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L'insécurité sociale

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Comment expliquer l'omniprésence de préoccupations sécuritaires dans la société contemporaine pourtant entourée et traversée de protections ?En faisant l'hypothèse, répond Robert Castel, qu'il ne convient pas de considérer l'insécurité comme une absence de protections mais plutôt comme leur envers, « leur ombre portée, dans un univers social qui s'est organisé autour d'une quête sans fin de protections ou d'une recherche éperdue de sécurité ». Autrement dit, aujourd'hui « être protégé, c'est aussi être menacé », explique le sociologue, parce que la sécurité et l'insécurité sont des rapports aux types de protections qui sont mises - ou pas - effectivement en œuvre de manière adéquate. Pour analyser la configuration spécifique de ces relations protection-insécurité dans la société contemporaine, l'auteur décrit le processus historique selon lequel, pour permettre aux individus détachés des systèmes traditionnels de dépendances-protections communautaires de « faire société », l'Etat moderne s'est d'abord constitué comme un « Etat gendarme », gardien de l'ordre public et garant des droits et des biens des individus. A charge pour ces derniers de se prémunir eux-mêmes des aléas de l'existence, à partir de leurs propres ressources - ce qui laissait entière la question du statut, ou plutôt de l'absence de statut des individus non propriétaires.

Longtemps éludée, cette insécurité sociale permanente qui était le lot de la plupart des citoyens de catégories populaires, ne sera jugulée qu'au XXe siècle, quand la condition précaire du travailleur devient la condition salariale, assortie de garanties non marchandes (comme le droit à un salaire minimum, les protections du droit du travail, la couverture des accidents, de la maladie, le droit à la retraite, etc.). Les membres de cette société salariale, explique Robert Castel, « ont eu massivement accès à la protection sociale qui représente un homologue de la propriété privée, une propriété pour la sécurité désormais mise à la disposition de ceux qui étaient exclus des protections que procure la propriété privée ».

C'est ce double système de protections - civiles et sociales - qui est aujourd'hui ébranlé. D'une part parce que, sauf à être liberticide, un Etat de droit ne peut jamais assurer une sécurité absolue des biens et des personnes, ce qui alimente une « frustration sécuritaire » d'autant plus exacerbée que l'apparition de nouveaux dangers (industriels, technologiques, sanitaires, naturels, écologiques...) - et de nouvelles formes de sensibilité aux risques - s'accompagne d'un sentiment généralisé d'impuissance à y faire face. D'autre part, parce que l'Etat social affaibli n'assure plus l'ensemble des individus contre les principaux risques sociaux, d'où une insécurisation face à l'avenir et un désarroi qui constituent le terreau du sentiment d'insécurité - et peuvent aussi alimenter effectivement l'insécurité civile, « surtout dans des territoires comme les banlieues où se cristallisent les principaux facteurs de dissociation sociale ».

Dénoncer l'inflation du souci de sécurité qui nourrit l'inextinguible angoisse contemporaine n'empêche pas l'auteur d'affirmer l'importance essentielle du besoin de protections. Aussi l'insécurité civile doit-elle être vigoureusement combattue, mais l'insécurité sociale tout autant. Sauf à remettre en cause la possibilité de continuer à former une « société de semblables ».

L'insécurité sociale. Qu'est-ce qu'être protégé ?  - Robert Castel -Ed. du Seuil - 10,50  .

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