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Le bon exemple de la Suède

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C'est vrai, le sort des Suédois handicapés peut paraître enviable à leurs homologues français sur bien des points : fort soutien à la vie à domicile ou dans de petits appartements communautaires, politique active de l'emploi, accessibilité en net progrès... De quoi inspirer les évolutions attendues chez nous ?

Disons-le d'entrée : une visite en Suède sur le thème du handicap confirme que ce pays a plusieurs lustres d'avance sur le nôtre. Par exemple, on vous regarde avec des yeux ronds à l'Union des fédérations de personnes handicapées  (HF) quand vous posez une question sur le sort des enfants. Bien sûr qu'ils sont tous scolarisés ! Avec un bémol : ce n'est pas toujours dans l'école la plus proche. Les plus en difficulté sont dans des sections spéciales, mais rattachées à des écoles ordinaires. Une seule exception pour les jeunes sourds et malentendants, qui fréquentent des établissements spécialisés.

Autre exemple : le maintien à domicile. Même les personnes les plus lourdement handicapées peuvent effectivement vivre chez elles... et sans y rester cloîtrées. Aux termes d'une loi entrée en vigueur en 1994, l'aide consentie pour les actes de la vie courante, mais aussi pour sortir vaquer à ses activités peut aller jusqu'à 24 heures par jour. Selon Lars Lindberg, conseiller du ministre de la Santé et des Affaires sociales, la dotation moyenne des bénéficiaires se situe entre 70 et 80 heures par semaine (avec une subvention de 200 couronnes, soit environ 20  €, de l'heure). Le service social de la commune peut fournir cette aide, mais les intéressés ont aussi la faculté de la gérer eux-mêmes en étant les employeurs directs de leurs assistants personnels (car il en faut souvent plusieurs). « Surtout, témoigne Gisèle Caumont, une orthophoniste française tétraplégique partie vivre en Suède, le questionnaire qui vous permet d'entrer dans le dispositif porte non pas sur vos incapacités, mais sur votre projet de vie et vos besoins. C'est un changement radical de perspective ! »

De longue date, les pouvoirs publics suédois ont mené une politique volontariste, sans se décharger du problème sur la charité publique ni sur les associations (qui ne gèrent pratiquement pas de services ni d'équipements). L'Etat a d'abord développé un arsenal législatif intégré à la plupart des lois ordinaires mais qu'il a encore complété le 1er juillet 2003 par une loi prohibant toute discrimination. Ce texte introduit notamment le renversement de la preuve - c'est l'auteur présumé qui devra prouver qu'il n'a pas commis de discrimination. Il renforce aussi les pouvoirs d'intervention de l'ombudsman des handicapés (l'un des cinq médiateurs nationaux préposés à la lutte contre les discriminations de toute sorte).

L'Etat s'implique aussi directement dans des politiques concrètes. Ainsi, c'est le Service national de l'emploi qui prend en charge l'insertion professionnelle des personnes handicapées. Celles-ci constituent 10 % de l'effectif des demandeurs d'emploi, mais 20 % des moyens leur sont consacrés. Les intéressés sont accueillis dans toutes les agences locales, lesquelles peuvent faire appel à un réseau de 15 agences spécialisées où travaillent des ergonomes, des orthophonistes... Dans les coquets locaux de celle d'Uppsala, une ville universitaire à 70 km au nord de Stockholm, deux services spécialisés proposent ainsi toutes les aides techniques qui permettent aux malentendants ou malvoyants de trouver un emploi ou de s'y maintenir. On y présentait aussi récemment les nouveaux matériels - tels qu'un stylo parlant, capable de prononcer et de définir tous les mots du dictionnaire ou des logiciels de correction adaptés -susceptibles d'aider les personnes dyslexiques ou ayant des difficultés avec la lecture et l'écriture. « Un handicap de plus en plus rédhibitoire sur le marché de l'emploi », souligne Jan Breding, le responsable du service qui impulse la recherche sur ces nouveaux outils.

Outre une substantielle subvention au salaire pendant quatre ans, l'embauche d'un salarié handicapé en milieu ordinaire peut entraîner la prise en charge de ces aides techniques jusqu'à 5 600  € et une compensation partielle du salaire d'un « assistant personnel » choisi parmi les collègues de travail jusqu'à 5 000  € par an. Cela ne résout certes pas tous les problèmes, puisque le taux d'activité s'établit à 53 % parmi les personnes handicapées de 16 à 65 ans, contre 77 % dans la population générale. Mais la formation et l'embauche des 10 % de la population active affectés par des désavantages « physiques, émotionnels, intellectuels ou socio-médicaux » constituent clairement une priorité de la politique de l'emploi.

Parce que la société elle-même peut être handicapante, les collectivités locales sont priées de se mobiliser afin que la voirie, les bâtiments (publics et privés) recevant du public et les transports soient accessibles à tous d'ici à 2010. La municipalité de Stockholm a créé, en 1999, un bureau spécialisé au sein de la direction des services techniques et l'a doté d'un budget de 10 millions d'euros par an, « au point qu'au début, nous ne savions pas comment le dépenser », avoue son responsable, Lars Cedergrund. Pas très bien accueilli par les autres services dont il devait revoir tous les projets, il a, depuis, trouvé sa place. Déjà, dans bien des quartiers de la ville, tous les trottoirs, carrefours, abribus, jeux d'enfants et accès aux équipements sont reconfigurés. Le métro est accessible, tous les musées le sont également et l'on s'excuse à l'hôtel de ville (un beau bâtiment du début du XXe siècle) de devoir faire passer les fauteuils par une entrée latérale. Seule l'île de la vieille ville, avec ses ruelles pavées, est plus difficilement carrossable, mais un itinéraire adapté y est quand même proposé. Ces réaménagements sont réalisés en pensant aux personnes à mobilité réduite mais aussi aux déficients sensoriels, aux personnes atteintes de handicaps cognitifs et au nombre grandissant de personnes âgées que l'on voit se déplacer avec un déambulateur-caddie très pratique.

Toutes les municipalités n'en sont pas encore au même point puisque seules 7 % d'entre elles se sont dotées d'un plan d'action, mais la revendication monte chez les personnes handicapées et l'on a vu l'Association suédoise des jeunes à mobilité réduite enchaîner des fauteuils roulants à des bus trop hauts de plancher. « Les services spéciaux de taxis ne sont jamais offerts en quantité suffisante, et l'aide apportée pour l'achat et l'usage d'un véhicule individuel ne couvre pas la totalité du surcoût par rapport aux transports en commun », proteste ainsi Per Frykman, chargé de mission à la HF et lui-même handicapé, qui attend impatiemment que Stockholm achève de devenir, comme elle en a l'ambition, « la première capitale entièrement accessible ».

Autre politique volontariste : la suppression, souhaitée depuis 1968, de tous les grands établissements, perçus comme autant de ghettos. Le pays comptait 16 000 places en 1960, essentiellement pour des handicapés mentaux adultes, 8 000 en 1985 et n'en dénombre plus que 90 aujourd'hui. En échange, il a développé, on l'a vu, une politique active de soutien à domicile. Il a aussi créé, dans les zones d'habitat ordinaire, des logements individuels adaptés et deux types de petites structures pour quatre à six résidents : des appartements thérapeutiques et des résidences-services. 800 personnes lourdement handicapées, physiques et mentales, bénéficient de ces logements de groupe à Stockholm.

A la HF, on défend fermement cette politique : « Tout le monde a droit à son chez-soi ! », lance Per Frykman. Au ministère de la Santé, même tonalité : « L'expérience prouve que c'est possible, que presque tous peuvent mener une existence indépendante à condition de recevoir l'aide appropriée », plaide Lars Lindberg, en reconnaissant que toutes les difficultés ne sont pas aplanies pour autant. Les emplois d'assistants personnels sont souvent tenus par des jeunes pour une courte période. Là aussi, il est question de mieux professionnaliser ces fonctions...

UN PUISSANT GROUPE DE PRESSION

Handikapp Förbunden (HF)  : l'Union des fédérations de personnes handicapées est un centre de coopération créé en 1942 par cinq organisations. Elle en rassemble aujourd'hui 39. Les 2 000 associations locales qu'elle fédère comptent 500 000 membres, sur un total de 9 millions d'habitants en Suède. « La tradition associative est très ancrée chez nous, explique Berndt Nilsson. La force de nos associations, ajoute-t-il, vient du fait que ce sont les handicapés eux-mêmes qui les dirigent, pas les médecins ou les professionnels comme on le voit dans d'autres pays. » Le nombre s'explique aussi par une notion extensive du handicap : à côté des organisations traditionnelles de handicapés physiques, sensoriels, mentaux et psychiques, l'union rassemble aussi des associations de malades allergiques, épileptiques, dyslexiques ou atteints de rhumatisme articulaire, du psoriasis ou du sida... Telle qu'elle est, l'Union joue le rôle d'un « puissant groupe de pression », surtout auprès des parlementaires et du gouvernement. Elle emploie 50 salariés, dont 25 attachés à des programmes précis, souvent cofinancés par des fonds européens. L'un des plus originaux, engagé avec la radio nationale et un grand quotidien, porte sur l'image des personnes handicapées dans les médias.

Des disparités liées à la décentralisation

Autre ombre au tableau : les différences de traitement constatées selon les lieux de résidence. L'accessibilité et les aides humaines sont du ressort des 289 communes, l'Etat intervenant néanmoins pour les personnes qui ont besoin de plus de 20 heures d'assistance par semaine. L'adaptation et la rééducation ainsi que la mise à disposition des aides techniques relèvent des 23 départements. Les politiques ne sont pas partout également actives... « Cela dépend aussi de la capacité des associations locales à se mobiliser », estime Berndt Nilsson, le président de la HF, qui note une différence d'attitude entre les générations et se réjouit que les plus jeunes fassent mieux entendre leurs exigences. L'ombudsman des handicapés, Lars Lööw, un trentenaire qui n'est autre que l'ancien président de la HF, aimerait aussi compter sur des victimes de discrimination plus revendicatives. « L'acceptation des limitations subies comme autant de phénomènes naturels est le principal obstacle à notre action. La Suède a encore beaucoup de progrès à faire », juge-t-il.

Mais peut-être faudra-t-il d'abord songer à bétonner les acquis, très liés au haut niveau de protection sociale générale et à la fiscalité très redistributrice de la Suède. Les récents reculs de « l'Etat providence » sur la retraite comme les réformes envisagées pour l'assurance maladie prouvent que rien n'est définitivement garanti.

A moins que les reculades ne soient limitées par la conviction, martelée un peu partout, que ce qui est bon pour les handicapés (notamment pour les maintenir dans l'emploi ou à domicile) est bon aussi pour la société... et bon pour le business. De nos jours, même en social- démocratie, c'est peut être une garantie de pérennité.

Marie-Jo Maerel

L'INSTITUT SUÉDOIS DU HANDICAP

Plus de 7 700 aides techniques différentes figurent au catalogue de l'Institut suédois du handicap. Cela va des élévateurs aux prothèses auditives, des couches aux logiciels adaptés. Son service de test des fauteuils roulants, précipités sur de fortes pentes et usés par des milliers de mouvements, est digne des centres d'essais de l'industrie automobile. En partenariat avec des structures similaires de trois autres pays nordiques qui se sont partagés les familles de produits à homologuer, l'Institut vérifie ainsi la qualité des articles qu'il recommande et suit les derniers développements de la technologie. Dans son smart lab - un appartement cosy où sont installés toutes sortes d'appareils comme la télécommande multifonction, la descente de lit qui donne le jour et l'heure aux personnes désorientées, l'assiette à bord relevé qui limite les bavures ou le téléphone et la pendule pour personnes qui ne savent pas lire -, il présente aux décideurs de passage tout ce qui peut faciliter l'autonomie et le maintien à domicile. Signe des temps, ses trois priorités du moment sont les personnes âgées, la correction des handicaps cognitifs et les études de coût. Fondé en 1968, il emploie 90 salariés et son budget annuel atteint 10 millions d'euros. Financé à 60 % sur fonds publics, il est placé sous la triple tutelle du gouvernement, des départements et des communes.

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