L a réalité est beaucoup plus dure que nos chiffres. Pourtant, ceux-ci sont déjà accablants », juge Aline Osman, chargée de mission à la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) (1). Première faille, et de taille : la moitié des 6 millions d'appels parvenant chaque année au 115 au plan national (hors Paris) « ne sont pas décrochés », faute de lignes .Sur les 600 000 appels traités (toujours hors Paris), 400 000 portent sur une demande d'hébergement d'urgence et au moins une sur cinq, soit 80 000 chaque année, aboutissent à un refus faute de capacités.
En région parisienne, le 115 refuse, en moyenne annuelle, 500 demandes d'hébergement par jour, et 103 rien qu'à Paris, ajoute Eric Pliez, président de la FNARS Ile-de-France. « Et cela, enrage-t-il, alors que 8 000 nuitées d'hôtel sont assurées chaque jour pour des familles à Paris, souvent à des prix exorbitants par rapport à la qualité des prestations et sans l'accompagnement social qui permettrait d'envisager une sortie du labyrinthe de l'urgence. » Quant aux centres d'hébergement, 26 % proposent encore des dortoirs, le taux atteint même 33 % à Paris.
Dans bien des cas, le dispositif est donc incapable de répondre à ses principes de base et d'offrir un accueil de proximité, immédiat, inconditionnel et de qualité, déplore la FNARS. Parallèlement, la ville se fait de plus en plus inhospitalière, regrette Michel Blanchard, président de la commission « urgence » : « Durant la canicule, nous nous sommes aperçus qu'à Bordeaux il n'y a plus aucune fontaine publique d'eau potable, sauf au ras du sol, pour les chiens ! »
« L'analyse des demandes du 115 et des centres d'accueil fournit pourtant tous les éléments pour savoir ce qu'il faudrait faire, pour prévenir l'urgence, voire - on peut rêver -l'éradiquer », enchaîne Aline Osman. Mais ce n'est pas avec le budget qui vient d'être adopté pour 2004 que le dispositif va se sortir de son habituelle précarité. Malgré la rallonge de 145 millions d'euros que le gouvernement a dû accorder en octobre dernier, les crédits votés pour l'an prochain ne font à peu près que reconduire le budget primitif de 2003 (environ 700 millions pour l'urgence et l'insertion), constate Jean-Paul Péneau, le directeur général de la fédération (2). « Tous les ans, on recommence avec la même incertitude. » C'est-à-dire avec le contraire de ce qu'il faudrait pour anticiper des besoins qui n'ont rien d'imprévisible, qualifier les intervenants, organiser le rapprochement avec les acteurs de santé mentale... Rien que pour assurer la pérennité des 200 à 300 emplois-jeunes qui font fonctionner le 115 dans bien des départements, l'Etat devrait débloquer 20 millions d'euros sur deux ou trois ans, constate Jean-Paul Péneau.
Il faudrait « agir avant l'urgence », plaide la FNARS. Alors qu'au contraire, le dispositif risque de s'engorger plus encore avec la baisse des contrats aidés de retour à l'emploi, la diminution de 7 % des crédits du logement social, les restrictions à l'aide médicale d'Etat... Ces motifs d'inquiétude, le président de la FNARS, Jean-Marie Rabo, les énumère dans un courrier envoyé au Premier ministre le 14 novembre. Il se prépare à les lui redire de vive voix, avec les autres associations du collectif Alerte, lors d'un entretien que le nouveau conseiller social de Matignon, Christian Charpy, prépare pour décembre.
(1) FNARS : 76, rue du Faubourg-Saint-Denis - 75010 Paris - Tél. 01 48 01 82 00.
(2) Personne n'est en état de chiffrer le budget total de l'urgence, qui intègre des apports des collectivités territoriales et du privé.