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Une psychologue municipale à l'écoute des habitants

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La municipalité d'Angers a décidé de prendre en compte la souffrance psychique de ses citoyens. Une psychologue territoriale, Bérangère Simonin, va à leur rencontre et leur offre un accompagnement et une orientation vers les services médicaux et sociaux.

D'ordinaire, ce sont plutôt les crèches municipales ou les services du personnel des communes qui emploient des psychologues territoriaux. Mais à Angers, Bérangère Simonin, psychologue clinicienne, exerce depuis trois ans au sein du service communal d'hygiène et de santé rattaché à la direction environnement et santé publique (1). Créé en 1908, ce service remplit à la fois une mission de santé publique et de traitement des plaintes de voisinage. C'est dans ce cadre qu'intervient la psychologue chargée de l'accompagnement des personnes en souffrance. Après signalement, elle se rend à leur domicile, évalue leur situation, les oriente vers des structures sanitaires et sociales adaptées et leur propose, le cas échéant, un accompagnement psychologique.

La création de ce poste part d'un constat : le défaut de prise en compte d'une souffrance dont les conflits de voisinage peuvent être l'expression. « Il y a quelques années, explique Bérangère Simonin, les professionnels de santé du service se sont interrogés sur l'origine de ces plaintes. En les analysant, ils ont repéré que 15 à 20 % des cas révélaient une souffrance psychique ou psychosociale, soit du plaignant, soit du fauteur de troubles. » « Dans ces dossiers-là, ajoute Gérard Boussin, médecin responsable de l'unité santé publique de la ville d'Angers, les plaintes se répétaient souvent. Il y avait des situations d'alcoolisme, de violence, des troubles du comportement. Mais nous ne pouvions apporter qu'une réponse technique ou de médiation. Ni les techniciens ni moi-même n'étions en mesure d'entendre ces souffrances ni de leur apporter une réponse adaptée. » Arrivés à la limite de leur compétence, les techniciens et professionnels de santé du service décident alors de compléter l'équipe.

Une première psychologue clinicienne tout juste sortie de DESS est recrutée en 1998 comme « médiateur psychosocial » en contrat emploi-jeune. C'est en octobre 2000, lorsqu'elle quitte son poste, que Bérangère Simonin présente sa candidature. Elle vient d'obtenir son DESS de psychologie clinique, spécialité « clinique sociale ». « Cet emploi était assez novateur, observe Bérangère Simonin, puisqu'il s'agissait de réfléchir au positionnement d'une ville dans la prise en charge et l'accompagnement de la souffrance psychique des habitants. C'est cela que j'ai trouvé intéressant. » En juillet 2002, le poste est pérennisé - entre- temps, sa titulaire a passé le concours de psychologue territorial.

Depuis, cette jeune femme de 25 ans parcourt la ville avec en tête une ligne de conduite : se rendre la plus accessible possible aux publics en souffrance. « Je rencontre des personnes de toutes les tranches d'âge et toutes sortes de problématiques : alcool, addictions, délinquance, isolement socio-familial extrême, troubles psychopathologiques... C'est enrichissant en tant que psychologue clinicienne, mais aussi épuisant, confie Bérangère Simonin. Je croise toutes les couches sociales, ce qui prouve que la souffrance n'est pas seulement le lot des pauvres et des précaires. » Elle, qui a choisi sa discipline par souci de « penser le sujet dans sa globalité biologique, psychique et sociale, avec une attention à l'environnement social de la personne auprès de laquelle [elle travaille]  », apprécie de pouvoir « envisager une intervention à domicile, aller au-devant des personnes en souffrance et de ne pas être en position d'attendre les demandes d'aide ».

Tous les Angevins, quelle que soit leur situation sociale, sont susceptibles de bénéficier de son aide. Ils peuvent être signalés aussi bien par le biais des plaintes de voisinage que par un tiers (un proche, un voisin, des travailleurs sociaux du centre communal d'action sociale, du département, les bailleurs sociaux, etc.)   (2). Lorsqu'une plainte arrive à la direction environnement et santé publique, l'un des techniciens du service se rend au domicile. Quand ce premier travail de médiation met en évidence une souffrance du plaignant ou du fauteur de troubles, la psychologue se déplace à son tour, si possible avec le technicien. Après avoir cerné la problématique de la personne, elle s'efforce de construire ou reconstruire autour d'elle un réseau de partenaires sanitaires et sociaux. Dans l'éventualité d'un refus de sa part, ce qui n'est pas rare en cas de grande souffrance, la psychologue se donne pour priorité d'établir une relation de confiance. « Ainsi, si les intéressés refusent une orientation, je leur propose un accompagnement psychologique, à domicile ou dans un lieu plus neutre, une association, ou bien au service. »

Dans son petit bureau de la rue des Ursules, juste derrière l'hôtel de ville, Bérangère Simonin reçoit donc régulièrement des personnes qui viennent parfois mettre en mots une immense dé- tresse. Quelques rencontres ponctuelles peuvent suffire, qui permettent d'apaiser la personne sans qu'il soit nécessaire d'aller au-delà. « Dans tous les cas, je recherche la plus grande souplesse dans l'accompagnement de la personne, que je peux voir une fois par semaine, ou tous les 15 jours, à son domicile ou ailleurs. » A l'issue de cet accompagnement, soit, assez fréquemment, un relais a pu être trouvé, soit il est nécessaire d'aller plus loin. Bérangère Simonin peut ainsi suivre - de façon exceptionnelle - pendant plusieurs années certaines personnes : « Ce sont des publics en grande souffrance, qui présentent parfois des troubles psychiatriques. Un réel travail de partenariat s'engage alors avec la psychiatrie et les travailleurs sociaux. »

Autre mode d'intervention : le point accueil santé solidarité (PASS) mis en place par la municipalité, qui reçoit les personnes en situation de grande précarité et d'exclusion. Chaque mercredi matin, Bérangère Simonin est mise à la disposition de cet espace d'accueil de jour qui offre la possibilité de prendre un petit déjeuner, une douche, de faire une lessive, de recevoir des soins infirmiers ou de lancer des démarches avec un travailleur social. « J'y suis de façon informelle. Au moment de l'accueil, je me présente systématiquement comme psychologue. En ayant bien à l'esprit que ces publics ont souvent déjà croisé un psy et n'ont pas forcément envie de renouveler l'expérience. » Dans ces conditions, la rencontre n'a pas nécessairement lieu. A moins d'avoir pu, là encore, instaurer une réelle confiance. « Je peux alors m'engager dans l'accompagnement psychologique des personnes, au point accueil santé solidarité ou au service environnement et santé publique, le changement d'endroit pouvant parfois accompagner un mouvement de distanciation par rapport à la rue et le moment où ils décident de faire cet effort. »

Mais, de plus en plus fréquemment, c'est par un tiers que des situations de souffrance sont signalées à la psychologue. Celui-ci peut être un proche, mais aussi un travailleur social. Dans ce dernier cas, la psychologue intervient souvent en dernier recours, quand les autres solutions ont été envisagées : « Soit ces pistes sont caduques car la personne n'a pas voulu donner suite, soit aucune réponse adaptée n'a pu être trouvée, soit encore le travailleur social, plongé dans son rapport à la personne, a besoin de l'intervention du psychologue pour prendre du recul. » Bérangère Simonin reprend l'histoire du travail effectué avec l'individu et analyse avec le travailleur social ce qui le conduit à prendre contact avec elle. Ils inventorient ensuite les nouvelles pistes d'orientation possibles (structures d'écoute et de soins en cas de pathologie psychiatrique, association qui travaille sur le lien social pour répondre à un isolement social, etc.). Lorsqu'une intervention de la psychologue est envisagée, un entretien tripartite peut être organisé pour bien cerner les besoins. « Mon intervention, explique Bérangère Simonin, permet de mettre des mots sur ce qui se vit, notamment auprès de personnes trop en souffrance pour accepter une aide. Elle peut permettre d'aboutir à la formulation de cette demande de soin ou d'aide. » Quel que soit le mode de sollicitation, la psychologue suit bien son fil conducteur : être présente et accessible pour aller au-devant de la personne, afin qu'une demande puisse émerger.

Pas de mélange des genres

Mais si, comme l'attestent des sollicitations de plus en plus nombreuses, le poste a peu à peu acquis une certaine reconnaissance, le recours à la psychologue est loin d'être systématique. « Cette dernière, analyse Thierry Ducornetz, assistant de service social au centre communal d'action sociale  (CCAS) d'Angers, représente un danger dans sa capacité d'un diagnostic clinique direct : c'est la “peur du psy”, ressentie par les usagers comme par les professionnels. » S'il travaille régulièrement avec Bérangère Simonin, explique- t-il, c'est du fait de sa sensibilité personnelle à la psychologie et la psychanalyse. Mais un certain nombre de travailleurs sociaux ne font pas appel à elle. Par crainte d'un mélange des genres ? 

« Pas du tout, répond Thierry Ducornetz. Nous n'avons pas les mêmes missions et nous ne mélangeons pas du tout nos rôles. En outre, nous intervenons plutôt en amont quand Bérangère Simonin intervient au moment des crises. » « En revanche, observe la psychologue, nous croisons nos informations pour aller dans le même sens. » « A aucun moment, insiste Thierry Ducornetz, n'a été inscrite clairement une collaboration effective entre la psychologue et les travailleurs sociaux du CCAS, par exemple. Le projet de “réseau souffrance psychique et précarité”, en cours de lancement sur le Grand-Angers, permettra peut-être d'officialiser auprès des travailleurs sociaux la place de Bérangère Simonin. »

Une place que certains jugent d'ores et déjà indispensable. Ainsi, Nelly Kervazo, éducatrice spécialisée à la direction des interventions sociales et de solidarité, travaille avec Bérangère Simonin dans le cadre de « Naître parent », un ensemble d'actions d'aide à la parentalité. « Elle est un œil extérieur, elle nous apporte tout le recul et l'analyse nécessaires des effets de nos interventions, témoigne celle-ci . La permanence psychologique qu'elle assure dans l'un de nos quartiers offre un espace intermédiaire qui permet aux futurs parents, qui ont souvent eu affaire à des psys, de s'exprimer sans contrainte et sans compte à rendre. »

Reste que la création du poste ne manque pas de susciter certaines interrogations. Gérard Boussin, qui en fut l'initiateur, le reconnaît volontiers. « On a pu mettre en évidence une nouvelle “niche”, l'existence de réels besoins. Certaines villes sont d'ailleurs très intéressées. D'autres, en revanche, manifestent une crainte : celle de faire le boulot des autres, en particulier celui de la psychiatrie, en proposant une aide individuelle. » Quelle légitimité, en effet, une ville peut-elle avoir pour prendre en charge un accompagnement assuré ailleurs par des associations ou d'autres institutions ? « Elles sont effectivement tout autant en capacité de répondre que nous. Mais je pense qu'il existe une pertinence de l'échelon municipal dans ce type d'action, du fait de sa proximité avec les habitants. Celle-ci permet une certaine réactivité et donc la possibilité d'une réponse rapide. » Même conviction chez Bérangère Simonin, pour qui la prise en charge de la souffrance psychique des habitants « a sa place dans une logique de développement durable. Il s'agit là de participer à l'amélioration de la solidarité, de la qualité de vie en ville. »

Convaincus tous deux de la légitimité d'une ville à « interroger les manques » et de sa capacité à apporter une réponse à la détresse de ses habitants, ils estiment « avoir enclenché une dynamique ». Tout en évoquant les échecs auxquels s'est récemment heurté le service - le décès dans la solitude ou dans des circonstances dramatiques de personnes pourtant suivies.  « Certes, les municipalités n'ont pas d'obligations réglementaires en matière de santé publique, conclut Gérard Boussin. Alors, on peut aussi rester assis derrière un bureau. Mais dans la mesure où l'Etat et les départements rencontrent des difficultés à assurer leurs compétences, pourquoi ne pas investir ce champ de proximité ? »

Sandrine Pageau

Notes

(1)  Ville d'Angers - Direction environnement et santé publique : 2 bis, rue des Ursules - 49035 Angers cedex 01 - Tél. 02 41 05 44 18.

(2)  En 2002,34 prises en charges étaient liées aux plaintes de voisinage, 62 à la demande d'un tiers, et 19 prises en charge se sont faites via le point d'accueil santé solidarité.

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