Plus de 11 000 à Paris, selon le recensement de 1999, près de 5 000 en 2001, d'après la direction des affaires sanitaires et sociales, entre 20 000 et 30 000, selon les travaux de l'Atelier parisien d'urbanisme (APUR)... Aucun chiffre fiable n'existe sur le nombre de personnes résidant dans les hôtels meublés. Un flou surprenant, alors que ce type d'hébergement est de plus en plus mobilisé comme voie de secours et qu'il est à ce titre en partie financé par les crédits d'urgence de l'Etat ou les aides sociales départementales. A moins qu'il ne traduise un silence gêné des acteurs sociaux, qui peuvent avoir le sentiment de cautionner des pratiques peu scrupuleuses d'hébergement. Qui vit dans les hôtels meublés aujourd'hui ? Dans quelles conditions et avec quelle possibilité d'en sortir ? La Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés s'est livrée à une enquête, réalisée auprès de services sociaux parisiens et de familles. Celle-ci tente d'analyser la fonction sociale de ces établissements (1), ou plutôt de ce qu'il en reste.
De fait, ces hôtels ne sont plus, comme dans les années 60, seulement des points de chute pour les migrants à la recherche d'un logement stable. Des travailleurs immigrés installés depuis 30 ans en France aux nouveaux arrivants demandeurs d'asile ou sans papiers, en passant par les familles précaires ou les célibataires en situation de décohabitation, « les hôtels meublés se sont ouverts à toute la palette des populations très démunies et en situation d'exclusion, qui ne parviennent pas à accéder à un logement classique », pointent les
auteurs du rapport. Sur un échantillon de 100 résidents reçus à l'Espace solidarité habitat (ESH) de la Fondation Abbé-Pierre en trois ans, 54 % appartenaient à des familles avec enfants, 40 % étaient des personnes seules et 6 % étaient des couples sans enfants.
Ce type d'hébergement, pointe le rapport, représente à la fois « un lieu de démarrage du parcours logement pour de nouveaux arrivants en tout genre en situation de précarité » et un « lieu de reflux hors du parc de droit commun pour des personnes ayant eu des incidents de parcours », comme des ruptures conjugales ou des expulsions. Et devant l'accumulation de handicaps - absence de revenus, d'emploi stable ou de papiers -, aggravée par le « blocage de toutes les filières de logement social et d'hébergement social », la solution provisoire de l'hôtel finit par devenir une voie sans issue : parmi l'échantillon de personnes suivies par l'ESH, 42 % habitent à l'hôtel depuis moins de un an, mais 10 % depuis plus de dix ans...
De plus en plus sollicité, par des publics de plus en plus précaires, le parc des hôtels meublés, dont l'essentiel date d'avant 1915, s'étiole pourtant, tant en volume qu'en qualité. « Il est légitime de se demander si le qualificatif de “logement social de fait” est encore approprié pour les hôtels meublés, tant le fonctionnement de ce secteur, et, parallèlement, les conditions de vie de ses habitants, se sont dégradés », pointe le rapport.
Selon l'APUR, la capitale comptait 15 000 hôtels meublés en 1930, 1 250 en 1989, et seulement 665 en 2000.
Près de la moitié ont donc disparu en dix ans, pour être reconvertis en immeubles d'habitation ou en hôtels de tourisme. « Nous avons ainsi rencontré beau- coup de situations où les habitants des meublés étaient sommés de partir ou menacés d'expulsion », note la fondation. A la précarité du logement s'ajoute alors pour les occupants l'obligation de déménager souvent, vers des hôtels plus chers ou plus vétustes. Pour forcer les résidents à quitter les lieux, les propriétaires usent de surcroît de pratiques peu scrupuleuses : « pression sur les prix, pression au départ, menaces et abus de pouvoir, absence d'entretien et pourrissement des situations »...
Pour ne rien arranger, les personnes hébergées sont juridiquement peu protégées, puisque les hôtels meublés échappent à la fois à la législation sur le logement locatif et à celle concernant les hôtels de tourisme. Certes, la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions oblige les bailleurs louant plus de quatre meublés à établir un contrat de location écrit, d'une durée de un an renouvelable, et à respecter un préavis de trois mois s'ils souhaitent mettre fin au contrat ou le modifier. Mais cette procédure ne permet que de « gagner un temps de répit de un an », au bout duquel les plus résistants se retrouvent tout de même « à la merci d'une mise à la rue brutale ou au contraire d'un phénomène plus lent de “taudification” et de “squattérisation” de leur habitat », dénonce la fondation.
L'augmentation des prix par les propriétaires, soucieux de renouveler leur clientèle ou d'engager des travaux, « touche de manière dissuasive tous les locataires », alors que les tarifs sont déjà élevés : en moyenne 640 € par mois, selon l'ESH. De plus, « le système actuel de recours à l'hôtel comme palliatif de l'absence de structures d'hébergement pour les familles a visiblement tendance à créer une sorte de concurrence entre les grands dispositifs ou institutions en charge de l'hébergement et de l'insertion des personnes et familles sans toit, tout en alimentant la spirale inflationniste des tarifs hôteliers ».
Les aides financières par les services sociaux, elles, ne sont pas toujours à la hauteur. En principe, les familles peuvent recevoir une allocation au titre de l'aide sociale à l'enfance (ASE), ce qui représente le premier poste de dépense dans ce domaine dans certains arrondissements. Mais « chaque arrondissement possède ses règles et critères pour mobiliser ces aides », précise le rapport, qui pointe « qu'au moins un arrondissement parisien a choisi de ne pas financer de prise en charge hôtelière sur le budget de l'ASE ».
Quant à l'allocation logement versée par la caisse d'allocations familiales, elle est accessible uniquement aux personnes logées en hôtel « au mois », alors que la moitié des meublés pratiquent aujourd'hui un prix à la journée, plus avantageux. Cette prestation repose en outre, en plus des conditions de ressources, sur des critères de surface par rapport au nombre d'occupants, auxquelles répondent très rarement les chambres d'hôtel. Sans compter que certaines familles en situation de précarité ne bénéficient d'aucune aide : « par exemple, une femme seule avec un enfant gagnant le SMIC, n'aura ni allocation logement ni aide financière de l'ASE pour son hébergement en hôtel ».
Face à cette logique immobilière, les populations fragiles, comme les migrants et les familles nombreuses, se retrouvent fréquemment dans les hôtels les plus miteux. Même si bon nombre de meublés paraissent aux normes d'habitat ordinaire, « l'APUR a répertorié en 2000 une centaine d'hôtels en très mauvais état qui nécessitent que des mesures de résorption de l'habitat insalubre soient prises à leur encontre », précise le rapport. Ces hôtels, abordables mais vétustes, n'offrent pas « toujours les services minimum qui peuvent en être attendus », à tel point que les « services sociaux comme les associations s'interrogent aujourd'hui sur le niveau de salubrité des chambres proposées et s'inquiètent des conditions d'hébergement offertes aux familles dont les membres viennent parfois s'entasser nombreux dans une seule chambre, avec toilette sur le palier, et sans possibilité de cuisiner ». Et il n'est pas rare que la corvée d'eau fasse partie du quotidien de familles avec enfants qui doivent cohabiter avec rats, cafards, dans un espace confiné et rongé par l'humidité...
Finalement, conclut la Fondation Abbé-Pierre, « les hôtels meublés n'assurent plus véritablement leur fonction de transition, d'une part à cause de leur raréfaction, mais aussi, pour nombre de ceux qui restent, parce qu'ils ne présentent plus des conditions décentes de logement ». Pire, l'insécurité et la précarité des locataires accentuent leur fragilisation, au « détriment de leur développement personnel, de leur vie sociale, de leur vie familiale et de leur parcours professionnel ». Alors qu'il apparaît au grand jour comme un symptôme de la misère, l'hôtel meublé est devenu une béquille non avouable pour le secteur social.
Un habitat de ce type peut-il encore exister à l'avenir ? s'interroge la fondation, qui, pour sauver ce parc social en voie de disparition, veut étudier les moyens de le faire évoluer. A l'image des actions conduites par l'Association francilienne pour favoriser l'insertion par le logement (2), qui depuis dix ans convertit les meublés en établissements sociaux. Ou comme la ville de Montreuil, qui, dans le cadre d'une maîtrise d'œuvre urbaine et sociale, a identifié sept hôtels meublés insalubres, sur 40 que compte la commune, pour les réhabiliter ou les transformer en résidences sociales. Dans le cadre de son plan local de l'habitat, la Ville de Paris vient pour sa part d'introduire un amendement l'engageant à racheter 100 à 150 hôtels meublés pour les transformer en résidences sociales. « La mobilisation du secteur associatif est en train de porter ses fruits », estime Joaquim Soares, directeur de l'Espace solidarité habitat de la Fondation Abbé-Pierre, qui formule une série de propositions en la matière. Tout d'abord protéger les occupants, notamment en adaptant le décret de 2001 sur le logement décent aux meublés, en maintenant l'allocation de la caisse d'allocations familiales en cas de suroccupation tant qu'aucune offre de relogement n'a été proposée et en faisant appliquer la législation existante contre les marchands de sommeil. Autres pistes avancées :accompagner la mutation des hôtels, notamment en favorisant la création d'une « vraie hôtellerie sociale » (voir encadré ci-contre), et développer une politique d'aide à la réhabilitation pour améliorer le parc actuel. Mais pour les acteurs de l'insertion par le logement, ces solutions ne doivent pas dispenser les pouvoirs publics de développer une offre pérenne de logements, privés et sociaux. Sous peine de faire perdurer « un univers kafkaïen », selon les termes de Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre, dans lequel les familles pourront toujours continuer de poursuivre « la quête du Graal ».
« Il a fallu attendre des incendies, des morts, et que soient remis à la fin des années 80 les rapports du Conseil national des villes et du Conseil national de l'habitat sur les meublés pour que l'outil prenne forme », raconte Rémi Gérard, président de la SIPRHEM-SEDES (3) et directeur de la Fédération nationale des Pact-Arim. En 1991, les PACT 92,93 et l'association Logement pour tous créent la Société immobilière pour les résidences hôtelières et meublées (SIPRHEM) en vue de racheter les fonds de commerce d'hôtels et de les transformer en établissements sociaux. En 2001, l'association SEDES vient compléter le dispositif pour assurer la gestion des structures réhabilitées. « En plus de subventions d'investissement de l'Etat, du Fonds d'action sociale et des collectivités locales, une subvention d'exploitation de 228 700 € de la DRASS d'Ile-de-France, sur les crédits d'urgence, permet à un bénéficiaire du RMI de n'avoir à payer qu'une redevance de 100 € par mois », explique Rémi Gérard. Depuis sa création, la structure a permis l'acquisition (en propre ou par l'intermédiaire d'un organisme HLM) de 11 hôtels dans quatre départements de la région. Si les services sociaux de certains partenaires financiers (Etat, conseils généraux, communes, collecteurs du 1 %) se réservent un quota d'attribution, 30 % des 400 occupants ont été orientés par des associations bénéficiant de l'allocation de logement temporaire. Ce qui permet d'offrir à cette population un suivi social régulier, que les établissements n'assurent pas par ailleurs.
Maryannick Le Bris
(1) Les hôtels meublés : une offre en voie de disparition - Etude réalisée par le cabinet Fors-recherche sociale - Novembre 2003 - Fondation Abbé-Pierre : 3/5, rue de Romainville - 75019 Paris - Tél. 01 55 56 37 00.
(2) Voir notre site Internet
(3) SIPRHEM-SEDES : 2, passage des Fours-à-Chaux - 75019 Paris - Tél. 01 42 00 44 50.