Comment « concilier l'unité nationale et le respect de la diversité » ? La liberté de conscience et la neutralité du service public ? Jacques Chirac devait faire connaître ses choix le 17 décembre, à l'heure où les ASH bouclaient ce numéro (1). Et se prononcer ainsi sur l'avenir des propositions avancées par la commission présidée par le médiateur de la République, Bernard Stasi, dont le rapport lui avait été remis une semaine plus tôt (2). Selon toute vraisemblance, le chef de l'Etat devrait approuver la loi sur la laïcité prônée par les « sages » et écarter, en revanche, la proposition d'instaurer deux nouveaux jours fériés (voir ci-dessous). Retour sur les préconisations formulées par la commission Stasi après plus d'une centaine d'auditions (3).
Le débat public se sera particulièrement focalisé sur le milieu scolaire. En l'occurrence sur la question de l'interdiction ou non du port du voile islamique par des jeunes filles et, plus largement, de tout signe religieux à l'école. A l'arrivée, la proposition de la commission n'aura pas manqué de faire couler beaucoup d'encre : l'interdiction dans le cadre d'une loi sur la laïcité, des « tenues et signes manifestant une appartenance religieuse ou politique » dans les écoles, collèges et lycées publics. Ce qui serait visé, ce sont les « signes ostensibles, tels que grande croix, voile ou kippa ». Les signes discrets comme les médailles, petites croix, étoiles de David, mains de Fatima ou petits Coran seraient en revanche autorisés. La sanction des élèves contrevenants - le rapport la souhaite « proportionnée » sans donner plus de précisions - ne devrait intervenir « qu'en dernier recours ». Les universités ne seraient pas concernées. Mais la commission estime « souhaitable » qu'elles édictent un règlement intérieur permettant d'empêcher que l'expression, par les étudiants, de convictions religieuses, politiques ou philosophiques ne conduise à la transgression des règles d'organisation de l'institution universitaire. Et que des enseignants ne puissent ainsi, par exemple, être « récusés en raison de leur sexe ou de leur religion supposée ».
Le principe de laïcité serait également « mis à mal » dans d'autres secteurs de l'action publique. Dans les hôpitaux notamment, où, selon les informations recueillies aux cours des auditions, se multiplient les refus, par des maris ou des pères, pour des motifs religieux, de voir leurs épouses ou leurs filles accouchées ou soignées par des médecins de sexe masculin. Plus généralement, certaines préoccupations religieuses des patients peuvent perturber le fonctionnement des établissements : « couloirs transformés en lieux privatifs de prière », « cantines parallèles aux cantines hospitalières pour servir une nourriture traditionnelle, au mépris des règles sanitaires ». Le rapport préconise ainsi de compléter la loi hospitalière pour rappeler aux patients leurs obligations, « notamment l'interdiction de récuser du personnel soignant ou le respect des règles d'hygiène et de santé publique ». Touchées également, les prisons, au sein desquelles des « influences » s'exercent sur des détenus ou leurs familles pour qu'ils se soumettent à certaines prescriptions religieuses. La commission considère par conséquent comme « essentiel » que les espaces collectifs soient « préservés de toute appropriation communautaire ». Les entreprises, enfin, ne semblent pas épargnées et apparaissent confrontées aux cas de « salariées portant le voile et refusant de serrer la main de leurs collègues masculins » ou d' « employés ne reconnaissant pas l'autorité de cadres quand il s'agit de femmes ». Le rapport propose d'insérer dans le code du travail un article leur permettant de « réglementer les tenues vestimentaires et le port de signes religieux pour des impératifs tenant à la sécurité, aux contacts avec la clientèle, à la paix sociale interne ». Dans le même esprit, mais cette fois s'agissant de la fonction publique, la commission Stasi estime nécessaire de donner une consécration législative à la jurisprudence constante du Conseil d'Etat imposant aux agents publics la plus stricte neutralité.
Autre proposition : l'élaboration d'une charte de la laïcité définissant les droits et les obligations de chacun et qui prendrait la forme d'un guide qui serait donné à différentes occasions comme la remise de la carte d'électeur, la formation initiale des agents du service public, la rentrée des classes, l'accueil des migrants ou l'acquisition de la nationalité.
Au-delà de la fermeté affichée sur les « limites » posées par la laïcité, les « sages » formulent toute une série de propositions fondées sur le respect de la diversité spirituelle. Et lancent ainsi l'idée que l'ensemble des élèves ne travaillent pas les jours de Kippour et de l'Aïd-El-Kébir, ces deux jours fériés supplémentaires devant être compensés. Dans le monde de l'entreprise, ces deux mêmes fêtes, ainsi que le Noël orthodoxe ou des chrétiens orientaux, seraient, de la même façon, reconnues comme jours fériés et substituables à un autre jour férié à la discrétion du salarié. Le rapport plaide encore pour la création d'une école nationale d'études coraniques, une meilleure prise en compte par les administrations des exigences religieuses en matière alimentaire - dans les limites du « bon fonctionnement du service » - et funéraire, le recrutement d'aumôniers musulmans dans l'armée et dans les prisons ou encore, en Alsace-Moselle, l'inclusion de l'islam au titre des enseignements religieux proposés.
O. S.
(1) Nous y reviendrons la semaine prochaine.
(2) Rapport disponible sur le site de la documentation française :
(3) Dans un rapport d'étape disponible sur son site (