Le ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, François Fillon, a présenté, le 19 novembre, en conseil des ministres, son projet de loi relatif à la formation tout au long de la vie et au dialogue social. Ce texte, qui devrait être soumis aux parlementaires à partir du 11 décembre, transpose dans le code du travail l'accord interprofessionnel rénovant la formation professionnelle conclu le 20 septembre (1), réforme l'apprentissage, instaure le contrat d'insertion dans la vie sociale et modifie les règles de la négociation collective. A noter enfin que, dans l'attente des conclusions de la mission Marimbert (2), le gouvernement a renoncé aux dispositions mettant fin au monopole de l'ANPE en matière de placement.
Tout d'abord, le projet de loi affirme le principe de la formation tout au long de la vie, notion qui remplace, dans le code du travail, celle de « formation professionnelle permanente ». Et prévoit que l'apprentissage de la langue française en fait partie, au même titre que la lutte contre l'illettrisme.
Le texte donne ensuite une base légale à la principale innovation de l'accord du 20 septembre : le droit individuel à la formation (DIF) qui, pour mémoire, permet à tout salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée employé à temps plein et ayant une ancienneté de un an au minimum dans l'entreprise de bénéficier de 20 heures de formation par an cumulables sur six ans au maximum. Mais, alors que les partenaires sociaux souhaitaient que les actions de formation puissent être réalisées « dans ou en dehors du temps de travail », le projet gouvernemental pose le principe que les heures de formation se déroulent en dehors du temps de travail, sauf si un accord de branche ou d'entreprise stipule qu'elles s'effectuent « en partie pendant le temps de travail ». En outre, le texte ouvre, sous certaines conditions, le bénéfice du DIF prorata temporis aux salariés sous contrat à durée déterminée.
Par ailleurs, le projet de loi reprend, sans modification, la distinction, opérée au sein du plan de formation, entre les actions d'adaptation au poste de travail, les actions de formation liées à l'évolution des emplois ou au maintien dans l'emploi et celles ayant pour objet le développement des compétences des salariés.
Conformément à l'accord du 20 septembre, les contrats d'orientation, d'adaptation et de qualification devraient être remplacés, à compter du 1erjuillet 2004, par un contrat de professionnalisation à destination des jeunes de 16 à 25 ans sans qualification et des demandeurs d'emploi de 26 ans et plus. L'économie générale de ce contrat proposée par les partenaires sociaux n'est pas modifiée. Toutefois, le ministère ne reprend pas les minima de rémunérations fixés pour les jeunes, qui seront établis par décret. Un décret déterminera également les aides de l'Etat -non prévues par l'accord - auxquelles ouvrira droit le contrat. Le projet de loi inscrit aussi dans le code du travail les périodes de professionnalisation destinées à favoriser le maintien dans l'emploi de certaines catégories de salariés (qualification insuffisante, travailleurs handicapés...), sans y apporter d'aménagements majeurs.
En outre, le texte donne corps au droit à acquérir une formation qualifiante tout au long de la vie. Financé par l'Etat, ce dispositif constitue, selon François Fillon, une « seconde chance » pour tous ceux sortis du système scolaire sans qualification reconnue.
Enfin, les dispositions paritaires sur l'augmentation des contributions financières des employeurs au financement de la formation sont reprises.
Le projet de loi instaure les volets accompagnement vers l'emploi et accompagnement vers la création d'entreprise du contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS) et donne, à cette occasion, une assise législative à son pan « activités d'utilité sociale », d'ores et déjà mis en œuvre par voie réglementaire (3).
Le CIVIS est réservé aux jeunes de 16 à 24 ans révolus dont le niveau de qualification est inférieur ou équivalent à un diplôme de fin de second cycle long de l'enseignement général, technologique ou professionnel ou n'ayant pas achevé le premier cycle de l'enseignement supérieur et rencontrant des difficultés particulières d'insertion sociale et professionnelle. Signé avec la région pour deux ans au maximum, il formalise les engagements du jeune pour la mise en œuvre d'un projet d'insertion professionnelle, les actions engagées par la région à cet effet et les modalités de leur évaluation.
Le contrat d'insertion dans la vie sociale peut être précédé d'une période de préparation de trois mois permettant d'orienter le jeune vers le parcours le plus adapté à sa situation. Reprenant le principe - abandonné - de la bourse d'accès à l'emploi versée dans le cadre du programme TRACE, le texte prévoit, pour les majeurs, le versement par la région d'une allocation, incessible et insaisissable, pendant les périodes durant lesquelles les intéressés ne perçoivent ni rémunération au titre d'un emploi ou d'un stage, ni une autre allocation. Cette allocation peut être suspendue ou supprimée en cas de non-respect du contrat par son bénéficiaire après que celui-ci a été mis à même de présenter des observations. Le montant, les conditions d'attribution et les modalités de versement de cette allocation seront fixés par décret.
La région peut organiser, par une convention passée avec les communes, les départements et les missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes, les modalités de leur action commune pour la passation, la mise en œuvre et le suivi des contrats d'insertion dans la vie sociale.
Comme annoncé (4), le projet de loi intègre certaines des propositions du secrétaire d'Etat aux PME destinées à faciliter le recours à l'apprentissage. Parmi elles, la possibilité de conclure des contrats d'apprentissage avec des jeunes de plus de 25 ans ou d'employer des apprentis de moins de 18 ans huit heures par jour au lieu de sept aujourd'hui. Le ministère des Affaires sociales propose également que la signature du contrat d'apprentissage puisse intervenir sur une période allant de trois mois avant la rentrée scolaire à trois mois après (contre deux).
Qualifié de « vraie révolution » par François Fillon, le volet du projet de loi sur le dialogue social tend à développer la négociation collective, en particulier au sein des entreprises. S'inspirant de la position commune des partenaires sociaux de 2001 (5), le texte introduit le principe de l'accord majoritaire. Ainsi, au niveau interprofessionnel, un accord ne sera valable que si la majorité des organisations syndicales de salariés représentatives ne s'y oppose pas. Il en sera de même pour les accords de branche sauf si les partenaires sociaux décident de fixer des règles particulières relatives à la condition de majorité, fondées soit sur les résultats aux élections professionnelles, soit sur ceux d'une consultation spécifiquement organisée à cette fin. L'entrée en vigueur d'un accord d'entreprise ou d'établissement devrait, quant à elle, être subordonnée à la signature ou à la non-opposition d'une ou plusieurs organisations syndicales représentatives majoritaires (6). Actuellement, la signature d'un seul syndicat représentatif, même minoritaire, suffit. A noter que la présomption irréfragable de représentativité dont bénéficient depuis 1966 la CGT, la CFDT, FO, la CFTC et la CFE-CGC n'est pas abandonnée.
En contrepartie de l'accord majoritaire, le projet du gouvernement étend la possibilité - vivement critiquée par l'ensemble des syndicats - de conclure des accords d'entreprise dérogatoires aux accords de branche ou interprofessionnels correspondants, sauf si ces derniers l'interdisent expressément. Ce qui revient à dire qu'un accord d'entreprise pourra se révéler moins favorable pour les salariés. Trois garde-fous cependant : l'accord de branche ou interprofessionnel demeure la règle en matière de salaires minima, de classifications, de prévoyance collective et de mutualisation des fonds de la formation ; un accord dérogatoire ne peut intervenir en matière de définition du travailleur de nuit et de mise en place de durées d'équivalence ; la valeur hiérarchique des accords déjà conclus n'est pas remise en cause, ce qui garantit ceux existant sur les 35 heures.
Enfin, toujours selon le projet de loi, pour encourager la négociation collective dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux, les accords de branche pourront prévoir que les représentants élus du personnel au comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel, peuvent négocier des accords collectifs de travail qui devront ensuite être validés par une commission paritaire nationale de branche. Un ou plusieurs salariés pourront même être expressément mandatés par un syndicat pour conclure un accord d'entreprise qui devra être approuvé par la majorité des salariés.
(1) Voir ASH n° 2326 du 26-09-03.
(2) Voir ASH n° 2326 du 26-09-03.
(3) Voir ASH n° 2332 du 7-11-03.
(4) Voir ASH n° 2330 du 24-10-03.
(5) Voir ASH n° 2225 du 24-08-01.
(6) C'est-à-dire celles qui ont recueilli les voix d'au moins la moitié des votants aux dernières élections des représentants du personnel.