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Navigation à vue pour les chantiers d'insertion

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Le « report » du contrat unique d'insertion et les incertitudes liées à la décentralisation du RMI et à la création du RMA inquiètent fortement les responsables des chantiers d'insertion. Dans quelles conditions pourront-ils demain continuer à accompagner les personnes les plus éloignées de l'emploi et leur remettre le pied à l'étrier ?

Petit dernier des dispositifs du secteur de l'insertion par l'activité économique (IAE), reconnu récemment par la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre l'exclusion, le chantier d'insertion a pour objectif la requalification sociale et professionnelle des personnes les plus en difficulté via une mise en situation de travail. Première étape du parcours d'insertion professionnelle, il offre une porte d'entrée vers une autre structure de l'IAE, une formation, voire, plus rarement, une entreprise classique. C'est « un dispositif central pour l'insertion des personnes les plus éloignées de l'emploi », note le sénateur Bernard Seillier, dans son rapport Pour un contrat d'accompagnement généralisé, remis au Premier ministre en juillet dernier (1). Pourtant, à l'heure de l' « activation des dépenses passives » en matière de lutte contre le chômage, alors que le gouvernement se tourne, y compris pour des personnes en difficulté, vers le « potentiel que recèle l'économie concurrentielle »   (2), son avenir inquiète les acteurs de terrain. Si le dispositif n'est pas remis en cause, l'absence d'orientations claires sur les conditions de sa mise en œuvre crée un climat d'insécurité.

A la différence des autres structures de l'insertion par l'activité économique (entreprises d'insertion, entreprises de travail temporaire d'insertion ou associations intermédiaires), les chantiers d'insertion mènent des activités d'utilité sociale relevant du secteur mixte- les recettes issues de la commercialisation des produits ne pouvant dépasser 30 % des charges. En contrepartie, ils sont habilités à user de contrats emploi-solidarité  (CES) et de contrats emploi consolidé  (CEC). Et bénéficient, compte tenu des caractéristiques de leur public très éloigné de l'emploi, du taux maximal de participation de l'Etat à leur rémunération, à savoir 95 %. En réponse à un réel besoin, les chantiers d'insertion se sont largement développés, ils représentent aujourd'hui plus de la moitié des structures du secteur de l'IAE. Pourtant, force est de constater leur fragilité : « leur existence et leur pérennité reposent essentiellement sur les textes relatifs au statut et au financement des CES-CEC », comme le pointe le cabinet SILOE dans sa note de synthèse adressée à la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle  (DGEFP) en août 2002 (3). Or, en la matière, l'Etat souffle le chaud et le froid. D'un côté, il accepte de recentrer les CES-CEC vers les publics les plus en difficulté et de maintenir un taux de financement élevé pour les contrats aidés des chantiers d'insertion. De l'autre, il tente de revoir à la baisse le nombre de ces contrats, les attribue de façon variable d'un département à l'autre et n'accorde qu'exceptionnellement leur renouvellement jusqu'à 24 mois.

De ce fait, le contrat unique d'insertion  (CUI) proposé par Bernard Seillier, puis inscrit dans les orientations du plan national d'action pour l'inclusion sociale (PNAi) déposé auprès de la Commission européenne en juin 2003, répondait largement aux attentes des acteurs des chantiers d'insertion. Il devait remplacer, en les simplifiant, les CES et CEC, qui pêchent, notamment, par l'insuffisance des actions d'accompagnement, un financement de la formation très faible et l'absence d'une retraite complémentaire. Le CUI - « plus souple, permettant un suivi individualisé et adapté de chaque bénéficiaire dans son parcours d'accès ou de retour vers l'emploi », selon le rapport Seillier - aurait par ailleurs fait de l'accompagnement un des éléments constitutifs du contrat. En effet, en contrepartie d'une diminution modulée du taux de prise en charge par l'Etat (entre 65 % et 85 %), le sénateur proposait « un financement forfaitaire [...] pour les actions de formation et d'accompagnement ». Autrement dit, les chantiers d'insertion se voyaient offrir une aide structurelle, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les autres structures de l'insertion par l'activité économique, qui aurait permis de financer la formation et l'encadrement des bénéficiaires. Cette aide aurait, en outre, permis d'ouvrir les chantiers d'insertion à un public plus large, les moins de 25 ans notamment, qui sont pour l'heure délaissés au profit des titulaires du revenu minimum d'insertion  (RMI) (plus de 70 % des bénéficiaires) dont l'accompagnement est, lui, financé par les conseils généraux.

LA MISE AU TRAVAIL DE PERSONNES EN DIFFICULTÉ

Il n'existe aucune définition administrative des chantiers d'insertion. C'est la loi relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 qui fait pour la première fois référence aux « chantiers-écoles » dans son article 18. Il faut attendre la circulaire du 26 mars 1999 de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle pour que soient évoqués les chantiers d'insertion : « Les formules type chantiers d'insertion ne correspondent pas davantage à des dispositions législatives ou réglementaires, mais couvrent des initiatives locales multiformes souvent mises en œuvre à l'initiative des conseils généraux ou des communes. Leur objectif est la mise en situation de travail de personnes généralement de faible niveau de qualification et en situation d'exclusion sociale et professionnelle, dans le cadre d'activités telles que la restauration du patrimoine collectif naturel ou bâti. Ces activités doivent se développer dans le champ de besoins collectifs non satisfaits. Les chantiers visés ci-dessus exercent leur activité économique en recourant à des mesures d'insertion diverses, essentiellement les contrats en alternance et les contrats de type CES ou CEC. Ce n'est que dans le cas de recours à des CES ou CEC que s'impose le conventionnement au titre de l'insertion par l'activité économique et le recrutement de personnes agréées par l'ANPE. » Le cabinet SILOE, auteur d'une étude nationale sur les chantiers d'insertion, en a retenu la définition suivante, reprise par le sénateur Seillier dans son rapport : « Action visant à accompagner de manière spécifique, dans un cadre permanent ou ponctuel, un groupe de personnes en difficulté sous statut aidé (CES-CEC), quelle que soit la nature de l'activité (production de biens ou services), avec un objectif d'insertion, la production étant le support de l'insertion.  

Priorité au RMA

Or, le contrat unique d'insertion, au centre de la « systématisation de l'accompagnement » préconisée par le rapport Seillier, a disparu de la loi de finances 2004. Est-il simplement ajourné par le gouvernement ou définitivement mis à la trappe ? « Personne ne sait ce qui va se passer », analyse Anne Poulain, chargée de mission emploi à la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale  (FNARS). « Nous sommes très très inquiets, avoue Marion Lecam, directrice adjointe de la Fédération Coorace. D'autant que, d'après les premières remontées de terrain, certaines directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle bloquent tout accès aux CES dans l'attente de consignes officielles. » A tel point que, dans les couloirs du colloque organisé le 24 octobre dernier par différents acteurs des chantiers d'insertion (4), une question était sur (presque) toutes les lèvres : « Vous y arrivez, vous, à boucler votre budget ? » De fait, dans celui que l'Etat envisage de consacrer à l'emploi en 2004, la somme versée aux dispositifs d'aide aux publics en difficulté « enregistre une baisse de 11,5 % par rapport à 2003 », notamment du fait de la diminution du nombre de CES et CEC, explique la FNARS (5). D'où le paradoxe actuel qui conduit les réseaux associatifs (6) à revendiquer le maintien du nombre de CES-CEC alors même qu'ils travaillent à l'abrogation de ces deux contrats aidés depuis près d'un an en lien avec la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle. « Nous restons dans la navigation à vue », déplore Didier Piard, chargé de l'emploi à la FNARS, qui compte sur le budget rectificatif voté à l'issue du premier semestre 2004 pour rétablir un nombre suffisant de contrats aidés, comme cela a été le cas en 2003. Dans les administrations, on assure néanmoins que c'est par souci de cohérence, afin de mieux l'articuler avec le futur revenu minimum d'activité (RMA), que le contrat unique d'insertion est « reporté de quelques mois », comme l'a affirmé Nicole Da Costa, chargée de mission insertion professionnelle à la DGEFP, lors du colloque du 24 octobre. Dans l'entourage de François Fillon, on ne cache pas pourtant que la priorité est désormais au RMA. Pourquoi, dans ces conditions, le gouvernement s'encombrerait-il d'un contrat unique d'insertion ?

Reste que le projet de loi - qui doit être adopté définitivement avant la fin de l'année - portant sur la décentralisation en matière de RMI et créant un RMA suscite également les inquiétudes des acteurs des chantiers d'insertion. En effet, le RMA ne prévoit aucune obligation stricte de suivi et de formation de la part de l'employeur, lequel, contrairement aux chantiers d'insertion, peut appartenir au secteur marchand. En outre, ce dispositif sera géré entièrement par les conseils généraux. « Il va s'agir de prendre en compte un nouveau cadre institutionnel, expliquait Nicole Da Costa le 24 octobre. Dans ce contexte, les chantiers d'insertion vont devoir s'articuler avec, d'une part, les conseils généraux et, d'autre part, les services de l'Etat dans le cadre de l'insertion par l'activité économique. Demain, les chantiers d'insertion seront susceptibles d'employer des titulaires du RMI par le biais du RMA. Il s'agira pour eux d'utiliser cette opportunité pour montrer aux conseils généraux leur spécificité en matière d'accompagnement et leur capacité à se mobiliser autour de l'insertion. » « C'est un marché de dupes, dénonce pourtant Didier Piard. A travers le RMA, nous avons en effet l'impression que l'Etat se désengage de l'IAE, en tout cas du secteur de l'utilité sociale et des personnes les plus éloignées de l'emploi. » «Tout dépendra de l'esprit de la loi, tempère Jean- Guy Henckel, directeur du Réseau Cocagne. Mais s'il s'agit, à travers le RMA, de verser une allocation en échange d'un travail obligatoire en oubliant la dimension insertion, il y aurait une dérive, contraire à la philosophie du RMI. »

Seules notes positives dans cet océan d'incertitudes : d'une part, les acteurs des chantiers d'insertion et la DGEFP continueront à réfléchir ensemble, dans les prochains mois, à la place des chantiers d'insertion au sein de l'IAE dans le cadre du Comité national de suivi du secteur mixte qui tiendra sa prochaine réunion en décembre. Le dialogue n'est donc pas coupé. D'autre part, la procédure d'agrément par l'ANPE des personnes recrutées dans le champ de l'insertion par l'activité économique a été aménagée (7). Plus souple, l'agrément tient dorénavant compte des ruptures dans le parcours d'insertion des personnes, ce qui était une des revendications des réseaux associatifs, et il favorise le partenariat local entre tous les acteurs.

Cela étant, il est difficile de présager de la redistribution des cartes en matière d'insertion attendue pour l'année prochaine. D'ici là, les acteurs de terrain, qui peuvent légitimement avoir le sentiment d'avoir été trompés sur le CUI, devront malgré tout assurer la confiance et la stabilité nécessaires aux bénéficiaires des chantiers d'insertion. Par-delà les incertitudes, Martine Théaudière, présidente de l'association Chantier-école, a conclu le colloque du 24 octobre par un appel à la vigilance « afin de continuer à mettre les dispositifs au service des personnes, quelles que soient les évolutions qui auront lieu en 2004 ».

Caroline Dinet

Notes

(1)  Voir ASH n° 2323 du 5-09-03 .

(2)  François Fillon, lors de son discours du 4 mars 2003 devant le Conseil national de l'insertion par l'activité économique.

(3)  Selon le cabinet SILOE, 2 294 chantiers ont accueilli plus de 39 000 personnes (34 000 en CES, 5 000 en CEC) en 2001 - Voir ASH n° 2290 du 20-12-02.

(4)  Sur le thème « L'accompagnement en chantier (s)  », organisé par le Réseau Cocagne, Chantier-école et Tissons la solidarité, au ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité.

(5)  Le nombre de CES subit une baisse de 30 % (170 000 au lieu de 240 000 en 2003), celui des CEC de 40 % (15 000 contre 25 000 en 2003), sachant que le gouvernement n'exclut pas des ajustements.

(6)  Notamment la FNARS, Chantier-école, la Fédération Coorace, le Comité national de liaison des régies de quartier, le Réseau Cocagne.

(7)  Voir ASH n° 2328 du 10-10-03.

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