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UNE MESURE QUI EXIGE DES MOYENS HUMAINS

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L'avenir du placement sous surveillance électronique dépendra des moyens en personnels -indispensables - dont jouiront ou non les services sociaux pénitentiaires. C'est l'un des enseignements de la première évaluation - très confidentielle - de cette mesure « potentiellement bonne » mais adaptée à peu de condamnés.

« Les premiers temps du placement sous surveillance électronique [PSE] ont d'ores et déjà permis de constater que le caractère “positif” de la mesure, tel que reconnu par les divers partenaires et par les condamnés eux-mêmes, réside principalement dans la “guidance sociale” et l'engagement humain des acteurs », résument les auteurs du rapport de recherche CNRS- ministère de la Justice sur la première phase de mise en œuvre du PSE, que les ASH se sont procuré (1). La relative réussite de l'expérimentation, qui a eu lieu entre octobre 2000 et mai 2002, sur quatre sites pilotes volontaires (2), découle d'abord de l'investissement des professionnels, notamment des travailleurs sociaux, malgré la stagnation des effectifs. « La charge de travail supplémentaire a pu être absorbée par les services du fait du nombre relativement réduit de cas et de la bonne volonté de personnes séduites par l'innovation », constatent les chercheurs. Avant d'alerter : « Il est vraisemblable que la montée en puissance du PSE provoquera des difficultés au sein des services pénitentiaires d'insertion et de probation [SPIP] [...] et la question se posera de savoir si à l'avenir l'ensemble des moyens s'accroîtra ou bien si, au contraire, c'est le PSE qui connaîtra un désinvestissement progressif. » Un avertissement qui prend une résonance particulière au moment où le projet de loi Perben sur l'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité prévoit des dispositions visant à installer le bracelet électronique dans l'éventail des alternatives à la prison.

Introduit par la loi du 19 décembre 1997 (3) comme modalité d'exécution des peines privatives de liberté, en cas de condamnation à un an au maximum, de reliquat de peine de même durée ou à titre probatoire en vue d'une libération conditionnelle, le placement sous surveillance électronique a ensuite été étendu, par la loi du 15 juin 2000, aux personnes susceptibles d'aller en détention provisoire. Cette disposition n'a cependant pas été mise en œuvre et a été abrogée par la loi du 9 septembre 2002. Sur le terrain, sans directive stricte de l'administration centrale et dans l'attente du décret d'application (4), chaque site a développé son propre modèle, en fonction des conceptions des acteurs comme de contingences matérielles et des débats animés ont eu lieu.

La présentation de la mesure sous un angle par trop sécuritaire a, au départ, mis mal à l'aise les SPIP. Ainsi les directeurs ont-ils expliqué qu'il ne serait pas question de faire « de la prison à domicile » et les conseillers d'insertion et de probation (CIP) qu'ils craignaient de « servir de bonne conscience à l'égard d'une mesure qui risque fort de devenir purement économique et gestionnaire ». Mais, devant la volonté, notamment des juges de l'application des peines (JAP), de voir les placements accompagnés d'un important travail éducatif, les travailleurs sociaux ont choisi de fortement s'impliquer. Quant à la gêne ressentie par tous face au risque d'atteinte à la dignité des personnes due au port du bracelet, elle s'est évanouie, les condamnés n'éprouvant pas un tel sentiment. Le point noir essentiel reste les inégalités d'accès à la mesure. Exigeant de disposer d'un lieu d'assignation et d'une ligne téléphonique, le placement sous surveillance électronique s'avère difficile à organiser ailleurs que dans un domicile fixe. Il impose en outre une majoration des factures de téléphone due aux appels de contrôle et le paiement d'un avocat dont la présence est obligatoire. Malgré les aides mises en place par des travailleurs sociaux, certains juges de l'application des peines ont « émis la crainte que cette mesure ne bénéficie qu'aux personnes les plus insérées et soit, de fait, inaccessible aux personnes ayant peu de ressources ».

Le placement sous surveillance électronique implique une série de démarches préalables, qui induit une prise en charge particulièrement intensive. Ainsi les conseillers d'insertion et de probation ont-ils à mener une enquête approfondie sur le quotidien et la situation du condamné et de sa famille, dont ils recueillent l'assentiment. En général, une rencontre est organisée au service pénitentiaire d'insertion et de probation ou en détention et, si la mesure est envisageable, le conseiller se rend au lieu d'assignation. Beaucoup d'explications sont nécessaires. Il faut de surcroît élaborer un emploi du temps précis (travail, obligations familiales, soins, loisirs...) pour permettre au juge de l'application des peines de définir des plages d'assignation. L'enquête technique relative à l'installation du bracelet est effectuée par le CIP et/ou le surveillant référent. Pour certains juges, la mesure se révèle responsabilisante et structurante. « D'une part, elle oblige le condamné à élaborer avec le travailleur social un emploi du temps pour les semaines à venir. Donc à prévoir des activités et à s'astreindre à des horaires. D'autre part, elle comporte une forme de flexibilité permettant une remise en question fréquente des conditions d'exécution de la peine », relèvent les chercheurs.

Concernant le suivi socio-éducatif, les juges de l'application des peines se sont déclarés souvent insatisfaits par sa faiblesse. Pour eux, celui-ci « ne doit pas se restreindre à une réponse aux incidents ou à la vérification du respect des obligations prévues au titre de la mise à l'épreuve ». Plusieurs d'entre eux souhaiteraient un suivi différencié, ce type d'aménagement de peine impliquant peu de contacts. A ce sujet, les points de vue des directeurs de SPIP divergent. Si, pour certains, il n'y a pas lieu de distinguer systématiquement le placement sous surveillance électronique des autres mesures (semi-liberté, placement extérieur...), pour d'autres, le travail social doit à l'inverse être accru, l'entourage du condamné étant plus sollicité. Les travailleurs sociaux ont, de leur côté, été très intéressés par la forte individualisation de la mesure. L'enquête PSE permet en effet à la personne de s'exprimer précisément sur sa vie et ses besoins, et l'aménagement de la peine s'en trouve plus adapté. Quant au système de surveillance, malgré son imperfection (visibilité, pénibilité au-delà de quatre mois...), il révèle d'autres sources de problèmes. « Même les violations ou les incidents techniques permettent de nouer un dialogue intéressant en termes éducatifs », estiment les conseillers d'insertion et de probation.

La mobilisation de la famille, nécessaire à la réussite du placement, est aussi appréciée. Néanmoins, elle embarrasse certains. Pour les conseillers comme pour les juges de l'application des peines, il s'agit d'être très attentif aux tensions pouvant découler de la promiscuité imposée. Des familles ont ainsi avoué avoir vécu « un véritable emprisonnement collectif ». Il y a parfois des règlements de comptes familiaux, dénoncent les directeurs de SPIP, et « la situation du condamné se trouve alors entre les mains de personnes qui ne souhaitent pas vraiment l'aider ». Dans le cadre de cette mesure souvent jugée assez intrusive, l'attitude à adopter face aux alarmes a été largement débattue. Si les acteurs affirment la nécessité d'une réponse immédiate, via une vérification téléphonique, les avis divergent sur le besoin de se déplacer pour contrôler l'absence. Beaucoup ont refusé de le faire estimant plus intéressant de travailler à partir des explications du condamné. Le travail en binôme avec les surveillants référents a enfin été une autre découverte positive pour les conseillers d'insertion et de probation.

Nettement moins satisfaisante est la longueur de certains délais, tels ceux entre le moment du rendu de l'enquête et celui de la prise de décision du juge, ou ceux imposés par les institutions de droit commun (ANPE, hôpital...), qui entravent la réalisation des obligations du placement sous surveillance électronique. Certains conseillers d'insertion et de probation ont également déploré n'avoir pu se rendre au domicile des placés. Une fois encore, c'est la faiblesse des moyens affectés au travail social qui est pointée. Les directeurs de SPIP ont d'ailleurs rappelé qu'en France, les CIP gèrent chacun une centaine de dossiers pendant qu'aux Pays-Bas ils suivent moins de 20 personnes, et demandé que des partenariats plus forts soient créés avec les villes ou les organismes sociaux. Une idée également défendue par les conseillers qui, estimant qu'aucun poste ne sera créé, attendent que soient développés « des relais institutionnalisés, sous contrat, assermentés au secret ». La réussite de la mesure repose pour tous clairement sur la forte collaboration des partenaires chargés du suivi. Il est fondamental « qu'il n'y ait pas de déficit de rapports humains, sinon le désengagement du condamné à l'égard de ses obligations s'avère un risque important », résument les chercheurs. Un constat confirmé par les placés, ravis que la sanction s'accompagne « d'éléments de soutien socio-éducatifs et psychologiques ».

3 000 placements en 2007

13 centres techniques sont implantés dans des établissements répartis sur tout le territoire et, via des postes déportés, un grand nombre de maisons d'arrêt sont équipées du dispositif du bracelet électronique. Objectif affiché :2 000 placements en 2004, 3 000 en 2007. Depuis la création du placement sous surveillance électronique, 1 234 mesures, dont 233 sont en cours, ont été prononcées par 70 tribunaux. Parmi elles, on recense 74 échecs, dont 9 évasions. Afin de développer ces placements, un « pôle PSE » réunissant un attaché de la direction centrale, un magistrat et un conseiller d'insertion et de probation a été créé en septembre. « Nous effectuons un travail de coordination et de communication sur cette mesure encore mal connue », résume Catherine Kergonou, conseiller d'insertion et de probation. L'équipe est, notamment, chargée de répondre aux questions des professionnels. Contact :Tél. 01 49 96 28 49 ou catherine.kergonou@justice.gouv.fr.

Une maturité psychologique indispensable

Dans l'ensemble, le placement sous surveillance électronique est estimé moins coercitif que la semi-liberté par les juges de l'application des peines qui y restent attachés, mais plus contraignant que la libération conditionnelle. Un point de vue partagé par les SPIP, qui ont souligné cependant que le placement exigeait des personnes une forte « maturité psychologique » afin de parvenir à respecter les contraintes et à résister aux sollicitations extérieures. Cela pourrait de fait en écarter bien des jeunes. Le bracelet électronique a, de surcroît, été jugé pertinent pour les fins de peine, notamment à titre probatoire en vue d'une libération conditionnelle (5), comme pour les malades, les suspensions de peine étant difficiles à réaliser. Il aurait donc sa place dans la palette des aménagements de peine et beaucoup d'acteurs se réjouissent d'avoir un nouvel outil pour éviter la détention, voire favoriser le maintien des liens sociaux, familiaux, professionnels. Des motifs auxquels sont également sensibles les condamnés qui tous ont affiché une « forte volonté de ne pas aller, ou pour certains, de ne pas rester ou retourner en prison ». Ainsi, relatent les chercheurs, le bracelet électronique était pour eux un « moindre mal ». De fait, tous étaient persuadés qu'ils échappaient à la prison, alors que la majorité s'était vu proposer un autre aménagement de peine... Ce dispositif parviendra-t-il dès lors, comme ses promoteurs l'ont fait valoir, à vider les prisons et à réduire la surpopulation carcérale ? S'il est trop tôt pour le savoir, les professionnels semblent peu enclins à le croire, d'autant que, selon eux, la mesure ne pourra bénéficier qu'à un profil restreint de personnes. Etendra-t-il les filets du contrôle social (6) en mordant plus sur la liberté ou sur d'autres mesures moins contraignantes ?Les craintes des travailleurs sociaux à ce sujet sont loin d'être apaisées. L'institution par la loi du 9 septembre 2002 - postérieure à l'expérimentation - du placement sous surveillance électronique comme modalité d'exécution d'un contrôle judiciaire laisse en tout cas quelque peu dubitatif...

Florence Raynal

Notes

(1)  Sous surveillance électronique - La mise en place du « bracelet électronique » en France - Annie Kensey, René Lévy, Anna Pitoun et Pierre V. Tournier - Direction de l'administration pénitentiaire - Document non diffusé actuellement.

(2)  Agen, Aix-Luynes, Grenoble et Loos-les-Lille.

(3)  Voir ASH n° 2050 du 19-12-97.

(4)  Il n'a été publié que le 10 avril 2002 - Voir ASH n° 2258 du 12-04-02.

(5)  Pour autant, peu en ont bénéficié : 85,7 % des placés étaient condamnés à des peines de moins de un an.

(6)  Voir ASH n° 2270 du 5-07-02.

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