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Diplômes de niveau III : l'impossible statu quo

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A vec l'harmonisation programmée des formations supérieures dans le système européen « licence- master-doctorat », il est urgent de restructurer - et de revaloriser -l'ensemble des qualifications de niveau III (niveau bac + 2) du travail social, explique Dominique Susini, directeur de l'IRTS de Franche-Comté et secrétaire général adjoint du Groupement national des instituts du travail social.

« Pour une formation professionnelle en travail social de qualité, il apparaît nécessaire de faire évoluer le dispositif, dans le cadre tracé par la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions et par le schéma national des formations sociales signé en 2001 par le ministre de l'Emploi et de la Solidarité de l'époque, Elisabeth Guigou (1), en application de cette même loi. Et pour penser l'évolution d'une des formations, le Groupement national des instituts du travail social  (GNI) estime indispensable de construire une réflexion sur l'ensemble des formations en travail social de niveau III, de définir une méthode de travail, des principes d'architecture et des règles de circulation.[...]

Largement défini dans le schéma national, le modèle de construction des qualifications, commun aux différents ministères, est fondé sur un emboîtement de référentiels. Sa mise en œuvre est déjà expérimentée dans plusieurs qualifications, en particulier dans la réforme du diplôme d'Etat d'assistant de service social (DEASS) pour ce qui concerne les niveaux III [...].

L'appareil de formation trouve sa cohérence en articulant des niveaux constitués d'environ 500 heures de formation théorique et quatre mois de stage. Ce qui donne : pour le niveau V, 500 heures de formation théorique et quatre mois de stage, pour le niveau IV, 1 000 heures de formation théorique et huit mois de stage et pour le niveau III, 1 500 heures de formation théorique et 12 mois de stage. Cela constitue une trame simple et aménageable, mais elle implique obligatoirement de réformer les qualifications de même niveau pour les y aligner toutes, afin de pouvoir penser équivalences, allégements et circulation.

A ces premiers principes issus du schéma national se sont ajoutées, en 2002, d'une part la loi de modernisation sociale et la validation des acquis de l'expérience et, d'autre part, la transposition des accords de Bologne (2) et des directives européennes sur l'harmonisation des qualifications dans le système LMD (licence-master-doctorat).

De là découlent de nouveaux principes : la construction des qualifications par domaines et l'inscription de l'alternance intégrative (3) dans le programme de formation.

Le référentiel de certification est pensé d'emblée pour la validation des acquis et pour la validation de la formation. Il obéit à une construction similaire à celle du référentiel de compétences. Ainsi les référentiels de compétences, de certification et de formation se construisent à partir de quelques grands ensembles, domaines ou blocs, articulés aux fonctions exercées.

La consécration de l'alternance intégrative

Dans le cadre de la licence européenne, les programmes ne peuvent plus séparer formation théorique et stages, mais doivent se présenter en modules ou en unités de formation  (UF) alternée. Chaque UF doit intégrer des activités jusqu'alors séparées :cours, travaux dirigés, travaux pratiques, mais aussi stages pratiques, travaux de laboratoire, travaux personnels de recherche et de documentation. Chacune de ces activités est évaluée dans une « monnaie » commune : le crédit européen. Une année de formation représente au maximum 1 600 heures de travail correspondant à 60 crédits. Ce système permet (enfin) aux formations aux professions sociales de valoriser l'alternance intégrative, en lui redonnant sa place, UF par UF, ou domaine de compétences par domaine de compétences. Chacun d'entre eux, pour être validé, doit en effet donner lieu à une expérience pratique et à une acquisition de savoirs, soit dans la formation, soit dans une expérience professionnelle ou bénévole.

Les principes proposés par le GNI dès 1999 peuvent utilement compléter cette nouvelle donne consacrant l'alternance intégrative.

L'appareil de formation est structuré sur l'existence des professions sociales et sur la reconnaissance des cultures professionnelles. Cette volonté exige de faire un travail sur les référentiels professionnels et de dégager les compétences spécifiques et les compétences transversales.

La structuration des formations pourrait s'opérer à partir d'unités de formation, constituées de modules, ayant une modélisation cohérente d'une formation à l'autre, tant du point de vue des contenus que des appellations et codifications. Cette orientation suppose l'existence dans chaque qualification d'une UF centrale et d'UF contributives. La première pourrait être intitulée “théories et pratiques de l'intervention” (suivie du champ d'intervention : en service social, dans l'éducation spécialisée, en animation, etc.) et structurée en deux éléments : fondements et approfondissement. Les autres, dites “contributives”, devraient faire apparaître de façon très explicite la ou les disciplines concernées : histoire, concepts, théories, débats, méthodes, etc. Associées à l'interdisciplinarité de l'UF centrale, ces contributions permettraient de développer des analyses transversales, fondées sur des concepts repérés et référencés à leur discipline.

Ces principes devraient aboutir à une langue commune et à une trame partagée assurant la solidité de l'édifice et une circulation immédiatement lisible entre les qualifications, correspondant, dans l'intervention sociale actuelle, à l'exercice possible d'une même fonction par des professionnels d'origine différente, de métiers différents. [...] Pour le GNI, il est urgent de restructurer selon ces principes l'ensemble des qualifications de niveau III.

Pour autant, le GNI se félicite du travail engagé pour la réforme du DEASS, sous l'impulsion de la direction générale de l'action sociale. Les référentiels élaborés jusqu'alors l'ont été de manière concertée, avec des confrontations parfois vives entre les différents partenaires de la formation, mais toujours dans un esprit constructif, en vue d'une véritable réforme pour conduire la qualification au niveau d'ingénierie induit par les textes législatifs ou réglementaires valables en 2003. Les avancées sont importantes, bousculent les habitudes mais ouvrent la voie et à la validation des acquis et à la construction sur le modèle européen. Ce modèle est une chance historique de voir enfin l'alternance intégrative reconnue comme méthode pédagogique à part entière, puisque le stage pratique fait partie du dispositif global d'acquisitions de connaissances.

De même, le dispositif de formation est conçu comme un système complexe, associant centre de formation et sites qualifiants, sous la responsabilité du directeur du centre de formation agréé. Si nos propositions sont retenues (et compte tenu de l'écho favorable suscité, on peut le penser), les professionnels auront un jugement à porter sur les acquis de formation au cours des stages. Cette évaluation prendra place directement dans la validation finale du domaine de formation. Tout comme le directeur du centre aura à valider certains modules, chaque acteur aura à assumer ses responsabilités, les directions régionales des affaires sanitaires et sociales portant, quant à elles, la responsabilité du contrôle final global.

Lorsque ces avancées seront concrétisées dans un texte définitif, il importera de les décliner dans la foulée pour les autres qualifications de même niveau.

Quant à la valorisation de cet actuel niveau III, il est clair, au-delà des revendications salariales ou statutaires, qu'il sanctionne trois ans d'études et 4 800 heures de formation, ce qui correspond au niveau d'une licence européenne. Toute tentative de statu quo à un niveau inférieur serait déqualifiante pour les formations aux professions sociales. Alors que les universités doivent très prochainement passer au système LMD (4), il est urgent de faire reconnaître au niveau européen la valeur pédagogique et formative de l'alternance intégrative. En ne valorisant pas son dispositif propre, la direction générale de l'action sociale risquerait de voir ses formations disparaître au sein du ministère de l'Education nationale, gâchant ainsi un dispositif pédagogique spécifique, non assimilable aux dispositifs de l'université.

Exploiter la richesse de l' « observation participante »

Dans le même esprit, il serait temps de valoriser les recherches effectuées dans le cadre des mémoires à partir d'une méthode inductive, fondée sur la construction d'hypothèses à partir d'expériences de terrain. Le modèle hypothético-déductif, où l'on va vérifier des hypothèses sur le terrain, n'est pas le seul à avoir sa place dans les mémoires de niveau III. L'oublier, c'est prendre le risque d'occulter l'originalité des formations en alternance. Dans ces formations, l'analyse des pratiques renvoie à tout coup à un matériel issu d'une observation participante, observation dont la durée est inégalée à l'université, en France comme dans les autres pays européens. La qualité et la quantité des données recueillies est une formidable richesse qu'il convient de développer et de mettre en lumière. Recueillir des données concernant la pratique professionnelle, les organiser et les analyser pour en dégager un sens semblent des conditions nécessaires au développement de la recherche en travail social et à la création d'une discipline.

La licence européenne promeut un modèle de formation et de validation qui déstabilise la plupart des universités françaises contraintes de s'adapter dans l'urgence au LMD, modèle transversal et en alternance. Les professions sociales ont un modèle pédagogique adapté à cette construction ; il leur faut faire le pas, oser la transition et remettre à plus tard la négociation des conséquences.

Au moment où les assistantes sociales arrivent de Belgique et les médecins et les infirmières d'Espagne, il serait opportun de situer la valeur des formations sociales de notre pays au niveau qui est le sien dans l'Europe de la libre circulation des travailleurs. »

Dominique Susini Secrétaire général adjoint du GNI et directeur de l'IRTS de Franche-Comté : 4b, rue Léonard-de-Vinci -BP 2107 25051 Besançon cedex -Tél. 03 81 41 61 00 E-mail :susini.d@gni.asso.fr.

Notes

(1)  Arrêté du 28 mai 2001 - Voir ASH n° 2217 du 1-06-01.

(2)  Portant sur la création d'un système européen de crédits permettant de quantifier la durée de la formation reçue et ainsi de favoriser la mobilité des étudiants au sein de l'Union européenne.

(3)  C'est-à-dire une alternance où connaissances théoriques et expériences de terrain ne sont seulement juxtaposées mais réellement intriquées, articulées pour aboutir à une pratique réfléchie.

(4)  Toute l'offre de formation universitaire doit être organisée selon le système LMD au plus tard en 2006, a confirmé Luc Ferry lors du conseil des ministres du 22 octobre.

TRIBUNE LIBRE

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