Recevoir la newsletter

Tricoter le soin et l'éducation au service de l'enfant dérangeant

Article réservé aux abonnés

Parce que les enfants difficiles et violents sont aussi en grande souffrance, les instituts de rééducation s'efforcent de leur apporter une réponse à la fois éducative et thérapeutique. Trop longtemps ignoré, ce savoir-faire commence, enfin, à obtenir un début de reconnaissance.

« Il y a des jeunes qui posent des actes sur un mode délictueux et, pour eux, il faut une sanction. Mais il y en a aussi qui présentent des difficultés psychologiques graves. Au-delà du répressif et de l'éducatif, existe la dimension du soin, aujourd'hui occultée. » Lionel Deniau, président de l'Association des instituts de rééducation (AIRe)   (1) tente depuis de nombreuses années de faire comprendre aux différents gouvernements l'intérêt de ces établissements : parce qu'ils offrent une prise en charge axée sur le soin, ils peuvent apporter une réponse aux difficultés de socialisation, d'apprentissage et de comportements violents de certains jeunes. Une cause difficile à défendre, tant ces institutions, de l'avis même de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) formulé en 1999, « représentent le secteur le moins connu et le moins piloté de la politique de l'enfance, alors même que l'acuité, la difficulté et l'ampleur des problèmes qu'il révèle devraient en faire une priorité »   (2).

Il semblerait néanmoins que l'horizon soit en train de s'éclaircir pour ces établissements, puisque l'AIRe a, enfin, obtenu l'assurance d'avoir une place spécifique reconnue au sein du secteur médico-social grâce à l'introduction d'une nouvelle annexe au décret du 27 octobre 1989 (voir encadré). Une façon de reconnaître et de mettre en valeur le savoir-faire souvent méconnu d'établissements qui, malgré leur diversité et leur hétérogénéité, partagent plusieurs points communs.

 Premier d'entre eux : le public. Ces institutions médico-sociales accueillent des enfants et/ou des adolescents souffrant de troubles de la conduite et du comportement, après notification de la commission départementale de l'éducation spéciale (CDES) et à la demande des parents. Reconnus « d'intelligence normale », ces jeunes éprouvent des difficultés psychiques qui les plongent dans une grande souffrance, les poussent à poser des actes dérangeants pour leur environnement, altèrent leur accès à la socialisation et aux apprentissages. C'est d'ailleurs en général l'école qui tire la sonnette d'alarme. « Ces enfants et adolescents difficiles, à tel point inclassables psychologiquement qu'ils deviennent incasables socialement »   (3) sont « en situation passagère de handicap et nécessitent des soins », défend Lionel Deniau.

Deuxième point commun aux instituts de rééducation  (IR)  : le fond de leur prise en charge, dite en triptyque, car elle s'appuie sur trois axes, thérapeutique, éducatif et scolaire. « C'est leur articulation dans le cadre d'une responsabilité d'ensemble unique qui caractérise les IR et leur confère un caractère soignant », résume Serge Heuzé, secrétaire général de l'AIRe. Cette articulation implique un travail interdisciplinaire coordonné au sein de l'institution et, de plus en plus, mené en partenariat (Education nationale, aide sociale à l'enfance, pédopsychiatrie, justice). Autre particularité : les IR favorisent une distanciation à l'égard de l'environnement problématique : école, quartier, famille. L'alliance avec les parents, souvent à bout, est néanmoins recherchée afin qu'ils accompagnent la dynamique du projet du jeune, pris en charge pendant environ trois ans.

Sur ces bases, les instituts de rééducation ont conçu et expérimenté des réponses différentes et, de fait, déclinent une palette de singularités. Lesquelles permettent, ou du moins devraient idéalement permettre, par le jeu des complémentarités, que chaque enfant, ou famille, trouve une réponse adaptée. Quel que soit le projet, le défi reste cependant le même : réussir à tricoter ensemble interventions éducatives et thérapeutiques, et qu'à terme le jeune retrouve une vie « normale ».

Responsabiliser les enfants

A l'institut de rééducation des Rochers à Châteaubourg (Ille-et-Vilaine), qui accueille, pour trois ans, une quarantaine d'enfants âgés de 6 à 11 ans à leur arrivée, on mise sur l'internat. La première année, il est, chose rare, obligatoire du lundi matin au samedi midi. « Cette distanciation permet aux parents de réaliser qu'ils étaient en grande souffrance et de souffler, et, à l'enfant, de nouer des relations sur un mode différent, justifie Michèle Neven, psychologue et responsable thérapeutique. Plus le temps de présence ici est important, plus on touche à des choses essentielles du fonctionnement de l'enfant. » Dès la deuxième année, l'institut procède au retour progressif dans la famille via un internat modulé, voire un semi-internat. Cet aménagement fait partie du projet et se négocie, le principe étant de responsabiliser les enfants en les rendant acteurs de leur prise en charge.

Répartis en trois groupes, les enfants bénéficient du soutien de trois éducateurs et d'une maîtresse de maison. Au travers des activités du quotidien, ils font l'apprentissage de la vie sociale. « Dès le premier jour, on leur explique que c'est l'adulte qui commande. Certains n'en reviennent pas ! », affirme Lionel Deniau, qui est aussi directeur de l'IR. Pour Michèle Neven, « la relation parent-enfant ne marche pas. Les parents, quel que soit le milieu, sont dans l'incapacité de poser des barrières. » Ce qui insécurise les enfants, dont beaucoup ont connu des ruptures. « Avoir des règles et des rythmes les rassure, témoigne Christiane Bernard, maîtresse de maison. Au début de la première année, ils se supportent peu ; à la fin, ils s'écoutent plus et le groupe fonctionne. » Le travail sur le collectif se double d'un accompagnement individualisé. Chaque enfant a un éducateur répondant. Son rôle : l'aider à accepter son sort, dépasser ses résistances et ses difficultés, supporter les frustrations. Toute transgression est reprise. « On ne diffère pas la gestion des conflits. Le principe avec ces enfants très réactifs est “on se pose et on décortique ce qui s'est passé” », précise Morgan Euzenat, éducateur spécialisé.

Lever la résistance des familles

Aux Rochers, tous les enfants doivent être suivis, que ce soit sous la forme de psychothérapies individuelles, de groupes thérapeutiques, de thérapies psychomotrices... « A nous de trouver ce qui marchera, résume Michèle Neven. Nous recourons à des psychothérapeutes de formation et d'âge différents, à des psychologues comme à des psychiatres, afin que l'enfant trouve la personne avec qui il sera en confiance. Nous travaillons aussi beaucoup sur le corps. » Les parents sont reçus régulièrement par le répondant de l'enfant. « Ici, la place de l'éducateur auprès des familles est importante. Nous échangeons sur sa situation à la maison et sur le groupe », explique Morgan Euzenat pour qui le frein majeur au travail est « la résistance des familles. Certaines se sentent considérées comme de mauvais parents et ont du mal à venir. »

Pour mettre en œuvre l'axe pédagogique, l'institut de rééducation dispose de plusieurs classes. Fâchés avec l'école, ces enfants instables arrivent avec des connaissances éparpillées et partagent une peur d'apprendre. « Apprendre nécessite de risquer, de dire “je ne sais pas”, de rater sans se sentir intégralement remis en cause. Or ces enfants sont dans un tel sentiment de toute-puissance qu'ils n'y parviennent pas », analyse la psychologue. Cela signifie aussi admettre que quelqu'un sache plus que soi et, partant, accepter l'autorité de l'adulte. Le but est donc de « les aider à passer du statut d'enfant à celui d'écolier pour que, dès que possible, ils réintègrent le circuit scolaire ordinaire ». D'abord sous la responsabilité de l'IR et avec un soutien le soir, puis totalement.

Les nouveaux sont répartis dans deux classes pour un temps d'observation. Seule obligation : suivre une heure de cours par jour, le reste du temps est consacré à des activités manuelles ou d'expression. A Noël, ils passent les tests de l'Education nationale et rejoignent une classe de leur niveau. La difficulté est alors de s'adapter à chacun. « Il faut jauger quand l'enfant est capable d'apprendre et quand il vaut mieux lever le pied pour le laisser se stabiliser », explique Sébastien Auzou, professeur des écoles en disponibilité. L'autre défi est de former un groupe-classe avec ces six ou sept élèves « aux comportements hors normes » et aux emplois du temps individualisés (orthophonie, ateliers...). Enfin, il s'agit de développer la confiance en soi. « Etre exclu du système scolaire est violent, aussi les enfants ont souvent d'eux une image négative. Il faut leur montrer qu'ils sont intelligents et capables, leur redonner espoir en soulignant chaque petite victoire. En IR, l'enseignant a une grosse part d'éducatif. »

Parce que la qualité du travail d'équipe est l'une des clés du succès, éducateurs, instituteurs, psychologues... échangent régulièrement, lors de moments informels, à l'occasion d'un conflit avec un enfant, au moyen des écrits, ou encore lors de réunions de synthèse trimestrielles réunissant les adultes concernés par l'enfant et permettant d'ajuster son projet (retour à la maison en milieu de semaine, séances d'art-thérapie...). En outre, souligne Sébastien Auzou, « le travail d'équipe permet de montrer aux enfants la cohérence des adultes ». Cette cohésion est d'autant plus utile qu'ils n'ont de cesse de les tester afin de « vérifier s'ils seront assez forts pour les empêcher de se mettre en danger », analyse Lionel Deniau. Mais pour que ce travail se réalise, encore faut-il que l'Education nationale joue le jeu. « Trouver des instituteurs capables de fonctionner en réseau, de participer aux soins tout en tenant leur rôle est compliqué », estime le président de l'AIRe, qui déplore le manque de perméabilité entre l'Education nationale et les IR, en termes de formation, de validation des acquis, d'échange des pratiques. Un manque de perméabilité d'ailleurs valable pour les élèves, dont la réintégration se révèle délicate. L'AIRe défend à ce titre l'idée de maintenir l'enfant inscrit dans son école (4) et, à partir de là, de « réfléchir à un réel travail de partenariat » favorisant « un aller-retour entre le milieu spécialisé et le milieu ordinaire selon l'évolution des difficultés de l'enfant ».

Pour faciliter ce passage, l'institut de rééducation de la Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence des Mureaux (Yvelines) développe, depuis son ouverture il y a deux ans, un dispositif original avec l'Education nationale. Fonctionnant en semi-internat, il a choisi d'implanter une classe au sein d'un groupe scolaire de la ville. Une institutrice spécialisée détachée de l'Education nationale et deux éducatrices spécialisées prennent en charge, dans des salles spécifiques, dix enfants de 6 à 12 ans qui partagent les rythmes de l'établissement :récréations, cantine... Chacun a un programme adapté à ses capacités d'attention. Un système voisin permet à dix autres enfants d'étudier, à Meulan (Yvelines), dans une classe d'insertion scolaire  (CLIS). Sa responsabilité revient alors à l'Education nationale et les enfants sont inscrits dans le groupe scolaire. L'IR n'intervient que pour le soin. « Avec ces formules, défend Maggy Le Naour, directrice adjointe de l'IR, les enfants gardent un pied dans l'école, même si, au début, certains y passent peu de temps. Ce lien permanent avec le système normal facilite leur intégration. »  Si le principe d'intégration fait partie du projet initial de la CLIS les intégrations aux Mureaux sont plus le fruit d'un travail relationnel entre professionnels sur le terrain. Intéressante, la formule reste toutefois, pour Maggy Le Naour, « un exercice de haute voltige, car les problèmes sont récurrents. L'institution scolaire accepte mal les troubles et l'agressivité de ces enfants qu'elle a exclus et qui perturbent son fonctionnement. Nous avons des logiques différentes, qui se crispent. » D'autant que l'école des Mureaux se situe déjà dans un quartier difficile. Néanmoins, des progrès se font jour et, se réjouit-elle, « les équipes pédagogiques se sont bien ouvertes. Ce dispositif exige beaucoup de bonne volonté de toutes parts, un effort permanent de communication, une forte présence. Il faut montrer que, derrière, toute une équipe travaille. »

Le volet purement thérapeutique est assuré sur un autre lieu. « Nous avons tenté de faire intervenir l'équipe de rééducation dans l'école mais cela générait de la confusion chez l'enfant. Un chauffeur assure donc les allers et retours. » Pour les parents, le fonctionnement de l'IR est parfois aussi perturbant. Certains « oublient » que leur enfant, qui n'est pas mis à l'écart, relève d'une institution médico-sociale et qu'ils doivent coopérer aux soins, rencontrer des éducateurs, des psychologues.

Pour élargir sa palette de réponses et agir plus en amont, l'IR s'est aussi doté d'un service de soins spécialisés à domicile  (Sessad) et suit 20 enfants pouvant encore rester dans leur classe d'origine. « Un éducateur rencontre l'enfant à l'école pour travailler sur ses passages à l'acte et recréer du lien entre lui, l'instituteur et la famille. Il est en outre suivi en rééducation à l'IR », rappelle Maggy Le Naour. Enfin, l'IR a ouvert un centre d'accueil familial spécialisé  (CAFS), offrant à des enfants d'être reçus dans des familles pour un temps de séparation salutaire. Ce service peine toutefois à monter en puissance. « Les parents accepteraient souvent plus aisément un internat qu'une famille et la CDES a du mal à orienter vers ce type d'accueil, analyse Maggy Le Naour. Pourtant, cette formule, si elle est bien menée, avec des familles formées, est intéressante. Elle a permis à des enfants, dont certains supportent mal la collectivité, d'évoluer vite. » Selon les résultats du CAFS, l'IR décidera ou non d'ouvrir l'internat prévu dans son projet initial.

AVOIR UNE PLACE RECONNUE DANS LE MÉDICO-SOCIAL

Inscrits dans l'annexe XXIV du décret du 27 octobre 1989 relative aux « enfants et adolescents présentant des déficiences intellectuelles ou inadaptés », les instituts de rééducation  (IR) ont reçu l'assurance de Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, qu'une annexe spécifique aux jeunes souffrant de troubles de la conduite et du comportement verrait le jour avant la fin 2003 (4). Une évolution fortement réclamée par l'Association des instituts de rééducation (AIRe) qui regroupe plus de la moitié des IR. Créée en 1996, l'association milite en effet pour la reconnaissance de son public et la défense de la spécificité de sa prise en charge en triptyque. Pour elle, la place des IR « est clairement dans le médico-social, auprès des centres médico-psycho-pédagogiques et des centres d'action médico-sociale précoce dans les annexes XXX et distinguée dans le champ du handicap ». Soit dans une annexe XXXIV. Sous l'égide de la direction générale de l'action sociale  (DGAS), un groupe de travail a été formé. S'y réunissent, avec l'AIRe, des représentants des ministères de la Santé, de l'Education nationale, de la Justice, de conseils généraux, de la psychiatrie et des familles. Pour Serge Heuzé, secrétaire général, « la tâche est complexe car la rédaction d'un nouveau texte peut avoir des incidences sur les autres annexes. Aujourd'hui, nous avons de riches discussions allant du pouvoir du juge des enfants quant à l'admission en IR aux liens entre pédo-psychiatrie et IR, du fonctionnement des commissions actuelles (CDES) à l'articulation des alternatives à l'IR. Enfin, conscients que nous ne définirons pas notre public par une nosographie médicale, nous tentons d'affiner les complémentarités entre les dispositifs en nous interrogeant, par exemple, sur ce qu'est un CMP ou un hôpital de jour et en quoi s'en distingue un IR, en internat. »

L'AIRe, qui a rejoint le Conseil national consultatif des personnes handicapées, attend maintes avancées. Tout d'abord, en matière d'orientation. « Nous souhaitons qu'un travail en réseau soit effectué. Notamment, nous proposons le remplacement des CDES par une commission technique collégiale, regroupant les partenaires intéressés, afin de déterminer ensemble au regard du parcours de l'enfant quel serait le meilleur accompagnement », explique le président Lionel Deniau. Ensuite, le repérage doit être amélioré. « Souvent, témoigne Serge Heuzé, l'orientation ne se fait pas à point nommé, elle est trop tardive. » Ce qui handicape la réussite du projet. « Nos établissements sont souvent mal connus et il reste des représentations erronées », reprend Lionel Deniau, qui compte beaucoup sur le changement d'intitulé des IR pour en restaurer l'image. Ils pourraient ainsi devenir des « instituts thérapeutiques, éducatifs et scolaires » (ITES). L'AIRe appelle aussi à la création de passerelles pour favoriser les échanges entre professionnels et faciliter un dépistage précoce. Du côté des moyens, les revendications sont vives. Outre la création d'un IR par département et le rééquilibrage géographique des places, l'AIRe demande la révision des taux d'encadrement et défend un ratio de un adulte pour quatre enfants ou trois adolescents. « Il manque des instituteurs spécialisés, des psychiatres, des psychologues... Dans certains IR, les ratios sont délirants et cela nuit à la prise en charge. Ce qui peut arrêter ces jeunes, angoissés, ce ne sont pas des grilles mais des murs humains », s'enflamme Lionel Deniau. Le délicat travail avec les familles notamment s'en trouverait amélioré. Les IR éprouvent de plus de difficultés à recruter des éducateurs spécialisés. Aussi l'AIRe plaide-t-elle pour l'instauration d'une qualification à l'issue du diplôme d'Etat, qui permettrait aux professionnels d'être préparés au travail en IR et leur ouvrirait le droit à une meilleure rémunération. Enfin, elle voudrait que les instituts bénéficient d'une ligne budgétaire pour la supervision ou l'analyse de la pratique. « Ces jeunes ont une hypersensibilité de ce qu'est l'autre, ils l'agressent dans ce qu'ils sentent de plus fragile. L'adulte en face doit tenir et ne pas répondre sur le même mode. Pour cela, il faut pouvoir prendre du recul et un contrôle est nécessaire », estime Lionel Deniau. Et de compléter : « Les pouvoirs publics doivent comprendre que ça vaut le coup d'investir quelque 53 000  par an, pendant trois ans, sur un gamin. Si on ne le fait pas, cela finira par coûter bien plus cher , en psychiatrie, voire en prison. » Sans compter le désastre humain.

F. R.

Considérer qu'un institut de rééducation est un « lieu de passage » et qu'il doit viser la réintégration scolaire ne convainc cependant pas tous les acteurs. Ainsi, si pour Dominique Droulout, directrice de l'IR d'Arnouville-les- Gonesse (Val-d'Oise), la formule vaut pour les plus petits, elle ne convient guère à son public : les adolescents. « Lorsqu'ils arrivent ici, les jeunes ont au moins 12 ans et deux ou trois ans de retard dans leur parcours scolaire. Plusieurs années seront nécessaires pour qu'ils reprennent le fil de leurs acquisitions. A 15 ou 16 ans, la réintégration au collège ne peut plus être un objectif réaliste », explique-t-elle. L'IR d'Arnouville préfère donc miser sur les formations professionnelles qualifiantes internes ou externes, qui sont « des parcours de promotion sociale et sont valorisantes. L'IR doit pouvoir permettre à tous les adolescents arrivant en fin de scolarité obligatoire de faire un choix adapté à leurs aspirations et à leurs capacités. » Cet établissement de l'Entraide universitaire prépare ainsi à deux CAP agricoles : production horticole et travaux paysagers.

Utiliser les travaux de groupe

L'institut accueille une cinquantaine d'adolescent (e) s, en général pour cinq ans,  dans un château du XVIIIe siècle qu'entoure un magnifique parc de 23 hectares. Plusieurs formules coexistent : internat de semaine, semi-internat, familles d'accueil..., le choix s'effectue sur indication médicale. Les jeunes intègrent un groupe d'âge qui bénéficie d'un espace de vie et d'une équipe éducative. « Au début, ils sont un peu écorchés vifs. Notre rôle est de les amener à avoir plus confiance en eux, à respecter les règles et à poser des mots à la place des coups. Pour cela, nous utilisons beaucoup les travaux de groupe. Il s'agit d'employer les compétences de chacun pour faire une production commune. Quand on a besoin de son voisin, on est un peu plus tenté d'en faire un allié qu'un ennemi... », résume Sophie Groh, éducatrice spécialisée. En filigrane, il y a cette idée que l'on a à apprendre de l'autre, mais aussi que l'on a à se découvrir. Le cadre naturel de l'IR est pleinement exploité. « La nature est une excellente médiation, estime l'éducatrice. Si l'on veut des tomates dans six mois, il y a des contraintes incontournables. Il faut donc apprendre à s'y soumettre. Mais après, on peut en tirer du plaisir et de la fierté. » Les transferts constituent aussi des temps forts du projet. Autonomie, responsabilisation, dépassement de soi, ouverture aux autres... y sont travaillés via maintes activités : sports de l'extrême, radio, soins aux animaux, camping...

Les jeunes ne sont pas tous pris en charge individuellement en consultation médico-psychologique ou en thérapie, car certains n'y sont pas prêts. « Néanmoins, assure la directrice, grâce à la présence importante d'une équipe médico-psychologique, un travail dit thérapeutique institutionnel peut s'effectuer. Par exemple, une fois par semaine, des groupes de parole réunissent psychiatre, jeunes et éducateurs. » Avec les parents, l'équipe - qui compte une assistante sociale - tente d'obtenir « l'alliance thérapeutique ». « Si les familles n'adhèrent pas un minimum au projet, le jeune ne s'autorisera pas à investir le lieu », observe l'éducatrice. « Sans être intrusif ni insistant, nous veillons à maintenir les liens », souligne la directrice. Cela passe au moins par une rencontre trimestrielle avec le psychiatre et la venue à la présentation du projet du groupe du jeune. Mais l'IR tente aussi de réunir de temps à autre les parents pour leur permettre d'échanger sur leurs enfants. Les éducateurs se tiennent, en tout cas ici, à distance des familles. « Nous évitons la relation directe avec eux pour protéger l'espace des jeunes et garder leur confiance », justifie Sophie Groh.

La prise en charge pédagogique comprend deux cycles. Durant le premier, de deux ans, instituteurs spécialisés et éducateurs techniques cherchent à réconcilier les jeunes avec l'école et à les amener à maîtriser les savoirs de base. Ils ont recours à des pédagogies interactives et à des approches expérimentales. Notamment, un long travail est mené autour du brevet de sécurité routière. Ensuite, les jeunes se retrouvent en troisième préparatoire, classe à orientation préprofessionnelle en horticulture, qui leur donne un niveau reconnu de troisième. Lorsqu'ils entament le second cycle, consacré au CAP, ils ont déjà réglé certains problèmes et maîtrisent mieux leur impulsivité. La première année, un examen blanc est organisé de façon rituelle. Puis vient l'heure de l'examen national, suscitant bien des angoisses. Cette année, l'IR peut se vanter de sa réussite : sept jeunes sur sept ont été reçus. « Tous parviennent ensuite à trouver du travail », assure la directrice. Pour autant, certains poursuivent leurs études, en vue d'obtenir un BEP, voire un bac pro, ou se lancer dans une autre branche. « Même si l'horticulture n'est pas leur vocation, beaucoup font la formation jusqu'au bout et nous les y encourageons. Ici, ils sont en effet dans de bonnes conditions pour obtenir un CAP qui, en tant que diplôme de niveau V, leur donne un bagage et leur ouvre d'autres formations. »

Souplesse et individualisation obligent, la prise en charge continue parfois au-delà ou prend d'autres formes. Ainsi une adolescente a demandé à rester et à préparer un CAP de fleuriste. « Elle ne souhaitait pas travailler en horticulture. Elle préparera donc ce CAP à l'extérieur, grâce à un partenariat avec un professeur d'art floral, mais à partir d'ici, ce qui permettra de maintenir sa thérapie et l'encadrement éducatif dont elle a besoin », explique la directrice. Un autre jeune a pu, quant à lui, préparer un CAP de boulangerie grâce à un partenariat avec le centre de formation des apprentis local, à un patron très investi et au soutien permanent de l'IR. Le travail en réseau est en effet privilégié. « Il est essentiel, estime la responsable, qu'un IR ne s'isole pas et s'ouvre à son environnement. Mais encore faut-il que ce dernier l'accepte. Ici, longtemps, nous avons été “le château des fous” ! » En coopération avec un collège, l'IR réalise des intégrations partielles : des jeunes y suivent les disciplines où ils excellent. Par ailleurs, des classes maternelles viennent au château pour y chercher des plantes et apprendre l'empotage auprès des grands ou encore des fleuristes pour acheter les productions des élèves.

Comme tout institut de rééducation, Arnouville a l'obligation de suivre les jeunes durant trois ans après leur sortie. « Nous avons des relations avec les anciens mais nous veillons à ne pas créer de dépendances nocives, souligne Dominique Droulout. Il est bon néanmoins qu'ils sachent qu'ils peuvent trouver un soutien s'ils trébuchent. » Mais beaucoup reviennent aussi pour partager une joie : un premier contrat, l'achat d'une voiture... « Si les jeunes se saisissent de ce qui leur est proposé, l'IR peut avoir des effets très bénéfiques et ils retrouvent une vraie place dans la société. Bien sûr, il y a des échecs... », témoigne Sophie Groh. Sur le plan national, rappelle l'inspection générale des affaires sociales, « près de 30 % des enfants rejoignent l'Education nationale, près de 35 %vont dans un autre établissement d'éducation spéciale (établissement pour déficients intellectuels : 19,3 %, ou un autre institut de rééducation : 15,2 %), 10 % en formation ou en stage, 8,5 % vers le milieu ordinaire (4,3 % vers une demande d'emploi et 4,2 % vers un emploi), 2,2 % en hospitalisation et environ 1,5 % vers le milieu de travail protégé ».

Florence Raynal

Notes

(1)  AIRe : 17, rue Mgr-Millaux - BP 40 - 35221 Châteaubourg - Tél. 02 99 04 69 55 - www.aire-asso.com.

(2)  Voir ASH n° 2141 du 12-11-99.

(3)  Comme l'écrit Claude Wacjman, in Les adolescents en institut de rééducation - Ed. Dunod, 2002. Voir ASH n° 2274 du 30-08-02.

(4)  Voir ASH n° 2289 du 13-12-02.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur