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Articuler le social et l'urbain

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Une vingtaine de sites de la politique de la ville se sont lancés dans des projets sociaux de territoire. Cette démarche expérimentale engage l'ensemble des partenaires de l'intervention sociale et du développement local. Objectifs ? Décloisonner les pratiques et améliorer la cohérence de l'action publique dans les quartiers.

Une série d'immeubles en arc de cercle, une dizaine de tours aux façades délavées, qui abritent environ 1 650 logements sociaux, un terrain de jeux déserté. Tout proche du centre ville de Nantes  (Loire-Atlantique), mais coincé entre la Loire et la voie ferrée, le quartier de Malakoff et ses 4 800 habitants concentrent les difficultés. 49 % de la population active est au chômage, 47 % des familles vivent au-dessous du seuil de pauvreté, la moitié des ménages ont été suivis par les services sociaux au cours de l'année. Certes, le quartier possède ses équipements socio-culturels, son centre commercial et les dégradations semblent relativement limitées, mais il est enclavé. Il devrait néanmoins, d'ici à dix ans, changer de visage. Dans le cadre d'un grand projet de ville, la communauté urbaine a prévu sa recomposition totale : démolition de 600 à 700 logements et réhabilitation de 1 000 autres, construction de 1 300 logements, de bureaux, reconstructions d'équipements  (collège, centre socio-culturel ou crèche), ouverture de voies de circulation nouvelles...

Les partenaires du grand projet de ville, qui ont choisi d'articuler les volets social et urbain, se sont naturellement portés candidats à l'expérimentation des projets sociaux de territoire (voir encadré au verso). « Le social ne doit pas être considéré comme un accompagnement des politiques urbaines, ni les travailleurs sociaux se vivre comme instrumentalisés par des actions au service de l'urbain, défend Michèle Esposto, chargée de mission à la délégation interministérielle à la ville, co-pilote de l'opération au niveau national. Il faut que les acteurs du social soient présents au moment même de la formalisation du projet de renouvellement urbain. Cela fait un certain temps que l'on court après la question de l'articulation du social à l'urbain, sans avoir encore réussi à démontrer comment cela pouvait se faire concrètement. » « Pour nous, explique pour sa part Eric Gutknecht, chargé de quartier à la ville de Nantes, l'enjeu du projet social de territoire était de faire valoir que le projet social n'est pas la béquille du projet urbain, partie intégrante du grand projet de ville. L'émulation qu'il apporte a un effet moteur sur la remobilisation des différents acteurs autour d'actions très diverses que nous avons mises en place ces deux dernières années. »

A Nantes-Malakoff, un axe a été retenu pour ce travail en commun : l'action des services publics sur le quartier. Des groupes de travail rassemblant institutions, associations se réunissent par thèmes en rapport avec les orientations du contrat de ville (emploi et insertion, gestion urbaine de proximité, cohésion sociale et système éducatif, jeunes et familles). Les habitants y participent par le biais d'ateliers ou d'autres initiatives. Ainsi, les professionnels du groupe « gestion urbaine de proximité » ont circulé dans le quartier avec certains d'entre eux pour constater ce qui ne fonctionnait pas (éclairage, voirie, équipements urbains divers...). Un programme d'actions devrait suivre.

Quelle que soit sa forme, cette démarche repose sur un diagnostic partagé entre tous les acteurs, qui mettent en commun connaissances et pratiques. Il s'agit d'évaluer les actions menées et d'aborder les problèmes de façon transversale : non pas en fonction des dispositifs existants, mais des besoins des habitants. L'objectif vise à interroger les politiques publiques et leur mise en œuvre à l'échelle territoriale. « Néanmoins, relève Eric Gutknecht, il ne s'agit pas de dessaisir une institution de sa politique, mais de trouver ensemble des réponses conjointes aux problématiques repérées. »

A la fin de l'année, l'ensemble des diagnostics feront l'objet d'une synthèse, avant que ne soit défini le projet social de territoire. « Nous, professionnels de l'action sociale, nous sommes dans des dispositifs un peu cloisonnés. Il y a bien une offre, mais pas forcément cohérente. Du coup, les habitants sont dans une nébuleuse. Cette démarche doit permettre de déterminer sur quels leviers agir pour mieux répondre à leurs besoins », analyse Jacquelin Thomas, responsable de circonscription sociale. « Tous ces leviers qu'on actionne en même temps donnent aux professionnels l'espoir de voir leurs conditions de travail changer et, cette fois, peut-être, de réussir à faire front face à tous les problèmes qui se posent à un individu », défend, optimiste, Catherine Thareau, agent de développement local à Nantes Habitat, bailleur social du quartier. « En tout cas, nous ne pourrions plus imaginer de fonctionner autrement », affirme Eric Gutknecht.

Pourtant, rassembler une multitude d'intervenants autour de ce qui leur est commun - l'environnement, la dimension urbaine et sociale d'un quartier - n'est pas chose facile. Jean-Luc Goujon, responsable de la politique de la ville au conseil général de Loire-Atlantique, le reconnaît volontiers : « Pour chacun des acteurs, accepter de partager et de mettre à plat relève d'un effort important. »

C'est sans doute pour cela qu'un an après son lancement officiel, l'expérimentation est plus ou moins avancée selon les sites. Si elle semble avoir été bien accueillie dans l'ensemble, sa mise en place a demandé du temps. « Personne n'avait jamais incité les acteurs locaux à se mettre autour d'une table pour parler de la question du social dans les territoires de la politique de la ville, observe Michel Didier, responsable du centre de ressources de la délégation interministérielle à la ville. Le social est en soi un objet complexe. En outre, associer des maîtres d'ouvrage très différents, des professionnels de terrain, des habitants, c'est compliqué et ne s'organise pas de la même façon qu'une simple réhabilitation de logements sociaux. » Michèle Esposto y voit, quant à elle, l'effet de la marge de manœuvre laissée aux acteurs locaux : « Si la mayonnaise est ici ou là un peu plus longue à prendre, c'est que nous ne souhaitions pas que soit désigné au niveau national un chef de file pour chaque site. Du coup, chacun a connu une période de flottement plus ou moins prolongée. »

Au-delà du choix des partenaires, le comité de pilotage national a voulu laisser les coudées franches aux acteurs locaux. « Il y a bien un cahier des charges, des points de passage obligés. Mais ce n'est ni une circulaire, ni un dispositif, c'est une démarche de travail. » Chaque candidat à l'expérimentation a donc eu l'entière responsabilité du choix du territoire, à condition qu'il relève de la politique de la ville, des acteurs et de la thématique de travail. « Souvent, le jeu entre le local et le national se fait sur le thème : qu'est-ce que c'est que ce bazar qu'on nous impose d'en haut ?, note Michèle Esposto. Or, ici, c'était bien aux acteurs locaux de définir la problématique. »

De fait, d'un site à l'autre, les intervenants, les territoires et les thèmes choisis sont assez divers. Dans la Côte-d'Or, les partenaires ont choisi un quartier de Dijon et la ville de Longvic, deux sites sous contrat de ville. Quant à la thématique, elle a évolué de « la prévention » aux « jeunes en difficulté »   (1). « Partant d'eux sont concernés tous les dispositifs qui touchent à la jeunesse, explique Marc Chevalier, chargé de mission prévention au conseil général de la Côte-d'Or. Le thème de la prévention était jugé trop restrictif par certains partenaires, nous avons beaucoup cheminé.  » D'où le délai nécessaire pour que la démarche trouve sa vitesse de croisière.

« Des obstacles, souvent d'ordre institutionnel, existent toujours ici et là, observe Jacques Ladsous, membre du comité national de pilotage. Leur poids est parfois lourd face à des acteurs qui souhaitent faire ensemble un certain nombre de choses et qui ne trouvent pas dans leur institution, par exemple, le temps suffisant pour s'investir. Selon les endroits, ces difficultés sont plus ou moins facilement dépassées. Nous analyserons les raisons qui font que cela se passe bien ou moins bien. Mais je constate un souhait des uns et des autres de dépasser ces lourdeurs. »

Encore faut-il que la complexité de la démarche qui revêt souvent, de l'aveu même des acteurs locaux, des allures d'usine à gaz, ne rebute pas les bonnes volontés. « L'idée de Claude Brévan était d'entamer cette démarche sous forme d'une expérimentation pour montrer que c'est possible et à quelles conditions c'est possible, en analysant les obstacles et les échecs, explique Jacques Ladsous. De proposer une méthodologie qui, dans l'avenir, permette aux gens de collaborer en bonne et due forme, dans les centres de formation et sur le terrain. » « L'enjeu, défend Michèle Esposto, est bien que cette méthode de travail produise quelque chose de concret. Le pire à craindre serait que les projets sociaux de territoire aient conduit les professionnels à travailler ensemble et que l'on s'arrête là. Il faut que cela se traduise par des changements institutionnels et des modifications des pratiques de travail. »

Un objectif que met également en avant Michel Autès, chercheur en sciences sociales à l'Institut fédératif de recherche sur les économies et les sociétés industrielles  (Ifresi). « Il ne faudrait pas que ce soit un dispositif de plus dans la boîte à outils, mais l'occasion de passer à une autre conception des choses ; de sortir des illusions d'un partenariat qui ne sert souvent qu'à ravauder des politiques parfois contradictoires pour construire une véritable cohérence des actions territoriales, afin de sortir d'une logique d'empilement. »

Sandrine Pageau

EXPÉRIMENTER PUIS GÉNÉRALISER

L'expérimentation des projets sociaux de territoire trouve son origine dans le rapport Brévan-Picard (2) , qui proposait différentes pistes pour valoriser les métiers de la ville. Celui-ci constatait une difficulté à rapprocher les métiers de l'intervention sociale des problématiques de la politique de la ville. Comment, en effet, mobiliser les travailleurs sociaux sur une politique parfois accueillie avec méfiance ? D'où l'utilité, notaient les auteurs,  de lancer une expérimentation afin de décloisonner l'action sociale et de remobiliser le travail social sur la politique de la ville. Après appel à candidatures et constitution d'un comité de pilotage national composé des différents partenaires - délégation interministérielle à la ville, Assemblée des départements de France, caisse nationale d'allocations familiales, direction générale de l'action sociale et Conseil supérieur du travail social -, 20 sites de la politique de la ville sont engagés dans les projets sociaux de territoire, depuis leur lancement officiel en octobre 2002. L'expérimentation consiste à développer un travail en commun entre les différents services (Etat, commune, département, associations, bailleurs sociaux...) qui interviennent souvent auprès d'un même public. Autour d'une thématique qu'ils ont choisie, ces partenaires s'efforcent de travailler ensemble et d'améliorer la lisibilité des politiques publiques pour les habitants des quartiers. Il s'agit avant tout « d'identifier les points de blocage et les effets de levier permettant d'améliorer la cohérence de l'action publique ». Un budget global de 280 000  € (3) assure le financement, pour chaque site, de 15 à 20 jours d'assistance technique par des prestataires. Une rencontre nationale de clôture, à l'automne 2004, permettra de capitaliser les enseignements de cette expérimentation. L'objectif est d'en extraire des éléments transférables à d'autres sites, qu'il s'agisse de méthode (mobilisation des acteurs, évolution des formations des travailleurs sociaux, etc.), de préconisations réglementaires ou de diffusion et valorisation des bonnes pratiques.

Notes

(1)  La jeunesse est l'un des thèmes dominants. Un tiers des sites ont choisi de travailler sur ses divers aspects : parentalité, prévention, etc.

(2)  Une nouvelle ambition pour les villes ; de nouvelles frontières pour les métiers - Voir ASH n° 2181 du 22-11-00.

(3)  Auquel la DIV participe à 50 %, le reste étant réparti entre les différents partenaires.

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