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L'Atre, le chaînon qui manquait de la réinsertion

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A Lille, l'Atre accueille des toxicomanes sortant de prison engagés dans un parcours de soins ou d'insertion. Son originalité : leur offrir un lieu d'hébergement et un accompagnement, dès la libération, le temps que se concrétise leur projet. Et les empêcher de partir à la dérive.

Un mois environ pour toucher l'allocation d'insertion des Assedic (1)  ; autant pour percevoir le revenu minimum d'insertion  (RMI)  ; jusqu'à six semaines pour bénéficier de la couverture maladie universelle  (CMU)... Tels sont les délais auxquels sont confrontés nombre de sortants de prison qui doivent (r) ouvrir tous leurs droits en même temps. Et encore à condition de disposer d'une carte d'identité et d'être en capacité d'effectuer, et rapidement, ces démarches. Parallèlement, il faut se nourrir, se loger, se soigner. Un problème de taille si, de plus, usager de drogue, on est sous substitution ou psychotropes. « Parfois, c'est plus simple d'obtenir des cachets à la sauvette ! Mais alors on est déjà reparti sur la voie de la toxicomanie », déplore Patrick Veteau, directeur de l'Accueil temporaire pour la réinsertion  (Atre), centre de soins spécialisés aux toxicomanes à Lille (2). Et d'ajouter : « C'est quasi impossible à ce moment-là de sortir de la came sans aide. On se retrouve dans les mêmes galères qu'avant l'incarcération, parfois sans lieu où aller, avec les mêmes gens... Beaucoup rechutent, voire retournent derrière les barreaux. » Y compris parmi les plus motivés.

Car un autre obstacle gêne la réinsertion : le délai qui s'écoule entre le jour de la libération et celui où peut se mettre en place un projet, même préparé en prison. « Les structures spécialisées telles les post-cures sont très réticentes à accepter ces personnes dès leur sortie, explique cet ancien psychologue de la maison d'arrêt de Loos. D'une part car la date en est aléatoire, ce qui peut obliger à bloquer en vain une place, d'autre part, car elles préfèrent qu'elles réitèrent leur demande une fois dehors pour s'assurer de sa sincérité. Quant aux structures d'accueil d'urgence, elles peinent à fonctionner avec des toxicomanes. » Résultat : la libération devient le moment de tous les dangers. Pour y remédier, le centre a développé un projet original : depuis 1995, il accueille, dès leur sortie, des détenus engagés dans une démarche de soins et/ou d'insertion, et leur offre un hébergement temporaire. Ce séjour-relais est mis à profit pour clarifier leur situation administrative et poursuivre leur projet jusqu'à sa mise en œuvre, avec l'aide d'une équipe, chargée en outre d'animer le quotidien.

Contacté par un professionnel intervenant en milieu carcéral, l'équipe de l'Atre demande au candidat de formuler par écrit sa demande, le rencontre si possible dans ses locaux lors d'une permission ou en prison. En cas d'accord mutuel, elle s'engage à l'accueillir quand il sortira, que ce soit en fin de peine, dans le cadre d'une libération conditionnelle, d'un placement extérieur ou d'une mise en liberté. L'une des difficultés pour le centre, qui ne compte que dix places plus une de secours malgré sa vocation nationale, est dès lors de gérer son planning. « Nous ne maîtrisons ni la date d'arrivée ni celle de sortie, qui dépend des structures en aval, indique le directeur. Nous pouvons ainsi être exposés à des situations de surnombre. A l'inverse, notre rotation étant rapide, nous prenons le risque d'avoir parfois un taux d'occupation plus près de 60 % que de 80 %. » D'autant que plus d'un tiers des candidats acceptés s'évaporent entre la prison et l'Atre. Ne restent alors que les plus motivés, soit une centaine par an. La plupart sortent directement de prison ; d'autres arrivent peu après. Certains enfin n'ont pas été incarcérés mais bénéficient par exemple d'un sursis avec mise à l'épreuve. Le public se compose surtout d'hommes, parfois de couples, tous majeurs. Aujourd'hui, la plupart ont 30 ans, un long passé de toxicomanie avec des polyconsommations, sont multirécidivistes et sous substitution.

Priorité  : ouvrir les droits

L'équipe de l'Atre dispose de un mois, renouvelable une fois, pour mener ses missions. La première : ouvrir les droits. « Dans 80 % des cas, cela n'a pas été fait, estime l'assistante sociale Sourida Hammoudi. Beaucoup n'ont pas de carte d'identité, n'ont jamais eu ni CMU ni RMI, certains ont vendu leur carte de résident... Je fais très vite le point avec eux car sans papiers tout est bloqué. En général, il me faut une semaine pour tout démêler et lancer les démarches. » Beaucoup ont aussi des dettes à régler. L'assistante sociale implique les résidents et se rend avec eux dans les organismes. « Contrairement à leurs attentes, j'essaie de ne pas faire à leur place afin qu'ils s'autonomisent. Néanmoins, devant l'urgence, je négocie souvent moi-même avec les administrations qui nous font désormais confiance. » Peu à peu, l'Atre a tissé un solide réseau qui permet aux situations de se débloquer.

Chaque résident dispose d'un éducateur référent qui le soutient dans la progression de son projet (place en post-cure, stage...) et l'aide à mener une réflexion sur son parcours. Cela passe par des entretiens individuels. « Il s'agit de leur permettre d'exprimer et analyser ce qu'ils vivent, ressentent, craignent, et de valoriser leurs capacités. Il faut les amener à voir qu'ils peuvent devenir quelqu'un d'autre », résume Estelle Hemez, éducatrice spécialisée. Ce travail se fait aussi via des discussions informelles. Pour Sourida Hammoudi, jadis éducatrice, les papiers sont un excellent moyen pour aborder indirectement divers problèmes. « En parlant de CMU ou de RMI, j'apprends beaucoup de choses, que je travaille. Lors des démarches à l'extérieur, une relation privilégiée et détendue s'installe. Je fais ensuite le relais avec l'équipe. » Chaque matin, un infirmier vient préparer les traitements, notamment de substitution. Il assure également le suivi du dossier médical et effectue le lien avec les établissements en amont et en aval. Le centre de soins travaille aussi en bonne intelligence avec un médecin généraliste extérieur, un centre médico-psychologique, une pharmacie. Beaucoup d'hôtes ont des traitements lourds et portent sur leur corps les stigmates de leur histoire (VHC, VIH-sida...).

Le mode de vie est communautaire et un travail sur le quotidien est mené pour inciter les résidents à adopter de nouveaux repères, se responsabiliser et apprendre le « vivre ensemble ». Les repas sont préparés et pris en commun. Le règlement de la maison est strict : pas de produits, pas de violence, pas de sortie non accompagnée ; cartes de crédit et portables sont mis au coffre ; et la nuit, un veilleur fait des rondes. « Les personnes viennent ici volontairement s'enfermer après la prison, car elles ont pris conscience, souvent après des échecs, que cette période est dangereuse. Elles cherchent à se mettre à l'abri de leurs défaillances et attendent un cadre protecteur », explique Patrick Veteau. Les liens familiaux, quand ils existent, sont néanmoins encouragés (visites, voire week- ends en famille). Maintes activités culturelles, de loisirs, sportives, sont organisées à l'extérieur. En outre, la vie au foyer est animée, parfois régulée, par des groupes de parole et un atelier-théâtre. « Les techniques d'expression et d'improvisation sont très intéressantes pour ce public. Ils peuvent ainsi canaliser autrement leurs émotions, se livrer sans le faire totalement et se confronter au regard des autres en se mettant en scène. » Après une journée bien remplie, les hôtes bénéficient d'un temps personnel, qu'ils doivent apprendre à gérer. Souvent resurgissent en effet les angoisses existentielles, la peur de la solitude.

Lors de la soirée se manifestent parfois les tensions entre résidents, lesquels vivent à deux ou trois par chambre. « On demande à une dizaine de personnes au parcours complexe, entaché de violences, impulsives et différentes par l'âge, la culture ou le stade de la démarche, de cohabiter dans un espace très réduit : cela crée des risques de friction. Et exige du doigté de la part des cinq éducateurs », témoigne le directeur. Cela d'autant qu'un nombre croissant de toxicomanes incarcérés souffrent de graves troubles psychiques. Certains rejoindront d'ailleurs un hôpital psychiatrique. L'absence de produits agit quant à elle comme un révélateur. « Des blessures personnelles, longtemps masquées par la came, réapparaissent. Emerge aussi une prise de conscience du mal que l'on s'est fait et qu'on a fait aux autres. La gestion de cette période de crise passe dans la relation avec les éducateurs. » Aider à surmonter les frustrations exige vigilance, réactivité, disponibilité et fermeté. Au-delà, il faut aussi savoir insuffler la motivation utile à affronter les obstacles et les contraintes, car souvent revient un « Pourquoi faire tant d'efforts si je ne suis important pour personne ? » Cela passe par la reconquête de l'estime de soi et l'envie de s'ouvrir aux autres. « Avec nous, explique Estelle Hemez, ils s'expérimentent dans la relation sans risquer des conséquences dramatiques, c'est sécurisant. » Globalement, la difficulté est de parvenir à être proche tout en maintenant une distance, à s'investir tout en sachant s'extraire pour ne pas se laisser envahir. Parvenir aussi à ne pas prendre trop de place. « On pourrait pousser plus loin le travail éducatif et thérapeutique, mais on le limite, même si c'est frustrant, pour ne pas empêcher des choses de se passer dans le long terme, là où ils iront », précise le directeur de l'Atre.

En cas de dérapage, les résidents doivent quitter la structure. « On nous reproche parfois d'être un peu dur, mais on oublie que nous tendons la main à des gens dont personne ne veut, s'enflamme Patrick Veteau. Ils doivent aussi assumer leurs responsabilités. S'ils trichent là, leur projet n'aboutira pas. Bien sûr, nous admettons une petite erreur et si quelqu'un va mal, il n'est pas lâché. Mais pour un ne jouant pas le jeu, nous ne pouvons mettre tous les autres en danger. » L'Atre estime cependant à 76 % le taux des résidents partant en ayant mis en place le projet prévu. La moitié rejoint des établissements de post-cure, rassurés par le passage au foyer. Les autres se retrouvent en appartement thérapeutique, en centre d'hébergement et de réinsertion sociale, en famille d'accueil, voire retournent dans leur famille, après avoir pu vérifier qu'elle ne les acceptait pas uniquement par obligation. Certains éprouvent du mal à quitter ce lieu où ils se sont enfin senti en sécurité. Malgré la briéveté du séjour, le lien reste fort. En témoignent les cartes envoyées par des anciens, même des années plus tard.

Une pesante précarité

Certains résidents reviennent pour une courte période, par exemple, entre une post-cure et l'entrée en appartement thérapeutique. « On sert un peu de fil rouge », résume Patrick Veteau. D'autres repassent après une rechute. « C'était le bon cheminement, ils ont avancé, mais quelque chose a manqué et ils nous réinterpellent. Notre structure est assez rigide mais aussi très souple pour s'adapter au projet de chacun. » Pour renforcer encore cette souplesse, l'Atre est en quête d'un deux pièces. Certains résidents, au projet plus tourné vers l'insertion, peinent en effet, en deux mois, à mettre à jour leur situation et à trouver un logement autonome. « Il faut de plus s'assurer que leur demande tient la route car ce n'est guère évident de vivre seul, du jour au lendemain. Beaucoup y aspirent, peu y parviennent », affirme Sourida Hammoudi, qui aide les résidents à obtenir un logement et les accompagne longtemps après leur départ. L'idée étant de leur permettre de se tester tout en cherchant un logement définitif dans de bonnes conditions. En cela le centre trouve un soutien auprès du Fonds social européen, qui est l'un des bailleurs de l'Atre.

La structure rencontre, malgré son intérêt, des difficultés de financement. Pris en charge à 45 % par l'assurance-maladie, le centre dépend de budgets non pérennes : mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, fonds préfectoraux, villes de Lille et de Roubaix, ministère de la Justice, conseil général... « Depuis des années, nous vivons dans la précarité. Nous avons été à deux doigts de fermer ! Nous allons démarrer 2004 sans savoir si la sécurité sociale assumera le reste du budget, cela sur fond de réduction et de suppression des crédits », se désespère Patrick Veteau. Autre inquiétude : la fermeture de plusieurs centres résidentiels thérapeutiques due à la politique de restriction des moyens, qui complexifie l'orientation des résidents. Des moyens que l'on sait plus aisément trouver pour bâtir des prisons que pour prévenir, via le soin, de nouvelles incarcérations.

Florence Raynal

Notes

(1)  Celle-ci est très restrictive. Peuvent en être exclues les personnes coupables de trafic de stupéfiants.

(2)  Atre : 11, rue Alexandre-Leleux - 59800 Lille - Tél. 03 20 54 60 88. Il est géré par l'Aide aux détenus nécessitant des soins médico-psychologiques à Loos (ADNSMPL), établie à la maison d'arrêt de Loos.

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