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Conditions de détention : l'OIP dénonce une « descente aux enfers »

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« C

omment se fait-il que la situation dénoncée il y a trois ans par un ensemble de personnes qui avaient toutes des motivations différentes perdure et s'aggrave ?  » Cette question de Me Thierry Lévy, président de la section française de l'Observatoire international des prisons  (OIP), est celle qui s'impose à la lecture du rapport 2003 que l'organisation consacre aux conditions de détention en France (1). Le document démontre, informations de l'administration et témoignages des observateurs de l'association à l'appui, que les constats alarmants des parlementaires en juillet 2000 (2), ainsi que le livre-réquisitoire de Véronique Vasseur, ancien médecin chef de la prison de la Santé (3), auront été impuissants à faire dépasser le stade des bonnes intentions. Un changement de majorité et plusieurs dispositions législatives plus tard, l'OIP décrit une situation qu'il qualifie de véritable « descente aux enfers ». La faute à qui ? « Le gouvernement précédent n'a pas eu de vraie politique en la matière, puis les choses se sont accentuées avec la folie du tout carcéral », estime Thierry Lévy. Une politique qui a conduit à l'engorgement des prisons, avec 57 573 détenus début octobre, contre 10 000 de moins il y a deux ans. Le résultat, selon l'OIP, de « l'abandon d'une politique de peines alternatives », alors que sont créés de nouveaux délits qui conduisent à l'inflation des condamnations à de courtes peines. « 60 % des détenus sont condamnés à des peines inférieures à cinq ans, précise Thierry Lévy. Souvent parce qu'ils appartiennent à des minorités défavorisées, ou sont atteints de troubles psychiatriques que l'on n'a pas su traiter ailleurs [voir l'interview, page 30] , et vivent dans des conditions qui ne leur permettent pas de participer à une vie sociale. Il faut refuser que la prison devienne un système de réponse à la misère. »

Suicides records

Promiscuité, manque d'hygiène, placement des mineurs dans des quartiers pour majeurs, retards des consultations médicales, agressivité latente et permanente... L'observatoire, qui réclame une nouvelle fois la création d'une autorité indépendante chargée de surveiller le fonctionnement interne des prisons, passe en revue les conséquences de la surpopulation carcérale - qui concerne trois détenus sur quatre (au 1er juillet, les prisons affichaient un taux d'occupation de 125,4 %)  - et des carences de la politique pénitentiaire.

La très nette augmentation du nombre de suicides est l'un des indicateurs les plus préoccupants : 122 personnes incarcérées se sont donné la mort en 2002, soit proportionnellement sept fois plus que dans l'ensemble de la population française, contre quatre fois plus en 1991. Malgré les circulaires de mai 1998 et d'avril 2002 sur le repérage et la prévention des actes suicidaires, très peu de moyens sont mis en place pour prévenir ce risque, faute de formation suffisante des personnels, pointe l'OIP, qui rappelle que le ministère de la Justice a confié une mission de réflexion à un psychiatre, Jean-Louis Terra, dont le rapport devrait bientôt être rendu public.

Les constats sont aussi accablants dans le domaine de la toxicomanie. Une enquête réalisée en 1997 par le ministère de la Santé révélait que 32 % des entrants déclaraient une consommation régulière de drogues. En 2001, la part des détenus dépendants sous traitement de substitution était de 18 %, contre 56 % à l'extérieur. Ce qui corrobore les conclusions du rapport de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, rendu public le 22 octobre, selon lequel les usagers de drogues en prison (un sur deux à l'échelle européenne) sont les grands oubliés de la politique de réduction des risques et de la prévention. En matière de santé, « la seule avancée est l'application de la loi Kouchner sur la suspension de peine des détenus malades », considère pour sa part Véronique Vasseur, avant d'ajouter que ce droit « commence déjà à être rogné ». Alors que l'OIP fait état des difficultés pour les malades à faire valoir ce droit, un amendement au projet de loi relatif à l'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, visant à le restreindre, vient d'être adopté au Sénat (4).

A l'impossibilité de travailler pour bon nombre de détenus (31 %) et aux difficultés d'accéder à la formation s'ajoute un manque de préparation de leur sortie : en 2002, les prisons comptaient en moyenne un travailleur social pour 39 surveillants et 100 détenus... « Les rapports d'activité des établissements témoignent du caractère peu opérationnel, voire fictif, du projet d'exécution des peines (PEP)  » généralisé par la circulaire du 21 juillet 2000 pour donner un sens à l'incarcération, souligne l'observatoire. Pour Gilbert Bonnemaison, ancien député-maire PS d'Epinay et auteur d'un rapport sur la modernisation des prisons en 1989, « l'insécurité est à 50 %au moins le fruit de la façon dont on entasse les gens dans les prisons sans se préoccuper de leur insertion ni prévenir la récidive ».

Des conditions de travail désastreuses

De son côté, le Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire  (Snepap) -FSU rappelle que les prisons emploient seulement « 2 100 personnels d'insertion et de probation pour plus de 200 000 personnes placées sous main de justice (détenus et personnes condamnées à des peines restrictives de liberté)  ». Réagissant aux déclarations du garde des Sceaux, qui qualifiait le 28 octobre les « attaques » de l'OIP d' « excessives et grotesques », le syndicat martèle à son tour qu' « aucune politique cohérente n'a été menée sur la question depuis des dizaines d'années » et réclame « une réflexion de fond et un réel débat sur la place de la pénalité et de la justice dans notre société, avec pour objectif de resituer la justice dans une logique de réparation et de prévention de la récidive ». Du même avis, l'Union générale des syndicats pénitentiaires (UGSP) -CGT dénonce « pour les personnels des conditions de travail qui n'ont jamais été aussi désastreuses » et l'impossibilité d'assurer correctement leurs missions.

M. LB.

Notes

(1)  Les conditions de détention en France, rapport 2003 - OIP : 31, rue des Lilas - 75019 Paris - Tél. 01 44 52 87 90 - 18  €.

(2)  Voir ASH n° 2174 du 7-07-00.

(3)  Voir ASH n° 2150 du 21-01-00.

(4)  Voir ASH n° 2329 du 17-10-03.

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