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« La psychiatrie en prison, symptôme du malaise de la profession »

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Psychiatre à la maison d'arrêt de Saint-Brieuc après avoir implanté le service médico-psychologique régional de la prison de Châteauroux (Indre) en 1998, Philippe Carrière a apporté son témoignage lors de la présentation du rapport 2003 de l'Observatoire international des prisons  (OIP) sur les conditions de détention. Il explique pourquoi, selon lui, l'évolution de la prise en charge de la santé mentale des détenus, notamment par la création d'unités sécurisées dans les hôpitaux, est inquiétante.
Le nombre de malades psychiatriques en prison augmente. Comment analysez-vous la situation ?

Une étude de 2002 évalue à 55 % le taux de personnes présentant un trouble psychiatrique en milieu carcéral, dont 8 % de psychotiques (1). Les accusés sont de moins en moins déclarés irresponsables pénalement : en 20 ans, on est passé de 16 % à 0,17 % d'instructions non poursuivies en application de l'article 122.1 du code pénal ! Mais ces cas relèvent d'expertises demandées en cour d'assises, qui ne concernent pas la majorité des malades. Le plus souvent, ils ont été condamnés pour de petits délits et leur maladie n'a pas été repérée par les magistrats. Dans le même temps, alors que disparaît l'aspect de contention de la psychiatrie, une bonne partie des professionnels n'est pas mécontente de laisser la charge de certains de ses patients au milieu carcéral. Certains courants de pensée psychanalytiques considèrent en outre le « droit à la prison » comme un droit commun et l'incarcération comme un acte de réinsertion. Mais ce qui peut se vérifier pour certaines névroses est discutable pour les psychotiques, qui ne perçoivent pas la réalité telle qu'elle est.

Vous critiquez fortement les unités spécialement aménagées en milieu hospitalier prévues par la loi Perben, dont la première devrait ouvrir début 2004. Pourquoi ?

Les services médico-psychologiques régionaux (SMPR) ont essentiellement pour mission d'agir auprès des patients qui le demandent. Lorsque le patient a une pathologie lourde et qu'il n'est pas apte à donner son consentement, le SMPR ne peut plus intervenir. Le médecin doit déclarer que son état n'est pas compatible avec l'incarcération et le directeur le signale au préfet qui peut prendre un arrêté d'hospitalisation d'office. Or c'est une procédure lourde et certains préfets renâclent, de peur de voir se poser des problèmes de sécurité. Pour cette raison est née l'idée de créer des unités spécialement aménagées dans les hôpitaux (2), sous la responsabilité de l'administration pénitentiaire. L'hospitalisation d'office sera de fait facilitée, dans un régime carcéral. Ce qui pose des problèmes éthiques - peut-on contraindre le patient au nom de la défense sociale ? - et de pratique médicale. En détention, l'imaginaire envahit encore plus le malade, le délire augmente. Certaines activités nécessaires au traitement ne pourront avoir lieu. Le projet a été élaboré par un petit groupe de personnes réunies par le ministère de la Santé, dont certaines d'ailleurs étaient initialement contre, alors qu'il aurait fallu en discuter avec le monde de la psychiatrie.

Vous vous inquiétez aussi de l'existence d'une commission d'experts chargée de revoir l'article 122.1 du code pénal.

Dominique Perben a déclaré qu'il ne voulait pas que la justice se désintéresse des personnes reconnues pénalement irresponsables (3). L'un des arguments avancés est de ne pas priver la victime de procès. Mais le risque est que l'on considère l'hospitalisation comme un moyen de privation de liberté, et donc de voir s'installer une confusion entre justice, psychiatrie et administration pénitentiaire. Cela est symptomatique du malaise de la profession et nécessite un vrai débat sur les missions de la psychiatrie. Qui sont les malades psychotiques, qui doit s'en occuper ? A force de vouloir donner de la tête partout, j'ai l'impression que la psychiatrie ne fait plus de la psychose son premier cheval de bataille. Propos recueillis par Maryannick Le Bris

Notes

(1)  Voir ASH n° 2315 du 13-06-03.

(2)  Voir ASH n° 2282 du 25-10-02.

(3)  Voir ASH n° 2327 du 3-10-03.

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