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Le rapport Terra inspire au gouvernement des mesures de lutte contre le suicide en prison

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En 2002,122 suicides en prison ont été déplorés (soit un taux de 22,8 pour 10 000 personnes détenues) et 139 sont déjà comptabilisés en 2003. Pourquoi ces chiffres qui font de la France l'un des pays européens les moins biens placés- même si le suicide en prison représente seulement environ 1 % de l'ensemble des morts volontaires -, alors même qu'une «  débauche de mesures  » a été déployée depuis plusieurs années pour lutter contre ce phénomène ?C'est à cette question que tente de répondre le psychiatre Jean-Louis Terra, dans un rapport remis au ministre de la Justice, Dominique Perben, et à son homologue de la Santé, Jean-François Mattei, le 10 décembre. Et qui sert de support à plusieurs annonces gouvernementales.

Une meilleure connaissance des facteurs de risques

En premier lieu, se fondant sur les données fournies par l'administration pénitentiaire, le volumineux document met en avant les facteurs de risque dans le processus de passage à l'acte : séparation pour les personnes qui vivaient en couple, éloignement familial, isolement, rupture avec le statut antérieur. De même, le taux de suicide croît avec l'âge, même si le taux des moins de 18 ans est élevé alors qu'il est faible dans la population générale. Pour ces publics, le taux de suicide en détention est plus de 20 fois supérieur au taux moyen de cette tranche d'âge.

En outre, les événements judiciaires et ceux de la vie pénitentiaire constituent aussi des facteurs de risque depuis longtemps identifiés. Tel est le cas, par exemple, de l'incarcération, véritable « choc carcéral »  : 9 % des suicides sont réalisés pendant la première semaine, 17 %au cours du premier mois, 34 % durant les trois premiers mois. De même, la nature de l'infraction joue :les taux de suicide les plus élevés sont enregistrés parmi les condamnés à une peine supérieure à 20 ans ou à la réclusion criminelle à perpétuité. Et les condamnés pour crimes de sang semblent davantage exposés.

Surtout, le rapport relève qu'environ la moitié des personnes décédées par suicide bénéficiaient d'un suivi psychologique ou psychiatrique mais n'avaient pas été repérées comme suicidaires.

La persistance de lacunes en matière de prévention

Même si la connaissance du phénomène progresse, des lacunes persistent. C'est le cas des problèmes de coordination - relevés à plusieurs reprises par le rapport - entre l'administration pénitentiaire et les services sanitaires, notamment s'agissant de la communication qui se fait « dans le sens pénitentiaire vers le sanitaire sans véritable réciprocité. Le personnel pénitentiaire souffre d'une absence de retour de l'information justifiée par le respect du secret médical. » Le document déplore aussi la répartition des rôles sur le terrain, avec le repérage confié à l'administration pénitentiaire et la prévention du suicide attribuée au dispositif sanitaire, qui ne va pas dans le sens de la continuité des soins. Au total, souligne le rapporteur, « la prévention du suicide n'est toujours pas conçue comme un risque à gérer et à prévenir de façon conjointe par les acteurs pénitentiaires et sanitaires, avec des objectifs, une stratégie et des actions partagées  ».

Autre anomalie pointée : la question de la continuité des soins en matière psychiatrique et psychologique qui semble défaillante, alors que la souffrance psychique induite par les maladies mentales est la première cause de suicide.

Un objectif de réduction du suicide de 20 % en cinq ans

Face à ces difficultés, le rapport formule un certain nombre de recommandations, dont certaines ont été retenues par le gouvernement. Il en est ainsi de la fixation d'un objectif national de réduction du suicide en milieu pénitentiaire de 20 % en cinq ans qui devrait trouver place dans le projet de loi de santé publique actuellement discuté par le Parlement.

Pour l'atteindre, les ministres entendent renforcer encore la formation des personnels à l'intervention de crise, ce sur quoi le document insiste avec vigueur. A noter, à cet égard, qu'une évaluation, conduite par la direction générale de la santé, des actions de formation auprès des personnels exerçant en milieu carcéral est en cours, dans le prolongement de la stratégie nationale d'actions face au suicide (1). En réponse à la volonté du professeur Terra «  que toute personne détenue et suicidaire ait une chance chaque jour et chaque nuit de pouvoir être au contact d'une personne formée  », Dominique Perben a indiqué que 30 formateurs relais seront opérationnels dès le mois d'avril en application d'une circulaire du 26 avril 2002 (2) et formeront, à leur tour, d'ici à décembre 2005, au minimum 2 200 personnes, parmi lesquelles des personnels affectés dans des quartiers sensibles (disciplinaires et pour les nouveaux arrivants), des psychologues et des intervenants de la téléphonie sociale.

Autre préconisation concrète suggérée par le rapport et entérinée par le gouvernement : la suppression des points d'arrimage car 92 % des suicides ont lieu par pendaison (potence pour le support de la télévision, barre horizontale de cloisonnement...). Un objectif déjà pris en compte dans les établissements qui ouvriront en 2006 et qui fera l'objet pour les autres de recommandations à mettre en œuvre en 2004-2005.

Le gouvernement entend également mener plusieurs expériences dans deux ou trois sites pilotes. Tel est le cas de la formation des détenus à l'intervention de crise. Cette mesure, prônée par le rapport, donnera lieu à un bilan en 2005 en vue de son éventuelle extension. De même, fort du constat selon lequel le placement en quartier disciplinaire est dangereux et qu'une crise suicidaire peut prendre le masque de la violence, Dominique Perben a indiqué qu'une expérimentation sera menée : il s'agira dans ces hypothèses d'envisager plutôt une affectation dans une cellule aménagée moyennant un examen préalable par un psychiatre.

Enfin, le rapport évoque la mise en place d'un système documentaire partagé, ouvert lors de la garde à vue et qui suivrait la personne déférée puis écrouée, pour recueillir les informations pertinentes permettant d'évaluer son degré de risque de suicide, d'urgence et de dangerosité, et pour définir les actions à entreprendre. Une idée qui, si elle séduit le gouvernement, mérite un travail préalable pour juger de sa faisabilité.

S. A.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2327 du 3-10-03.

(2)  Voir ASH n° 2276 du 13-09-02.

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