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Violences urbaines, violence sociale

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Certes celui qui s'emploie à mettre au jour les différents ressorts pouvant expliquer le surgissement d'une flambée de violence risque fort de voir son propos assimilé à une entreprise d' « excuse sociologique » destinée à disculper les fauteurs de troubles. Stéphane Beaud et Michel Pialoux ne nous en convient pas moins à accompagner leur longue immersion dans la zone urbaine prioritaire (ZUP) de la Petite-Hollande, à Montbéliard. Et le voyage est passionnant. Il part de l'émeute qui éclate le 12 juillet 2000 dans ce quartier où résident 13 000 habitants, soit près de la moitié de la population de la ville.

Ce jour-là, environ 300 jeunes, d'origine maghrébine pour la plupart d'entre eux, s'opposent violemment aux CRS et à la police venus arrêter un braqueur de 25 ans, fiché au grand banditisme, qui s'est réfugié chez un ancien copain de la ZUP. Dans la soirée et la nuit, c'est-à-dire quelques heures après que « Momo » se soit finalement rendu, des groupes de jeunes - et de très jeunes (des 10-14 ans) - cherchent à en découdre avec la compagnie de CRS restée sur place et s'attaquent à de nombreux bâtiments. Le collège et les écoles primaires sont épargnés, mais plusieurs autres édifices sont incendiés et une partie du centre commercial saccagée. Comment en est-on arrivé là, alors que sur sa butte verdoyante à proximité du centre-ville, la Petite-Hollande où vit une population relativement mélangée (ouvriers français et immigrés, employés), est tout sauf une cité-dortoir triste, décrépite et dépourvue d'équipements collectifs ? Et pourquoi cette explosion de violence surgit-elle dans un contexte de très forte reprise de l'emploi dans le bassin industriel de Sochaux- Montbéliard ?

Connaissant bien le terrain sur lequel ils travaillent depuis plus de dix ans, les sociologues reconstituent la logique qui, à partir du milieu des années 90, a présidé à la dégradation des relations entre les jeunes et les autres habitants du quartier, et à la montée de l'agressivité des premiers vis-à-vis de tout ce qui incarne l'autorité (police et justice, mais aussi enseignants et animateurs). La profondeur de champ du travail proposé, qui restitue l'événement dans son épaisseur historique, s'avère très éclairante pour comprendre les mécanismes qui, au cours du temps, ont contribué à façonner la personnalité sociale des jeunes émeutiers.

Introduisant dans l'analyse des questions aussi fondamentales que la précarisation sociale, l'insécurité au travail et le chômage des jeunes, leurs itinéraires scolaires, modes de socialisation et formes d'encadrement dans la famille et dans le quartier, les auteurs donnent à voir - et à entendre au fil des nombreux entretiens rapportés -comment les « nouvelles classes dangereuses » se sont construites sur 20 années de crise et la permanence des discriminations racistes. En outre, si la reprise qui a débuté en 1998 ouvre largement aux jeunes les portes de l'usine Peugeot et celles de ses équipementiers, ce n'est que sur le mode précaire de l'intérim qui institutionnalise l'insécurité et engendre de frustrantes désillusions. A la ZUP de Montbéliard, comme dans beaucoup de quartiers sensibles des villes au passé industriel, notent les auteurs, « on a fabriqué en masse des jeunes aigris, révoltés, enragés », notamment au sein des familles immigrées où les cadets ont grandi aux côtés d'aînés abîmés, physiquement et psychologiquement, par des années de chômage récurrent ou de longue durée. « Eminemment corrosive pour ceux qui en sont les victimes », cette violence sociale qui pèse sur les jeunes des cités est bien au fondement des soulèvements auto-destructeurs surgissant, à la première occasion, chez qui se voit promis à un avenir peu radieux.

Violences urbaines, violence sociale. Genèse des nouvelles classes dangereuses -Stéphane Beaud, Michel Pialoux - Ed. Fayard - 22 € .

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