'activité (RMA) est un “mécanisme spécifique d'activation des dépenses de solidarité”, “inédit”, qui n'est “pas un contrat de travail comme les autres” et ne donne pas droit à “un salaire comme les autres”. En effet, ce contrat RMA a pour but le retour au travail de bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (RMI) avec une indemnité de 545  € par mois pour un travail de 20 heures par semaine. Mais ce mécanisme déroge au droit du travail, c'est là que le bât blesse. Les entreprises, de leur côté, y voient un avantage évident car elles ne devront débourser que 183  €, le reste étant financé par les conseils généraux, nouveaux dépositaires de la gestion du RMI. Les associations de chômeurs comme AC !, l'APEIS et le MNCP, de même que les membres de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS), critiquent une nouvelle précarisation de l'emploi, venant s'ajouter à d'autres exemples de dérégulation du travail déjà existants, comme les contrats à durée déterminée, l'intérim ou le temps partiel non choisi. Les tentatives d'inflexion du texte dans un sens plus social ont toutes été repoussées, notamment lors du débat préalable au vote à l'Assemblée nationale en novembre (3), les députés de l'UMP argumentant qu'il faut éviter la rigidité. Même l'amendement de Christine Boutin, soutenu par Maxime Gremetz  (PC), visant à limiter à 5 % le nombre de titulaires du RMA dans les entreprises de plus de 20 salariés pour éviter des abus de la part des employeurs a été refusé. Repoussé également l'amendement visant à donner aux titulaires de ce nouveau contrat un véritable statut de salarié avec un bulletin de paye et la protection sociale classique. En revanche, l'UMP a rajouté un amendement donnant la possibilité aux entreprises de travail temporaire d'employer, sous RMA, des allocataires du RMI.

Cette nouvelle organisation de l'accès au travail n'est pas sans interroger la place qu'occuperont désormais les travailleurs sociaux chargés par le conseil général de la gestion du RMI. Est-il absurde d'imaginer les injonctions diverses auxquelles ils seront alors soumis ? Les risques d'une plus grande individualisation de l'accompagnement dans le cadre du RMI ont déjà été maintes fois démontrés (4), notamment la stigmatisation du public reçu. Ne peut-on légitimement craindre une amplification de cette tendance ?

Un engagement solitaire dans la relation

Jusqu'à présent, en effet, malgré les aléas et inconvénients du dispositif RMI, les travailleurs sociaux chargés de sa mise en œuvre tentaient, espère-t-on, à partir des procédures nationales qui s'imposaient à eux, d'établir un accompagnement social ayant comme ambition à la fois l'accès au travail et la garantie du lien social. Il est à redouter à présent que le clivage entre RMI et RMA n'accule les travailleurs sociaux- qui auront moins de prise sur l'insertion professionnelle - à n'exercer leur fonction auprès des publics défavorisés qu'avec le seul support de la relation en face à face. Or, depuis entre autres les travaux de Jacques Ion sur la question, nous savons qu'il est difficile de faire tenir seule cette relation.

Avec ce scénario, on risque plutôt d'aboutir à une double insatisfaction : d'un côté des bénéficiaires qui ne trouveront plus auprès des travailleurs sociaux un étayage d'ensemble, de l'autre côté des professionnels qui seront, au risque de se perdre, éternellement aux prises avec les limites d'un accompagnement social segmenté, sans globalité, et consistant avant tout en un engagement solitaire dans la relation.

Robert Castel, dans son dernier ouvrage, L'insécurité sociale   (5), se positionne à l'opposé de cette dérive de la prise en charge de la précarité. Il pense en effet que les protections sociales (assurance maladie, invalidité, accidents du travail, vieillesse, chômage, allocations familiales et aide sociale) ainsi que les mesures d'insertion - dont les minima sociaux, notamment le RMI - apparues dans les années 80 doivent être reconfigurées.

Le contexte a changé en une vingtaine d'années avec le chômage de masse et la désaffiliation. L'individualisation des protections s'est développée en réponse à la crise de l'Etat providence, avec cette conséquence importante : la dégradation de la solidarité. Les minima sociaux ne constituent qu'une approche spécifique pour les personnes les plus en difficulté, sous la forme d'une discrimination positive et la fragmentation des mesures n'a pas permis de répondre efficacement aux problèmes.

Pour y remédier, on peut - c'est la première proposition de Robert Castel - assurer une continuité des droits au-delà de la diversité des situations. C'est-à-dire qu'un régime homogène de droits devrait couvrir le champ de la protection qui ne relève pas des couvertures assurancielles collectives. S'agissant du RMI, Robert Castel dit ceci : “Pour pouvoir se projeter dans le futur, il faut disposer au présent d'un minimum de sécurité. Dès lors, traiter sans naïveté comme un individu une personne en difficulté, c'est vouloir mettre à sa disposition ces supports qui lui manquent pour se conduire comme un individu à part entière. Supports qui ne consistent pas seulement en ressources matérielles ou en accompagnement psychologique, mais aussi en droits et en reconnaissance sociale nécessaires pour assurer les conditions de l'indépendance.” A l'heure actuelle, rappelons que seule une minorité de personnes (entre 10 et 15 %) qui ont bénéficié du RMI trouvent ensuite une insertion professionnelle.

Par ailleurs, la continuité et la synergie des pratiques s'imposent en vue de la réintégration des personnes en difficulté. Des collectifs d'insertion au niveau local pourraient se mettre en place.

Deuxième proposition pour assurer un redéploiement des protections sociales, la sécurisation des situations de travail et des trajectoires professionnelles. Même si le travail est devenu problématique, il garde sa centralité (90 % de la population française est couverte à partir du travail en comptant les retraités et, partiellement, les chômeurs). Il est donc important de transférer les droits du statut de l'emploi à la personne qui travaille, autrement dit d'assurer une continuité des droits à travers la discontinuité des trajectoires professionnelles, y compris pendant les périodes d'interruption de travail (chômage, formation, raisons personnelles...).

Vers un élargissement de la précarité

D'une façon générale, Robert Castel, comme il le disait déjà dans Les métamorphoses de la question sociale   (6), pense que l'Etat doit plutôt privilégier les politiques d'intégration (qui visent à homogénéiser la population, à favoriser l'accès de tous aux services publics et à l'instruction, mais qui ont aussi pour objectif la réduction des inégalités sociales) et relativiser les politiques d'insertion, souvent stigmatisantes (visant les publics en difficulté, avec des mesures transitoires et qui s'adressent aux symptômes des problèmes), même si celles-ci peuvent être corrigées avec les propositions ci-dessus.

Mais le gouvernement Raffarin, influencé par les idées du néo-libéralisme, ne semblant pas prendre cette direction, il est à craindre un élargissement de la précarité. A moins que des mouvements sociaux puissants ne viennent interrompre cette dérive. »

Denis Buttin et Raymond Curie Denis Buttin est sociologue et formateur à l'ITS de Lyon-Caluire ; Raymond Curie est sociologue à l'université Jean-Monnet de Saint-Etienne et formateur à l'ITS de Lyon-Caluire. Institut du travail social : 78-79, quai Clémenceau - BP 92 -69643 Caluire-et-Cuire cedex -Tél. 04 72 27 44 20.

Notes

(1)  Voir ce numéro.

(2)  A l'Assemblée nationale le 21 novembre 2003.

(3)  Voir ASH n° 2335 du 28-11-03.

(4)  Voir notamment le récent ouvrage de Denis Castra : L'insertion professionnelle des publics précaires - PUF, 2003.

(5)  Voir ASH n° 2331 du 31-10-03, p 27.

(6)  Ed. Fayard - Paris, 1996.

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