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Les employeurs anticipent la pénurie des éducateurs spécialisés

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Apprentissage, validation des acquis de l'expérience, voire création d'une licence professionnelle... Les associations rhône-alpines du secteur de la protection de l'enfance utilisent différents outils pour faire face à la pénurie d'éducateurs spécialisés. Et assurer la continuité du travail éducatif.

« Aujourd'hui, quand nous avons besoin d'un professionnel dans un établissement ou en prévention spécialisée, nous sommes obligés une fois sur deux d'embaucher une personne non diplômée pour laquelle il faudra mettre en place une formation. » Jean-Jacques Bodevin dirige la Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence de la Loire (1). Depuis plusieurs années, cette association - qui accueille 6 000 jeunes (dont 4 000 en milieu ouvert)  -n'a d'autre solution que de confier entre 10 et 20 % des 80 postes d'éducateurs spécialisés intervenant en établissement à des moniteurs-éducateurs ou à des « faisant fonction ».

Ces difficultés, l'association du Prado (2) - qui regroupe neuf établissements (dont 80 % habilités par le ministère de la Justice)  -, les connaît également. Son directeur général, Alain Richard, ne peut que constater la désertion préoccupante de certains internats par les éducateurs spécialisés diplômés. « Pour ces établissements ouverts 365 jours par an et accueillant un public difficile, nous avons beaucoup de mal à trouver des diplômés, qui semblent culturellement de plus en plus éloignés de ce type de public. Souvent, ils supportent mal d'être confrontés à la violence. De plus, comme on leur demande fréquemment de faire des nuits et des week- ends, ils préfèrent aller vers l'externat ou le milieu ouvert où les contraintes sont moins lourdes. »

Si les responsables de structures estiment indispensable de diversifier les profils dans les équipes éducatives (personnes avec une expérience dans l'animation, DEUG ou licence de psychologie, BTS en économie sociale et familiale, diplômes Jeunesse et Sports (3) ), ils voient tout de même avec inquiétude fondre la part des éducateurs spécialisés. « Lors du démarrage d'un de nos centres d'éducation motrice, nous avions deux éducateurs spécialisés pour une équipe de neuf personnes. Il n'en reste plus qu'un », déplore Jean-Jacques Bodevin. De son côté, le directeur du Prado a été contraint de « puiser » dans les autres établissements de son association pour pouvoir intégrer deux éducateurs spécialisés dans l'équipe de neuf personnes du nouveau centre éducatif renforcé.

La pénurie de travailleurs sociaux qualifiés touche aussi le secteur de la prévention spécialisée, prévient Jean-Pierre Michaud, directeur général de la Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence du Rhône (4).5 000 jeunes sont suivis par son service de prévention spécialisée dont 16 % des intervenants, à la fin 2002, étaient de niveau IV ou sans qualification.

Ces difficultés de recrutement sont encore limitées, reconnaissent les responsables d'association. Mais elles devraient s'aggraver dans les années à venir sous les effets conjugués de l'accroissement des besoins et de l'accélération des départs en retraite. « A un moment, le déficit de professionnels qualifiés va rejaillir sur l'ensemble du secteur. 31 %des infirmiers, 30 % des éducateurs spécialisés et 30 % des assistants sociaux s'en iront d'ici à 2010 », note Jean-Pierre Michaud (5). En outre, avec une plus grande proportion de personnes diplômées (en particulier de niveau III), le secteur de la protection de l'enfance est le plus exposé aux risques de déqualification à venir.

Pour faire face, les responsables se tournent donc vers la formation en cours d'emploi. « L'augmentation des places dans les écoles d'éducateurs ne va pas répondre à tous les besoins de nos structures, observe Alain Richard. Pour nos internats, nous allons faire appel, par exemple, à des candidats élèves éducateurs ou à des éducateurs techniques, et chercher toutes les astuces possibles pour leur donner une formation qui leur offre une espérance de carrière. »

L'apprentissage constitue une voie nouvelle pour accéder au diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé ou au certificat d'aptitude à la fonction de moniteur- éducateur. En Rhône-Alpes, 60 jeunes préparent ces diplômes (dont plus d'une quarantaine de futurs éducateurs) par ce biais et un nouveau cycle devrait démarrer en septembre 2004 pour former 60 éducateurs et 30 moniteurs-éducateurs. Les employeurs voient d'abord dans la formule une occasion de mettre en avant leur place d'entreprise « apprenante ». En outre, «  c'est une façon pour nous d'avoir une démarche de recrutement plus axée sur le repérage de compétences adaptées au métier que sur un système de notation scolaire », souligne Jean-Jacques Bodevin, indiquant que la formule permet de sélectionner des jeunes n'ayant pu entrer en école de formation, faute de places suffisantes. L'apprentissage peut-il néanmoins s'accommoder de tous les environnements de travail ? « Avec une réglementation du travail qui n'autorise pas l'apprenti à travailler le week-end ou les jours fériés, par exemple, il semble difficile de lui faire découvrir l'ensemble du champ d'intervention auprès des populations accueillies dans les internats », s'inquiète Jean-Pierre Michaud. Enfin, estime le directeur général de la Sauvegarde du Rhône, cette voie ne pourra être pérennisée qu'avec l'instauration d'une contribution spécifique : « La branche a aidé à la validation de cette action en prélevant une partie des fonds de l'alternance. Mais c'est autant d'argent retiré à d'autres actions. Il faut donc un versement propre à l'apprentissage pour pouvoir poursuivre cette expérience à la rentrée 2004 »   (6).

La validation des acquis de l'expérience  (VAE) devrait de son côté fournir aux professionnels un levier supplémentaire pour limiter les effets annoncés du manque de travailleurs sociaux qualifiés dans le secteur de la protection de l'enfance. Ce système pourrait, à terme, rendre les métiers du secteur plus attractifs en développant la promotion sociale. « La VAE me semble destinée avant tout aux professionnels ayant déjà suivi un parcours de formation dans le secteur social. Elle peut amener un renouvellement du personnel dans les différents niveaux de qualification, sans apport de personnes complètement étrangères à la culture de la branche », précise Jean-Pierre Michaud. Les mieux préparés à passer la VAE pour obtenir le diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé, selon lui, devraient être les professionnels possédant déjà un diplôme de niveau IV (les moniteurs-éducateurs) et dont l'expérience acquise sur le terrain permettra de combler plus facilement l'écart avec le niveau III. Inversement, d'autres responsables voient dans ce dispositif la possibilité d'amener au diplôme d'éducateur spécialisé des personnes dont les cursus, quoique plus atypiques, peuvent s'avérer très utiles pour la prise en charge de certains publics. « J'ai, par exemple, dans un de mes établissements, une personne qui a suivi les trois premières années de chirurgie dentaire. Pour les structures avec des cas lourds, des problèmes psychiatriques ou encore des situations d'inceste, où la prise en charge psychologique, voire thérapeutique, est très importante, ce type de profil possédant un bon niveau intellectuel est très intéressant, et la VAE constitue une bonne solution pour obtenir plus rapidement le diplôme », explique Alain Richard.

Facteur de promotion sociale, mais aussi de mobilité professionnelle, la validation des acquis de l'expérience ne représente pourtant pas la solution miracle. « On sait par expérience qu'il est difficile d'obtenir en général un diplôme via la VAE, observe Jean-Pierre Michaud. Quand je vois le référentiel de formation et de compétences qui a été élaboré et à partir duquel les futurs candidats devront constituer leur dossier, j'ai l'impression que ce sera plus dur que de passer le diplôme par la voie classique. »

Quatre partenaires professionnels, dont la Sauvegarde de la Loire et l'association du Prado (7), vont encore plus loin. Ils travaillent depuis plusieurs mois avec le service de formation continue de l'université de Saint-Etienne à l'élaboration d'une licence d' « intervenant éducatif en hébergement » (voir encadré ci- contre). Il s'agit avant tout, font observer les initiateurs du projet, de braquer le projecteur sur les besoins spécifiques de formation du travail éducatif en établissement. « Pour ces postes, nous n'avons pas aujourd'hui un choix suffisant parmi les gens qui sortent des écoles. Grâce au système universitaire, nous aurons petit à petit un plus grand nombre de diplômés sur le marché. A la base c'est une idée quantitative », souligne Alain Richard.

Accessible à la fois aux diplômés et aux professionnels (via la validation des acquis de l'expérience), ce nouveau diplôme pourrait être en particulier très valorisant pour les « faisant fonction » bénéficiant d'une formation universitaire et déboucher sur une « lisibilité » sociale accrue. « Les gens ne se demandent pas quel est le niveau de qualification d'un ingénieur. Mais je ne suis pas certain qu'ils puissent situer le niveau d'études d'un détenteur du diplôme d'éducateur spécialisé », poursuit le directeur général du Prado. Les partenaires mettent enfin en avant une plus grande concordance de la licence professionnelle avec le système, en cours d'harmonisation, des diplômes européens. Reste que cette licence, qui ne prétend pas être l'équivalent du diplôme actuel d'éducateur spécialisé, pose la question de sa reconnaissance par les employeurs et surtout du niveau de rémunération de ses détenteurs. Des difficultés que ne nient pas les intéressés, qui précisent qu'il s'agit pour l'instant d'une expérience locale dont le démarrage, prévu pour septembre 2004, devrait concerner, tout au plus, de 15 à 20 personnes.

UNE LICENCE « D'INTERVENANT ÉDUCATIF EN HÉBERGEMENT »

Toujours en cours de préparation, le projet de licence professionnelle prévoit une formation en un ou deux ans comprenant 550 heures de cours et 240 heures de stage. Elaboré de façon à ce que le détenteur de cette licence puisse sans trop de difficultés passer par la suite le DEES, ce nouveau diplôme est destiné, explique Jean-Jacques Bodevin,  directeur de la Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence de la Loire, à donner des outils de réflexion et d'action aux intervenants en hébergement. « Il y aura des aspects très concrets, axés sur des préoccupations de terrain. Par exemple, une partie sur le travail en réseau pour ces structures d'hébergement et un module sur l'interculturel pour prendre en compte l'évolution des publics depuis une vingtaine d'années »

Henri Cormier

Notes

(1)  Association départementale pour la sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence de la Loire (ADSEA 42)  : 15, rue Aristide-Briand et de la Paix - 42000 Saint-Etienne - Tél. 04 77 32 72 45.

(2)  Association du Prado : 200, rue du Prado - 69270 Fontaines-Saint-Martin - Tél. 04 72 42 11 22.

(3)  Tels que le brevet d'aptitude professionnelle d'assistant animateur technicien ou le brevet d'Etat d'animateur technicien de l'éducation populaire et de la jeunesse.

(4)  Association départementale du Rhône pour la sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence : 16, rue Nicolaï - 69007 Lyon - Tél. 04 37 65 21 21.

(5)  Voir ASH n° 2259 du 19-04-02.

(6)  Sur les difficultés de financement du dispositif, voir ASH n° 2325 du 19-09-03.

(7)  Auxquelles se sont jointes l'Adapei 42 et l'ADSEA 43.

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